Sommaire du présent mémoire

Université de Liège – ULg

Place du XX Août, 7

4000 Liège







Faculté de Philosophie & Lettres

Département de Philosophie

Métaphysique et théorie de la connaissance





Mémoire de Master 2











L'Esprit de la pauvreté volontaire











Promoteurs : François Beets & Odile Gilon

Lecteur : Marc˗Antoine Gavray









Vincent Devaux

Le 19 août 2015



Remerciements




Je remercie M. Beets d'avoir éveillé et entretenu l'intérêt pour la « diversité rebelle » médiévale, au travers de méthodes herméneutiques diverses et rigoureuses. Ce mémoire n'aurait pu être mené sans que la flamme pour cette période ne soit entretenue année après année. Je le remercie également pour m'avoir fait découvrir l'usage d'outils philosophiques quelques peu oubliés mais si fondamentaux à la discipline.


Je remercie Mme Gilon pour ses relectures précises, attentives, pour ses bons conseils et ses encouragements à l'égard du thème choisi. Plus généralement, je la remercie de m'avoir fait découvrir la métaphysique médiévale et les grandes orientations de lectures possibles. Je la remercie également pour l'intérêt qu'elle a suscité en moi à l'égard des textes « de la tradition » et pour l'apprentissage de la pratique de la lecture du texte « au plus près ».


Je remercie M. Gavray pour son soutien sur la longue durée, pour l'attention donnée lors de ces années préparatoires au mémoire, et pour son souci de la précision. Je le remercie pour la découverte de textes antiques essentiels à la compréhension de l'époque qui lui succède.


Même s'il n'est pas intervenu dans le cadre de ce mémoire, je remercie également M. Seba pour l'exemple donné durant ses cours, en matière de méthodologie philosophique et d'exigence herméneutique. Je le remercie aussi de m'avoir donné goût pour la lecture de Hegel . Son influence, si elle n'est pas directement visible, n'en est pas moins réelle.


Enfin, je remercie le département de Métaphysique et théorie de la connaissance, et plus spécifiquement deux de ses organisateurs, Mme Bouquiaux et M. Leclercq pour l'approche développée en son sein, pour l'atmosphère créée durant les séminaires, pour le souci de sérieux épistémologique, et pour l'attention donnée au « retour » des travaux déposés.


Je remercie également Olivier Boulnois, avec qui je me suis brièvement entretenu, mais dont les propos ont éveillé des réflexions indispensables pour mon mémoire. Je remercie aussi Étienne Helmer, qui de passage à l'université à présenté quelques conférences relative à l'économie en Grèce classique qui ont suscité en moi un attrait renouvelé à l'égard de philosophes de cette période.


Je remercie plus généralement les membres du collège professoral, particulièrement M. Cormann pour leur aide administrative et pour leurs soutiens divers durant mon parcours académique


Je remercie ma famille pour sa patience ces dernières années, surtout lors des moments difficiles.


Je remercie ma compagne, Magali, outre pour la relecture de ce mémoire, pour son soutien et sa patience durant ces longues années d'études.




Abréviations


Outre les abréviations en usage dans la discipline, le lecteur rencontrera des abréviations plus spécifiques, que nous explicitons ci˗dessous.

1. Ouvrages à caractère encyclopédique.

DAFC Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, A. D'Alès (éd.), Paris, Beauchesne, 1909˗1931. Le chiffre en caractères romains correspond au tome, le chiffre en caractères arabes correspond à la colonne.

DBS Supplément au Dictionnaire de la Bible, Paris, Letouzey et Ané, 1928 ˗ . Le chiffre en caractères romains correspond au tome, le chiffre entre parenthèses à l'année d'édition et le chiffre en caractères arabes à la colonne.

DCTh Dictionnaire critique de théologie , J.˗Y. Lacoste , Paris, PUF, 1998. Le chiffre en caractères arabes correspond à la page.

DHGE Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique, A. Baudrillart (éd.), Paris, Letouzey et Ané, 1912 ˗ . Le chiffre en caractères romains correspond au tome, le chiffre en caractères arabes correspond à la colonne.

DThC Dictionnaire de Théologie catholique, Vacant, Mangenot, Amann (éd.), Paris, 1898 sq. Le chiffre en caractères romains correspond au tome, le chiffre entre parenthèses est l'année d'édition, le chiffre en caractères arabes correspond à la colonne.

EU Encyclopaedia Universalis, Paris,1995. Le chiffre en caractères romains correspond au tome, le chiffre en caractères arabes correspond à la page.

2. Références aux collections patrologiques

Baug Collection dite de la « Bibliothèque Augustinienne », 1936 ˗ .

PL Patrologie latine de Migne, Paris, 1844˗1855 . Le chiffre en caractères romains correspond au tome, le chiffre en caractères arabes correspond à la colonne.

SC Collection dite des « Sources chrétiennes », Cerf, 1941 ˗ .

3. Références aux philosophes de la tradition

DL Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris, LGF, 1999. Le chiffre en caractères romains correspond au livre, le chiffre en caractères arabes correspond au paragraphe.

4. Références néotestamentaires et vétérotestamentaires

Les livres de la Bible sont désignés par les abréviations en usage dans la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible).

AT L'Ancien testament

LXX La Septante

NT Le Nouveau testament

5. Références intertestamentaires

1QH Hymnes dans Delcor M. (trad.) , Les hymnes de Qumran (Hodayot) , Letouzey et Ané, Paris, 1962. Dans les citations, les crochets indiquent une reconstitution, les points de suspension indiquent des lacunes, les parenthèses signifient un ajout par le traducteur, qui n'est pas dans le texte original. Le «  /  » est rajouté par moi pour indiquer un alinéa. Les chiffres romains marquent les colonnes, les chiffres arabes les lignes.

1QS Règle (Sérek) de la Communauté dans Dupont˗Sommer A. et Philonenko A. ( dir. ) , La Bible, écrits intertestamentaires , Gallimard (Pléiade), 1987.

CD Document (ou Écrit ) de Damas dans Dupont˗Sommer A. et Philonenko A. ( dir. ) , La Bible, écrits intertestamentaires , Gallimard (Pléiade), 1987.

6. Références apostoliques et patrologiques

Da Saint Nil , Discours ascétiques, trad. L. Regnault , dans Philocalie des Pères neptiques , fascicule 8, Bégrolles˗en˗Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1987 . Les chiffres arabes renvoient aux paragraphes.

Ida Instructions des apôtres dans Audet (éd.) J.˗P. , La Didachè, Instructions des apôtres , Paris, Librairie Lecoffre, 1958.

RSB Règle de St Benoît, dans Lapierre J.˗P. , Règles des moines , Seuil, 1982. Les chiffres romains marquent les chapitres, les chiffres arabes les versets. Nous employons la traduction de dom Propser Guéranger.

7. Références scolastiques

AP Apologia pauperum dans Bonaventure (Saint) , Œuvres spirituelles, La perfection morale d'après l’Évangile , t. IV, Paris / Gembloux, Librairie S. François / Duculot, 1936. La numérotation correspond à l'édition de Quaracchi. Le chiffre en caractères romains correspond au chapitre, le chiffre en caractères arabes correspond au paragraphe. La pagination est propre à l'ouvrage.

IMD Itinerarium mentis in Deum dans Bonaventure, Itinéraire de l'esprit vers Dieu (édition de Quaracchi), trad. H. Duméry, Paris, Vrin, 1994. Le chiffre en caractères romains correspond au chapitre, le chiffre en caractère arabe correspond au paragraphe.

PE D e la Perfection évangélique dans Bonaventure (Saint) , Œuvres spirituelles, La perfection morale d'après l’Évangile , t. IV, Paris / Gembloux, Librairie S. François / Duculot, 1936. La numérotation correspond à l'édition de Quaracchi. La pagination est propre à l'ouvrage.

RAT De reductione artium ad theologiam dans Bonaventure, les Six lumières de la connaissance humaine (édition de Quaracchi), Paris, Éditions Franciscaines, 1971. Le chiffre en caractères romains correspond à la partie, le chiffre en caractères arabes correspond au paragraphe. La pagination est propre à l'ouvrage.

RE Du Royaume évangélique dans Bonaventure (Saint) , Œuvres spirituelles, La perfection morale d'après l’Évangile , t. IV, Paris / Gembloux, Librairie S. François / Duculot, 1936. La numérotation correspond à l'édition de Quaracchi. Le chiffre en caractères arabes correspond au paragraphe. La pagination est propre à l'ouvrage.

ST Thomas d'Aquin , Somme théologique, Paris, Cerf, 1985˗. Les références s'accordent avec celles employées par la maison d'édition Cerf.

I. Introduction

Notre projet est de rendre possible une métaphysique de la pauvreté volontaire, ce qui présuppose non seulement qu'elle soit pensable, mais également qu'elle soit pensée. Parler de « métaphysique de la pauvreté volontaire » est ambigu. D'un coté, il nous faut d'abord nous mettre d'accord sur le terme de métaphysique, puisque il est dit en divers sens 1 . D'un autre coté, l’expression, prise comme un tout peut se comprendre sous deux aspects. D'une part nous produirons une métaphysique dont l'objet est la pauvreté volontaire ; nous poserons la pauvreté volontaire comme « ce vers quoi » la pensée intentionne d'une certaine façon, qui n'est pas celle d'un historien, d'un économiste, d'un théologien, mais qui est celle du philosophe. En cela nous voulons affirmer que la pauvreté volontaire est digne que l'on se questionne sur ces diverses causes – en leurs compréhensions aristotéliciennes. Et c'est en tant que nous rechercherons les diverses causes de celle˗ci que nous nous accorderons sur ce premier sens de ce qu'est une « métaphysique de la pauvreté volontaire ». La pauvreté volontaire participe de systèmes philosophiques comprenant une métaphysique. Nous nous demanderons à quel titre elle peut y participer, et à quel titre elle en est une réalité possible Nous chercherons si telle forme de pauvreté volontaire possède une spécificité, si son essence est d'une autre nature que telle autre forme de pauvreté volontaire. Au delà de la diversité des formes prises par la pauvreté volontaire, nous nous interrogerons sur ce qui justifie que celle˗ci s'impose dans l'arène du monde et de ce qui fait qu'elle apparaisse à la conscience humaine. Notre intention est, non pas de présenter un système abouti sur la pauvreté volontaire, mais d'initier une enquête avec beaucoup d'humilité. À ces fins et pour des raisons qui trouveront leurs justifications ultérieurement, nous débuterons notre enquête en interrogeant un texte qui engage une communauté de pensée. Nous entendrons par communauté de pensée un ensemble d'individus pour lesquels les représentations du monde sont imprégnées, sont sous˗tendues par un ensemble conceptuel commun qui trouve sa source au sein d'une métaphysique globalement semblable. Ce texte qui engage cette communauté de pensée est un paragraphe tiré du Perfectae Caritatis du Concile Œcuménique Vatican II (1962˗1965) et porte sur la rénovation de la vie religieuse au sein de l’Église catholique 2 . Ce texte présente quelque importance au sein du monde catholique puisqu’il concerne directement tous les religieux et toutes les religieuses que compte l’Église romaine. Indirectement il concerne également tout catholique   ; soit une des communautés de pensée la plus importante.

La pauvreté volontaire en vue de suivre le Christ, ce dont elle est un signe particulièrement mis en valeur de nos jours, doit être pratiquée soigneusement par les religieux et même, au besoin, s’exprimer sous des formes nouvelles. Par elle, on devient participant de la pauvreté du Christ qui s’est fait pauvre à cause de nous, alors qu’il était riche, afin de nous enrichir par son dépouillement (cf. 2 Co 8, 9 ; Mt 8, 20). / Pour ce qui est de la pauvreté religieuse, il ne suffit pas seulement de dépendre des supérieurs dans l’usage des biens, mais il faut que les religieux soient pauvres effectivement et en esprit, ayant leur trésor dans le ciel (cf. Mt 6, 20). / Que chacun d’eux, dans sa tâche, se sente astreint à la loi commune du travail et, tout en se procurant ainsi le nécessaire pour leur entretien et leurs œuvres, qu’ils rejettent tout souci excessif et se confient à la providence du Père des cieux (cf. Mt 6, 25). / Les congrégations religieuses peuvent permettre par leurs constitutions que les sujets renoncent à leurs biens patrimoniaux présents ou à venir. / Les instituts eux˗mêmes s’efforceront, compte tenu de la diversité des lieux, de fournir en quelque sorte un témoignage collectif de pauvreté ; volontiers ils prendront de leurs biens pour subvenir aux autres besoins de l’Église et soutenir les indigents que tous les religieux doivent aimer dans le cœur du Christ (cf. Mt 19, 21 ; 25, 34˗46 ; Jacq. 2, 15˗16 ; 1 Jn. 3, 17). Les provinces et les maisons des instituts doivent partager les unes avec les autres leurs biens matériels, les plus aisées secourant les plus démunies 3 .

Il s'agit d'un texte qui se réfère pour le croyant à un événement énigmatique, la Révélation. Ce texte s'ancre dans une théologie, qui porte en elle une certaine cosmologie (une création ex nihilo). Ce texte prescrit (ou décrit) une morale et un projet . Par lui˗même, ce texte peut donner la fausse impression à son lecteur d'être ingénument compréhensible. Pourtant, il porte en lui la cristallisation d'un problème qui s'est durablement installé dans la pensée et dans la vie de l'homme : chaque mot est pesé et le message qui s'y trouve contenu est le fruit d'une qu erelle qui s'est instituée dès la naissance du christianisme et qui a ses fondements mêmes bien antérieurement à celui˗ci. Comprendre ce texte, donc cette pensée, oblige à parcourir les siècles qui ont permis l'éclosion et le développement – soit l'enrichissement – du concept de pauvreté volontaire. Le développement ayant été cause et effet d'une étrange dialectique.

Quelques questions déjà apparaissent à la lecture de ce texte, questions que nous devrons explorer au sein de notre enquête. Ainsi que signifie, pourquoi et comment « suivre le Christ » ? À l'aune de l'affirmation du rejet de tout souci – très stoïcien – , on peut se demander si ce document ne témoigne pas d'une influence païenne. Affirmer l'idée de « formes nouvelles » de pauvreté volontaire présuppose qu'une diversité de contenus puisse exister au sein même du même concept ; qu'en est˗il de celle˗ci ? Quel rapport pourrait exister entre la pauvreté effective et la pauvreté en esprit ? Comment est˗il possible de s'enrichir en se dépouillant ? Pourquoi cette insistance sur la discipline au travail ? Ce texte est˗il autant prescriptif que descriptif ? Pourquoi faut˗il imposer à des religieuses cette pauvreté volontaire ? Pourquoi cette élaboration d'un arsenal discursif contraignant à l'égard de celles qui librement décident de se soumettre à la pauvreté ? Nous pouvons nous interroger aussi sur les rapports entrevus entre cette pauvreté volontaire et la pauvreté subie. Ces deux dernières formes de pauvreté ont˗elles quelque chose en commun ? Ce texte n'est donc pas aussi transparent qu'il semble apparaître en première lecture, ce qui est bien normal puisqu'il draine des centaines d'années de controverses et d'affrontements philosophiques et théologiques. Il nous revient donc de chercher les causes du concept de pauvreté volontaire, et par là d'oser une métaphysique de la pauvreté volontaire.

1. La pauvreté volontaire comme objet pour la philosophie

Cet extrait du Perfectae Caritatis, dont le fondement s'inscrit dans un double projet communautaire et sociétal, oblige le philosophe à aborder la pauvreté volontaire sous deux aspects. Une première façon est de considérer celle˗ci en tant qu'objet. La seconde façon est de se laisser inquiéter par cet objet, le philosophe n'étant pas étranger à son corrélat. Osons cette question : la pauvreté volontaire ne serait˗elle pas même une condition de possibilité de la philosophie ? Dit autrement, à la manière de quelque moderne, cette pauvreté volontaire n'envelopperait˗elle pas la philosophie comme pratique et comme discipline ? À l'appui de cette hypothèse, nous pouvons convoquer la distinction kantienne entre la notion scolastique de la philosophie – comme système des connaissances rationnelles par concepts – et la notion cosmique de la philosophie – comme étude des fins de rnières (letzen Zwecken) 4 . Kant, reprenant une ancienne conception du philosophe, souligne à juste titre que cette science des fins dernières « confère à la philosophie sa dignité » 5 , car elle lui donne une utilité, répondant à la question : «  À q uoi sert˗il de philosopher ? » 6 . Kant opère ainsi une distinction primordiale entre le philodoxe, artiste de la raison, terme qu'il reprend à Socrate, et le philosophe pratique, « le maître de la sagesse par la doctrine et par l'exemple » 7  . C'est ce dernier, souligne Kant, qui est « le vrai philosophe » 8 car il se donne en exemple de sa doctrine. Dès lors, il n'y a nul doute que le philosophe ne doivent s'emparer du problème de la pauvreté volontaire, du moment qu'elle se présente comme exemplaire aux yeux de la plupart.

a) La pauvreté volontaire en tant que concept

Il nous appartient d'exposer comment traiter notre sujet puisqu'il est plus que jamais un objet de la philosophie. Il nous revient d'aborder essentiellement notre objet en philosophe, c'est à dire qu'il nous revient non pas d'exposer des faits, des accidents phénoménaux de notre objet, les additionnant à la manière des érudits, mais, et nous l'avons déjà dit, de chercher, d'identifier les causes de notre objet. Autrement dit, il nous revient de chercher les raisons du fait que la chose est  ; et plus précisément, les raisons du fait qu'elle advient, car la pauvreté volontaire est le fruit d'un processus . Nous envisagerons la pauvreté volontaire en tant qu'objet d'une idéalisation , d’une part, et en tant qu’elle trouve son effectuation, d’autre part. Mais pour parvenir à cette fin il nous faut d'abord l'identifier, c'est˗à˗dire poser sa quiddité. C'est une grande difficulté pour le philosophe que de déterminer ce qu'est la pauvreté volontaire et une méthode qui n'est pas celle du philosophe, bien que très enrichissante, nous ferait sombrer dans d'insurmontables apories. Ainsi, pour Michel Mollat 9 la pauvreté est une notion dont l'extension est « difficilement saisissable » 10 . Il ne lui semble pas évident, et avec raison, de circonscrire la quiddité de la pauvreté, celle˗ci dépendant du contexte dans lequel la notion est utilisée. Bien qu'arguant de ses réalités multiformes, il est amené à poser une définition large du pauvre :

Le pauvre est celui qui, de façon permanente ou temporaire, se trouve dans une situation de faiblesse, de dépendance, d'humiliation, caractérisée par la privation des moyens, variables selon les époques et les sociétés, de puissance et considération sociale : argent, relations, influence, pouvoir, science, qualification technique, honorabilité de la naissance, vigueur physique, capacité intellectuelle, liberté et dignité personnelles. Vivant au jour le jour, il n'a aucune chance de se relever sans l'aide d'autrui 11 .

À strictement parler, nous avons affaire ici à une définition descriptive – et non à une définition – qui a certes pour elle de vouloir ranger au sein d'une catégorie des réalités de toutes régions, de toutes époques, et de toutes cultures. Si cette définition privilégie la complétude extensionnelle ; pour un philosophe, elle pèche également par empirisme. Si elle peut convenir pour décrire un « idéal˗type » du phénomène de la pauvreté, elle reflète le travail d'un historien qui étudie bien davantage les réalités que les idées. L'intérêt du travail de M.   Mollat n'est pas tant dans sa notion de la pauvreté que dans l'immense panorama qu'il dresse des situations de pauvreté au cours des siècles. L'objectif du philosophe est cependant autre, car il cherche justement en quoi et pourquoi le concept ne possède pas la même diversité sous son unité, en quoi il s'idéalise, se réalise et se détermine chemin faisant – habitant, les époques, les lieux, les cultures différentes. Le philosophe, qui souhaite dresser une métaphysique de la pauvreté volontaire, est inévitablement confronté aux textes de l’Église catholique 12 , et il doit se demander pourquoi cette pauvreté volontaire devait être et se manifester dans le monde. Il doit se demander si sa réalisation est le fruit d'un événement unique bien qu'inexplicable, l'accomplissement d'une prophétie, ou bien si elle trouve sa cause dans un ailleurs, qui reste à déterminer.

Afin d'identifier cette pauvreté volontaire dans la diversité de son expressivité mondaine il nous faut poser a priori son concept, nous proposons donc de définir spéculativement la pauvreté volontaire comme un libre renoncement à l'égard de l'objet du désir. Nous convenons que cette définition est « chargée » métaphysiquement, et qu'il nous faudra interroger cela. Mais s'agissant d'une enquête, il nous faut nous donner quelques appuis préalables qui servent à la diligenter. Remarquons d'ores et déjà que c'est le caractère libre du renoncement qui permet de différencier la pauvreté volontaire de la pauvreté au sens propre. Cette définition que nous posons méthodologiquement a priori, pouvons nous estimer qu'il fut possible de la penser en tout temps ? Nous n'aurons pas la naïveté de l'affirmer. Nous pouvons concevoir qu'elle ne fut pensable qu'au prix d'une lente émergence, accompagnant l'humanité se constituant. Il n'est pas évident que ce libre renoncement à l'égard de l'objet du désir soit de tout temps effectif. Anticipant ici sur notre enquête, soulignons pour le lecteur ce point qui est un abîme métaphysique.

Armé de notre définition, nous pouvons partir à la conquête de l'idéalisation et de la réalisation de la pauvreté volontaire ; plus précisément de son incarnation. Nous ne conduirons pas cette humble investigation en produisant principalement une histoire des réalités , mais en opérant un plongeon dans l'histoire des pensées afin de comprendre comment la pauvreté volontaire est conçue et imaginée. Sans prétendre à l'exhaustivité nous étudierons quelques moments dans le champ culturel de la pensée occidentale 13 , moments qui déterminent le concept sous des aspects qui nous semblent essentiels. Si le cadre au sein duquel s'enracine le déploiement du concept sera celui du Moyen  ge chrétien, nous ferons précéder son étude, à bon droit, par l'analyse de la pauvreté volontaire dans les sociétés païennes, dût˗elle ne pas se draper de ce nom. Nous suivrons en cela l'affirmation d'O.   Boulnois pour qui « il n'est pas possible d'analyser les métaphysiques médiévales, leur structure et leur histoire, sans remonter à leur origine grecque » 14 . Nous remonterons également à l' origine juive de la pauvreté volontaire, puisque la connexion entre judaïsme et christianisme, pour le moins complexe, est faite d'identités et de filiations 15 . Nous opérerons également quelques ponts avec la modernité, afin de montrer qu'un concept est toujours en devenir et que nous ne possédons pas son terminus ad quem . Cependant, il ne faudrait pas imaginer que nous allons constituer une ligne du temps, notre projet s'inscrit dans la reconnaissance et la détermination des discontinuités, des ruptures, et plus encore il prend en compte ces discontinuités comme des instruments et des outils de recherche 16 . Ainsi et jusqu'à un certain point, nous pouvons nous inscrire dans la démarche foucaldienne de l'archéologie du savoir et de l'histoire des idées. Il s'agit effectivement pour nous d'une « réécriture » 17 de l'histoire, au travers d'un projet de révélation d'une « régularité d'une pratique discursive » 18 . Cette pratique discursive ayant pour objet la pauvreté volontaire. Nous pourrons chercher l'homogénéité énonciative derrière des pratiques discursives nouvelles 19   en soulignant la persistance dans l'être du concept de pauvreté volontaire. Nous pourrons reconnaître derrière une hétérogénéité discursive une même réalité, mais nous veillerons à identifier cette pluralité et les contradictions qu'elle recèle. Nous aurons à déterminer, une fois accepté un terminos a quo provisoire , les « contradictions intrinsèques  » 20 . En ce sens nous allons parler d'une querelle de la pauvreté volontaire, car celle˗ci fera problème. Il s'agira aussi de déterminer le concept en soulignant en quoi il n'a pas toujours été substantiellement de la même étoffe, et en quoi celui˗ci une fois rendu possible et effectif, s'incarne en une diversité de formes, et s'impose comme phénoménalité sous une pluralité 21 d'aspects. Jusqu'à un certain point, disions˗nous, nous nous accorderons avec Foucault, car pour une autre part, et a contrario de son archéologie, nous souhaitons à travers ce cheminement tenter d'éclairer « le retour au secret même de l'origine » 22 .

b) La pauvreté volontaire en tant qu'elle doit se vivre

Ainsi revenant à Kant, nous pouvons lui emprunter cette idée que le philosophe, en tant que maître de doctrine, a pour domaine quatre questions : « Que puis˗je savoir? », c'est le domaine de la métaphysique ; « Que dois˗je faire ? », c'est le domaine de la morale ; « Que m'est˗il permis d'espérer ? », c'est le domaine de la sphère religieuse ; sans oublier la question qui les sursume et qui relève de l’anthropologie 23  : « Qu'est˗ce que l'homme ? ». Par cet emprunt nous observerons que la pauvreté volontaire participe de chacun de ces quatre champs de questionnements philosophiques. Ainsi la pauvreté volontaire vu e comme une doctrine, sera participante de la sagesse, et donc d'une métaphysique vue comme recherche des causes premières. Le « Que dois˗je faire ? » kantien o blige à rechercher les fondements métaphysiques d'une morale.

C'est aussi pourquoi toutes les doctrines de la vertu, qu'on les enseigne en amphithéâtre, en chaire ou dans des livres populaires lorsqu’elles sont enjolivées de bribes de métaphysique, sombrent dans le ridicule. Mais il n'est pas pour cela inutile, et encore moins ridicule, de rechercher dans une métaphysique les premiers principes de la doctrine de la vertu, car un philosophe se doit quand même de remonter jusqu'aux premiers fondements de ce concept de devoir ; si il en était autrement, on ne saurait espérer pour la doctrine de la vertu en général ni sûreté ni pureté. 24

Partant du fait que la pauvreté volontaire puisse être vue comme une pratique vertueuse, nous tenterons de remonter en son principe premier, de déterminer ce qui rend possible et ce qui rend réel ce libre renoncement à l'égard de l'objet du désir. On comprend ici la distinction du projet qui nous anime d'avec celui qui se charge de décrire factuellement et avec érudition la pauvreté volontaire.

Revenons désormais à l’ambiguïté que nous relevions à l'égard de notre corrélat. Si la pauvreté volontaire, au travers des quatre domaines théoriques du philosophe, se rapporte au philosophe en tant qu'il est maître de doctrine, elle se rapporte également à lui en tant qu'il est maître en sagesse. C e maître en sagesse qui, nous dit Kant par ailleurs, doit être maître par l'exemple. Ce thème de l'exemplarité est très ancien. On en retrouve ainsi le témoignage chez les lyriques grecs 25 et il est par ailleurs plus que jamais présent au sein du monde contemporain. Le philosophe, comme maître de sagesse, doit donner l'exemple du libre renoncement à l'égard de l'objet du désir. Ainsi l'illustre, par exemple, le mode de vie de Socrate et d'autres philosophes à sa suite (par exemple les Cyniques). L'homme sage, le sophos, posant l'hypothèse d'un premier principe et le cherchant, pose aussi parallèlement, comme condition de possibilité de cette recherche la pratique d'une pauvreté volontaire qui s'exprime, s'incarne en des formes de vie diverses, plurielles, ses déterminations.

On peut donc à bon droit parler du genre˗de˗vie du philosophe 26 . Thème très ancien que l'on peut au moins faire remonter à Hésiode 27 . Nous emprunterons à R. Joly trois éléments essentiels déterminants le concept du genre˗de˗vie : une « énumération de diverses fins auxquelles se rattache l'activité humaine, un jugement qui choisit l'une d'entre elles comme la meilleure [...] et  l'idée d'une existence concrète vécue sous le signe de chacune des valeurs distinguées » 28 . Parmi ces éléments, nous retiendrons surtout , le désir pour l'homme d'une certaine fin et l'idée d'une existence concrète vécue en vue de cette fin. Ces traits nous paraissent cruciaux, car ils constituent la superstructure déterminant la pluralité des modes d’apparaître du concept de pauvreté volontaire. De l'articulation de ces deux traits émergera un espace où coexiste une pluralité de genre˗de˗vie prenant l'habit de la pauvreté volontaire. Pour des raisons diverses, des personnes vont juger que la vie pauvre constitue un outil efficace 29 , en tout cas plus efficace qu'un autre, en vue d'atteindre une certaine finalité. La finalité – peut être plus que la cause motrice – détermine bien un certain êthos, – la pauvreté volontaire – en tant que moyen qui permette de l'atteindre. Nous posons que cette finalité peut être plurielle et nous posons que la motivation qui justifie un genre˗de˗vie fondé sur la pauvreté volontaire trouve sa vérité soit au travers d'un projet eudémonique, soit au travers d'un projet béatifique. Ainsi et afin de nous conforter dans notre conviction, nous devrons appréhender avec sérieux l'affirmation de Pierre Hadot, lorsqu'il affirme que bien plus important pour lui que de construire un système conceptuel, l'oeuvre du philosophe s'apparente à la recherche d' « un art de vivre » 30 :

L'exercice de la philosophie n'était donc pas seulement intellectuel, mais pouvait être aussi spirituel. Le philosophe ne forme pas seulement alors à un savoir parler, à un savoir discuter, mais à un savoir vivre au sens le plus fort et le plus noble du terme. C'est à un art de vivre, à un mode de vie qu'il convie ses disciples 31 .

P. Hadot justifie alors les systématisations que l'on trouve dans les philosophies antiques, en ce qu'elles permettent l'élaboration de dogmes, de règles de vies, qui « ont pour fonction essentielle de diriger le choix de vie du philosophe » 32 . Il affirme la nécessaire pratique pour le philosophe d'exercices spirituels. Cette pratique est qualifiée de « volontaire, personnelle, destinée à opérer une transformation de l'individu, une transformation de soi » 33 . L a philosophie se réalise au sein d'une subjectivité et elle s'incarne donc dans un corps puisque il n'y a pas de sujet sans corps. Il faut une conversion et une transformation du sujet, dit Foucault, qui s'opère par un travail de soi – l' Eros – en vue de sortir de sa condition actuelle d'une part, et par un « long labeur » 34 – l' askêsis – d'autre part. Dès lors des conditions à la « Vérité » doivent être réunies, ces conditions dépassant de loin de simples habitudes de l'âme (notamment exercée par la logique, discipline propédeutique), mais qui obligent le corps même du philosophe. Cette askêsis emprunte pour une part la pratique de la pauvreté volontaire, qui est par ailleurs sujette à imitation, puisque exemplaire. Ce genre˗de˗vie se doit de se perpétuer et de se diffuser ; mais pour cela, les racines métaphysiques et leurs corollaires seront mises à l'épreuve de son effectuation. Cette dernière elle˗même engendrera une dynamique, une dialectique qui provoquera un enrichissement du concept par son déploiement dans le monde. Il ne semble en effet pas facile de pratiquer ce libre renoncement à l'égard de l'objet du désir , cette difficulté engendre par retour un discours qui rend compte de cette difficulté, ce que nous nommerons la querelle de la pauvreté volontaire.

2. Une querelle de la pauvreté

On peut parler de querelle en ce sens que la pauvreté volontaire et notamment la pauvreté évangélique se soit constituée en problème, et que ce problème s'étale sur la longue durée. Ainsi, opérant un retour sur l'extrait du Perfectae caritatis , il nous apparaît que ce problème n'est pas réso lu ; cette pauvreté devant s'exprimer, sous une « forme nouvelle ». Il serait osé d'affirmer que chaque manière de vivre sa pauvreté volontaire fasse problème, mais il semble évident qu'à tout le moins, certaines manières de la vivre engendrent des problèmes, des contradictions et ne peuvent donc manquer de susciter des querelles pour les résoudre, les surmonter. S'il est besoin pour la curie romaine d'écrire sur un sujet, c'est que la pauvreté volontaire ne fait pas l' unanimité, qu'elle ne va pas de soi au sein même de la communauté chrétienne, que sa réalisation, son incarnation même, est loin d'être évidente, bref qu'elle a du mal à se vivre comme une « seconde nature », et cela en dépit des deux millénaires qui nous séparent de l'accouchement de ce genre˗de˗vie. Aussi, les termes employés dans le texte nous ramènent loin en arrière et témoignent de controverses qui ont été vives et qui ont constitués autant de moment de l'accouchement et du déploiement – de l'effectuation – du concept. En quoi la pauvreté volontaire serait˗elle un problème ? C'est précisément au travers de la détermination du concept que nous allons répondre à cette question. Il s'agit donc, parlant de cette querelle, de reconnaître un hiatus entre l'idéalisation d'un concept et sa réalisation. Cette contradiction exprimée par Hans Urs Von Balthasar, qui, s'interrogeant sur la spécificité du Christ, souligne l' incapacité du Chrétien « à accomplir le plus élémentaire des commandements de Jésus, à commencer par la solidarité avec les pauvres, non avec les riches » 35 . Cette remarque touche bien à la pauvreté volontaire, puisque être solidaire des pauvres, c'est se faire pauvre avec les pauvres. La pauvreté volontaire constitue donc un problème, mais est˗il insoluble ? La résolution du problème posé par le concept serait sa néantisation en ce que ses déterminations sont intrinsèquement contradictoires, mais ce faisant on anéantirait par là˗même un idéal, une possibilité de vivre « en vue de ». Pourtant l'histoire nous montre que l'homme n'a jamais été prêt à extirper de sa culture ce concept, ce dernier étant constamment reposé, revivifié, jusqu'à aujourd'hui. Dans nos sociétés sécularisées, la pauvreté volontaire est vue comme une pratique, un habitus particulier. Elle ne fait plus partie du cadre éthique général auquel nous appartenons, mais persiste en tant que composante de communautés particulières. Ce concept « colle » à l'idée de l'homme et en ce sens permet de répondre à la question anthropologique : « Que dois je faire ? ». Dans la société actuelle, il semble difficile de comprendre l'idée d'une pauvreté voulue par un sujet revendiquant une certaine liberté et désirée comme un état de très haute dignité. La marginalisation de la pauvreté volontaire est un phénomène peut˗être plus récent que ce que l'on pourrait penser. Peut˗être c e phénomène est˗il attribuable au fait que la société actuelle a plus que jamais fait sien le mot d'ordre « Enrichissez˗vous !» et qu'elle a trop abandonné tout discours porteur d'une métaphysique. Il semble ainsi que nous vivions désormais sous l'impératif étrange de la cupidité , alors que cette dernière était réprouvée au sein de sociétés dont l'éthique avait un caractère jus˗naturaliste, tirant ses prin cipes d'une cosmogonie, d'une cosmologie et/ou d'une théologie . Comment donc expliquer cette pulsion de profit ou cet appât du gain  ? Interroger la pauvreté volontaire est donc une posture éminemment critique qui participe du projet des Lumières, car elle oblige à questionner le coeur de notre société ; elle l'a met en danger . Elle permet d'interroger des affirmations, telles que celle de Baudrillard posant son regard sur la société de consommation : « toutes les sociétés ont toujours gaspillé, dilapidé, dépensé et consommé au˗delà du strict nécessaire » 36 . Il justifie son propos par l'affirmation anthropologique que c'est par la « consommation d'un excédent, d'un superflu que l'individu mais aussi la société se sent non seulement exister mais vivre » 37 . Est˗ce si vrai ? Pour Baudrillard, la réalisation de l'homme est conditionnée par la satisfaction du superflu :

Le dernier des mendiants a encore un rien de superflu dans la plus misérable chose. Réduisez la nature aux besoins de nature, et l'homme est une bête : sa vie ne vaut pas plus. Comprends˗tu qu'il nous faut un rien de trop pour être ? 38

Baudrillard se refuse à regarder les hommes qui fonde leur réalisation dans ce refus du « rien de trop », car il fait reposer sa thèse sur l'idée anthropologique naïve (selon ses propres mots) que le bonheur repose sur l'accès au bien˗être matériel  : « tous les hommes sont égaux devant le besoin et devant le principe de satisfaction, car tous les hommes sont égaux devant la valeur d'usage des objets et des biens » 39 . Bien que Baudrillard qualifie de mythe l'accès à la consommation comme clef du bonheur, il affirme en même temps l'universalité du désir de superflu. Pourtant des parcelles d'humanité témoignent du caractère illusoire du besoin de superflu en tant que devoir˗être de l'homme. Elles ont choisi de vivre du strict nécessaire 40 . Interroger la pauvreté volontaire permet donc de falsifier le caractère prétendument universel de l'obtention fantasmée d’un bien˗être matériel comme unique but et genre˗de˗vie.

3. Aux racines d'une morale sociale

Comme il nous faut comprendre le concept de pauvreté volontaire dans un contexte donné, nous l'aborderons au travers de son inscription au sein d’une morale sociale 41 . Il s'agira donc de comprendre comment ce concept participe à un système de règles que l'homme doit observer au sein d'une communauté et/ou d'une société en se rapportant à ses pairs . La morale sociale comprend deux aspects à la fois complémentaires et distincts. D'une part, elle comporte une réflexion métaphysique et spéculative, qui place l'homme au sein de l'univers, et détermine sa position relativement à la divinité et à ses semblables. Le premier aspect participe donc d'une philosophie théorique. D'autre part, elle comprend une réflexion normative qui découle 42 du premier aspect. Ce deuxième aspect participe d'une philosophie pratique. De ces deux aspects découlera le genre˗de˗vie promu. Cette articulation entre métaphysique et morale nous permet de distinguer deux déterminations majeures au sein de notre démonstration ; déterminations qui recouvrent pour une part, et une part seulement, donc accidentellement, deux moments historiques différents que nous proposons de qualifier, d'une part, de « pauvreté volontaire eudémonique » et d'autre part de « pauvreté volontaire béatifique». Ces deux moments ne sont pas essentiellement des moments qui se succèdent dans le temps. Ils ne constituent pas des étapes qui cha cune posséderait son terminus ad quem. Au contraire, ces moments peuvent se côtoyer voir s'influencer réciproquement. Ainsi, il nous faut refuser l'idée commune d'une distinction entre une pauvreté volontaire païenne et une pauvreté volontaire chrétienne, comme l'opposition de deux catégories fixes et bornées, qui se feraient front. Bien que cette dernière division reflète une grande part de la réalité, elle ne la reflète, selon nous, qu'à titre accidentel. Nos catégories ne changent pas grand chose à l'extension comprise en leur sein, mais elles permettent de saisir le concept bien plus dans son idéalisation que dans sa réalisation. Pour repérer le caractère essentiel et non accidentel de la pauvreté volontaire, nous distinguons deux finalités anthropologiques, qui soulignent que par delà les apparences d'une même pratique, ce sont les motivations qui déterminent la pauvreté volontaire. Cette motivation – que l'on retrouve chez un auteur chrétien, le père jésuite Mourgues, en tant que cause finale, semblerait être au cœur de notre distinction. Ce dernier se demande comment il se fait que « le chrétien » et « le philosophe », partant de principes si différents, en viennent à partager une même morale ? 43 Sa réponse tient en une distinction de motivations, de finalités : pour le Chrétien elle est d’ : « Aimer Dieu et lui apporter toutes ses intentions et toutes ses actions », – adage qui n'est rien de moins que la Règle d'or – tandis que pour le Philosophe, elle est d’ :   « Aimer son propre repos et y apporter toutes choses ». 44 Ces deux finalités qui possèdent leur moment de vérité se doivent néanmoins d’être nuancées et complétées par une autre réflexion. Premièrement, le fait d'aimer son repos peut laisser accroire une certaine attitude égoïste. Or, les philosophes de l'antiquité – Platon, les stoïciens, les épicuriens,... 45 – se souciaient beaucoup des autres. Deuxièmement, il convient de préciser que la divinité est une commune réalité au sein des sphères païennes et chrétiennes. Le divin n'est pas étranger à la cité grecque, bien que – et la nuance est d'importance – il ne possède pas les mêmes caractères et ne se rapporte pas à l'homme similairement que dans la sphère chrétienne.

Ainsi Festugière souligne que philosopher est en quelque sorte se diviniser 46 , et c'est l'apanage de l'élite pa ïenne. C'est dans la manière qu'a l'homme de se rapporter à Dieu, que nous allons pouvoir distinguer deux grands paradigmes de pauvreté volontaire. Nous allons voir que la manière de se rapporter à Dieu provient de deux finalités différentes. Ainsi Festugière, affirme qu'il manque quelque chose à ce « païen bien élevé » 47 , il a fait du divin quelque chose de quelque peu inaccessible : « Un abîme sépare l'homme des dieux. Ils ne sont pas de la même race » 48 . Si cet attrait pour les dieux prend diverses formes, Festugière relève qu'elles trouvent leur unité dans cet échec. Ainsi il remarque que dans le cas du platonisme « s'il existe bien des relations de l’homme à Dieu, il n'y en a point de Dieu à l'homme » 49 . C'est à cet endroit dit Festugière, que les grecs failliront :

Il est parfaitement indifférent à Dieu que l'homme atteigne ou non son but. Dieu n'aime pas l'homme. Et Dieu n'aime pas l'homme parce qu'Il ne l'a pas créé, et qu'ainsi l'homme n'est pas sa chose encore moins son enfant. C'est ici l'abîme entre la philosophie grecque et le christianisme 50 .

Il faut peut˗être nuancer les propos de Festugière. Ainsi ailleurs, Platon nous laisse entrevoir un rapport réciproque entre les hommes et Dieu : pour Diotime, dialoguant avec Socrate, le démon (δαιμων) devait servir d'intermédiaire entre les Dieux et les hommes, traduisant et transmettant à l'un ce qui vient de l'autre et inversement, afin que – par les prières et sacrifices des uns, ordres et rétributions des autres –, « Tout soit lié à lui˗même » 51 . De même le stoïcisme intègre pour une part la religiosité populaire 52 , au sein de laquelle la bonté participe de la divinité 53 . Toutefois, Sénèque affirme que Dieu à une tendresse de père – et non de mère – pour les hommes 54 . Tendresse assez étrangère à celle du christianisme. Cette bonté virile, brutale même, puisqu'elle éprouve les hommes par le malheur 55 , n'est par ailleurs dispensée qu'à ceux qui le méritent 56 . N ous sommes loin d'un Dieu qui souffre pour le pécheur. Ajoutons enfin que la confatalité stoïcienne avec ses diverses pratiques, n'était pas non plus le rapport intime et personnel de l'homme à Dieu ; le Dieu stoïcien envoie bien des signes aux hommes 57 , mais la pratique divinatoire de l'homme n'est que recherche de ses signes, non dialogue avec Dieu. Enfin nous avons aussi une difficulté à assimiler les motivations de la morale aristotélicienne avec celles des chrétiens. Pour Aristote ce qui rend l'homme heureux est la contemplation de la cause finale de l'univers et la connexion des êtres entre eux et avec leur fin, ce qu'il nomme la théologique, « science de l'être séparable et immobile » 58 , premier et souverain principe 59 dont il ne doute pas de son existence 60 . Si l'homme ainsi imite Dieu dont l'activité n'est autre que le contemplation de soi, et que se faisant s'immortalise autant qu'il lui est permis, cette assimilation semble peu incarnée ; l'homme imite, de si loin , le divin !

L'éthique grecque serait en vue du seul bonheur et Festugière doute que cette motivation soit dépassable 61 . Festugière se distingue tout de même de Mourgues, car il n'y a pas d'opposition entre recherche du bonheur, d'une part, et recherche béatifique, d'autre part : en un certain sens la quête eudémonique est la condition de possibilité de la quête béatifique ; mais le christianisme plus que la pensée grecque se donnera les outils adaptés pour parvenir à sa fin. Le païen ne connaîtrait que bien rarement cette contemplation divine 62 , c'est ce que Festugière nommera « l'échec des philosophes » 63 :

Et c'est pourtant l'aveu d'une défaite singulièrement douloureuse pour les âmes un peu profondes. Car il s'agit enfin de savoir s'il y a un Dieu, et si ce Dieu s'intéresse aux hommes, s'il existe un lien entre Lui et nous. Il s'agit de savoir ce qu'est l'âme humaine, si elle a rapport à Dieu, vient de Lui, à Lui retourne. Bref il s'agit de notre bonheur, de notre tout. Voilà ce que l'élite demande aux philosophes. Des négations, des doutes, des sourires, un cliquetis de mots, ne suffisent point. On veut une certitude, une lumière qui rayonne, convainque, soutienne, console. Or les philosophes se renvoient la balle. [...] Cicéron [...] ne sait offrir à l’anxiété humaine que la réponse d'une sagesse courte : il faut mépriser la mort, supporter la douleur, patienter dans la maladie, ne point laisser troubler son âme, se contenter, pour être heureux, de la vertu toute seule 64 .

Nous entrevoyons qu'il ne suffit pas d'opposer pauvreté volontaire païenne et chrétienne. De la différence de motivations et d'efficacité de moyens découle une idéalisation du concept de pauvreté volontaire qui soit participe au bonheur ici˗bas, soit permet d'atteindre le bonheur et le Salut en accédant au divin dans un idéal de vérité. Ceci dit, bien qu'elles soient basées sur des déterminations premières différentes, ces deux types de pauvretés volontaires peuvent se trouver ressemblantes au travers de déterminations secondaires qui s'enracinent dans la facticité du monde 65 . Nous pouvons constater des traits c ommuns au sein de chaque sphère, et même parfois soupçonner à tort ou à raison des rapports de continuité, de filiation. La pauvreté volontaire ne s'inscrit pas dans une morale sociale seulement suivant son type de relation à Dieu, mais également suivant les types de conséquences an tagonistes qui peuvent découler d'un seul et même postulat métaphysique.

II. La pauvreté volontaire eudémonique

1. La pauvreté volontaire au sein de la polis

La pauvreté volontaire, en tant que libre renoncement à l'égard de l'objet du désir fa it partie de la réalité grecque, elle y a trouvé son idéalisation et son effectuation de manière plurielle. Peut˗on ou non parler d'une métaphysique de la pauvreté volontaire et quelles sont les motivations qui se cachent derrière celle˗ci ? Il nous faut en guise de propédeutique en déterminer l'archè et exposer qu’elles en seront les conséquences au sein de la polis ; tout comme il nous faut la comprendre au sein de la pluralité de morales sociales qui coexistent au sein de cette société.

a) Aux racines de la pauvreté volontaire : la Dikê

L'ordre cosmique, loi immanente à l'univers, préside l’organisation de la société grecque 66 . De cet ordre cosmique découle une « règle de répartition » qui prend la forme d'un ordre égalitaire pour tous 67 . C'est le règne de la justice, la Dikê . Par ailleurs, un des traits de la polis est fondé sur la distinction d'un domaine public et d'un domaine possédant des procédures secrètes, le premier s'étant dégagé du second 68 . Ce processus transformera la société pour donner place à la parole publique, donc à la publicité des débats. Conséquemment, la sophia et la philosophia proposent comme alternative aux rites d'initiation traditionnels une règle de vie – un êthos ascétique. Certains membres de la polis prétendent réformer la vie sociale pour ordonner la société 69 . Ces membres se sentiront semblables ( Homoioi ), puis égaux ( Isoi ), « à l'intérieur d'un système dont la loi est l'équilibre » 70 . Ainsi , l' isonomia 71 , condamnant la démesure, l' hubris 72 , engendre le rejet de la richesse ostentatoire, de l'apparat vestimentaire et des rituels funéraires somptueux. L a Dikê , comme principe métaphysique, est à la racine d'un discours normatif qui c ondamne l’opulence et promeut « un idéal austère de réserve et de retenue et un style de vie sévère presque ascétique » 73 . Cet idéal trouvera une diversité d'effectuations au sein de cette société 74 .

La réprobation de la richesse semble être dictée par la volonté de maintenir l' unité et l' harmonie de la cité. Le motif d'une pauvreté volontaire est donc le bon fonctionnement de la cité. Cet idéal d’austérité conduit à l’excellence (areté) s'opposant à l' habrosuné (luxure) et est à la source de divers genres˗de˗vie :

La vertu est le fruit d'une longue et pénible askesis, d'une discipline dure et sévère, la melétè ; elle met en œuvre une épimeleia, un contrôle vigilant sur soi, une attention sans relâche pour échapper aux tentations du plaisir, à la hedonè, à l'attrait de la mollesse et de la sensualité, la malachia et la truphè, pour leur préférer une vie tout entière vouée au ponos, à l'effort pénible 75 .

Enfanté par la Dikê , l' êthos ascétique participe d'une pauvreté volontaire . Cet êthos , qui est d'abord une idéalisation prend aussi la forme d'exercices spirituels, puisqu'il est également une réalisation et une incarnation. L'argent est un sujet d'attention au VI e siècle et Solon affirme que c’est la satiété qui enfante la démesure. Il n'est pas seul ; la condamnation de la luxure, à laquelle s'oppose la sôphrosunè qui a pour trait principal la juste mesure est un thème commun. Cette condamnation de la luxure se retrouve notamment chez Theognis de Mégare qui affirme que « Ceux qui ont aujourd'hui le plus en convoitent le double » ajoutant que « la richesse, devient chez l'homme folie » 76 . Avec Solon, on perçoit la difficile articulation entre idéalisation et réalisation d'une société juste. S’appuyant sur La Théogonie et sur Les Travaux et les Jours d'Hésiode, il ambitionne de réaliser la polis comme un « cosmos harmonieux » 77 . Cette ambition trouve donc son origine dans une volonté divine 78 . Dans son Poême 79 , il décrit Athènes selon le principe de l'eunomia, de la «   bonne organisation civique   », aboutissement d'une cité juste et pacifiée 80 . Solon opère la réalisation de cette idéalisation avec la réforme de la sisachthie, la « levée du fardeau » 81 , politique destinée à « libérer les hommes et les terres par la justice et par la force » 82 . En un certain sens, Solon se fait Dieu 83 et on a un glissement du mythique vers le politique, puisqu'il s'empare, aux dires d'Hérodote 84 , des prérogatives qu'avaient Zeus. Si nous n'avons pas encore ici l'idée d'une pauvreté volontaire – puisque la justice est le fait du gouvernant, et non du gouverné – malgré tout cette sôphrosunè, nous permet de comprendre comment la pauvreté volontaire peut s'inscrire au sein de la polis. La pauvreté volontaire est rendue possible par le dépassement de la tension qui oppose les passions (thumos) à la prudence raisonnée par la maîtrise de soi, la sôphrosunè 85 . Agissant au niveau individuel, cette maîtrise permet le salut individuel et sociétal, car elle serait fondatrice d'une cité pacifiée. Cette société pacifiée est donc le fruit de citoyens vertueux :

Ces techniques [de maîtrise de soi ] forment une paideia qui ne vaut pas seulement au niveau des individus. Elle réalise en eux la santé, l'équilibre ; elle rend leur âme ''continente'', maintient en sujétion la partie qui est faite pour obéir ; mais du même coup elle acquiert une vertu sociale, une fonction politique : les maux dont souffre la collectivité, ce sont précisément l'incontinence des riches, l'esprit de subversion des ''méchants''. En faisant disparaître l'un et l'autre, la sôphrosunè réalise une cité harmonieuse et accordée, où les riches, loin de désirer toujours plus, donnent aux pauvre leur superflu – où la masse, loin d'entrer en révolte, accepte de se soumettre à ceux qui étant meilleurs, ont droit de posséder davantage » 86 .

Nous ne sommes plus dans le cadre de la réforme solonienne. Ici ce sont les gouvernés et non le gouvernant qui participent à l'harmonie de la cité. Nous descendons au niveau des intentions de l'homme, donc de ses désirs. Néanmoins, l'égalité prônée par Solon, reste une égalité hiérarchique, Solon reste un aristocrate. Il s'agit d'une égalité devant la loi 87 . Cette égalité (isotès) aristocratique, considérant la polis comme « un cosmos fait de parties diverses, maintenues par la loi dans un ordre hiérarchique », se réalise au travers d'une équité d'ordre harmonique, homonoia, qui serait l'option préférentielle des pythagoriciens 88 et de Platon 89 . Cette homonoia semble prendre en compte la redistribution des richesses : « grâce à cela, [le calcul raisonné] les pauvres reçoivent des puissants, et les riches donnent à ceux qui en ont besoin » 90 dit le pythagoricien Archytas de Tarente. Nous pouvons donc entrevoir une redistribution de richesses, c'est˗à˗dire l'idée de se défaire, de se détacher d'une partie de ses possessions en vertu d'un principe de gouvernance du cosmos. C'est aussi ce que nous rapporte Archytas dans un de ses célèbres textes :

Il faut que la loi soit conforme à la nature, qu'elle exerce une puissance effective 91 sur les choses et soit utile à la communauté politique; car si l'un de ces caractères, ou deux, ou tous lui manquent, ce n'est plus une loi, ou du moins ce n'est plus une loi parfaite. Elle est conforme à la nature, si elle est l'image du droit naturel, qui se proportionne, et attribue à chacun suivant son mérite ; elle est puissante, si elle est en harmonie avec les hommes qui lui doivent être soumis; car il y a beaucoup de gens qui ne sont pas aptes à recevoir ce qui est par nature le premier des biens, et qui ne sont en état de pratiquer que le bien qui est en rapport avec eux et possible pour eux; car c'est ainsi que les gens malades et souffrants doivent être soignés. La loi est utile à la société politique, si elle n'est pas monarchique, si elle ne constitue pas des privilèges, si elle est faite dans l'intérêt de tous, et s'impose également à tous 92

Ainsi Archytas affirme que la loi des hommes « est conforme à la nature, si elle est l'image du droit naturel, qui se proportionne et attribue à chacun suivant son mérite ». Cette loi – basée sur les mathématiques – aurait d'ailleurs été reprise, avec un traitement différent, par Platon, Isocrate, Arisote et d'autres après 93 . C'est au travers de la différenciation des trois types de proportionnalité (subcontraire, arithmétique et géométrique), dont le choix est justifié par quatre critères, que sont distingués les différents régimes politiques. Archytas lui˗même rejette d'abord le régime monarchique, qui ne répond pas à l'exigence que la loi profite à tous. Ensuite au sein des régimes politiques, il rejette également le modèle oligarchique qui attribue la richesse de manière inversement proportionnelle au mérite. Reste le droit aristocratique ( eunomia ), et le droit démocratique ( isonomia ). Le premier correspond au modèle proposé par Solon et reste une répartition inégale. Le second correspond au modèle proposé par Clysthène. Archythas est favorable au premier modèle agrémenté d'une redistribution basée sur une morale qui s'appuie sur une paideia philosophique, afin d'atteindre à l' homonoia 94 , Ce qui nécessite donc l'exercice d'une pratique qui conduit à une pauvreté volontaire, à tous le moins un appauvrissement volontaire.

Ce schème surplombant la diversité des points de vue au sein de la Grèce classique puis de l’hellénisme tardif jusqu'au stoïcisme tardif permet donc de situer les réflexions des philosophes relativement à leur appréhension du rapport entre richesse et pauvreté et de constituer pour une part une morale sociale qui peut être qualifiée d'eudémonique. Si on perçoit que l'émergence possible d'une pauvreté volontaire s'inscrit dans une compréhension du monde qui a pour prétention de déduire une morale d'un principe premier qui gouverne le monde, on comprend dès lors que l'on retrouve une certaine unité parmi les différentes doctrines philosophiques qui sont prônées au sein d'une même société. Pour autant cette constatation doit être complétée par le fait que ces principes métaphysiques vont être appréhendés par des êtres intentionnels, travaillés par leurs désirs et des intérêts particuliers, et qu'ils vont tirer des conclusions différentes, entraînant une pluralité de manières d'être au monde.

Ainsi nous devons comprendre la part de désir dans cette conception du monde. Cette Diké , originellement panthéonique et qui s'ancre cosmiquement, s'incarne sur le plan humain au sein même de la polis . Qui plus est, cet idéal de justice relie organiquement l' individu à la société dont il fait partie. Du fait de cette idée de Loi de la Nature, il n'existe pas de rupture entre la morale individuelle et la sphère collective, vue comme une société 95 . A u sein de la philosophie platonicienne, le principe cosmologique participe de l'âme humaine ; la justice est participante de la nature de l'homme. Ainsi Platon nous présente dans le Timée 96 , la cosmologie d'un démiurge, « fabriquant et père de l'univers » 97 , qui, ayant besoin d'une image pour créer le monde puisqu'il ne peut fixer son regard sur ce qui est engendré afin de trouver un modèle, va le faire sur ce qui est éternel 98 . Ce qui nous importe, c'est ce moment où le démiurge s'adresse aux dieux, qui seront eux˗mêmes démiurges des espèces mortelles:

Afin donc que ces êtres soient mortels et pour que le tout soit réellement le tout, appliquez˗vous, selon votre nature, à être les démiurges de ces vivants, prenant modèle sur la puissance que j'ai déployée pour assurer votre naissance. Et en ce qui concerne la partie qui en eux doit porter le même nom que les immortels, cette partie qu'on appelle ''divine'' et qui commande chez ceux d'entre eux qui ne cessent de pratiquer la justice et qui souhaitent vous suivre, cette partie, que j'ai semée et que j'ai pris l'initiative de faire venir à l'existence, je vais vous la confier 99 .

La partie divine est ainsi présente, « semée », chez les vivants qui pratiquent la justice. Cette justice participe de cette partie immortelle et divine 100 présente en chaque être humaine.Elle est au fondement de l'harmonie et de la juste mesure, et donc de la proportionnalité comme donation du démiurge :

Alors que toutes choses se trouvaient dans le désordre, le Dieu introduisit en chacune d'elles la mesure qui permet de les évaluer quantitativement et de les comparer sur ce plan les uns avec les autres et cela dans tous les cas et de toutes les façons puisqu'il leur était possible revêtir proportion et mesure. Auparavant en effet, elles ne participaient en rien de la proportion et de la commune mesure. [...] Mais tout cela, le Dieu commença par y mettre de l'ordre, puis il s'en servit pour constituer cet univers˗ci, qui est un vivant unique, comprenant en lui tous les vivants mortels aussi bien qu'immortels » 101 .

Pour Platon, l'harmonie lie l'homme et le cosmos. Le cosmos est à l'origine de l’homme et l’homme participe au cosmos :

Il y a donc pour tout être une seule façon de tout soigner : accorder à chaque partie les aliments et les mouvements qui lui sont appropriés. Les mouvements qui sont apparentés à ce qu'il y a de divin en nous, ce sont les pensées et les révolutions de l'univers. Voilà bien les mouvements en accord avec lesquels chacun, par l'étude approfondie des harmonies et des révolutions de l'univers, doit, en redressant les révolutions qui dans notre tête ont été dérangées lors de notre naissance, rendre celui qui contemple ces révolutions semblables à ce qui est contemplé en revenant à son état naturel antérieur, et après avoir réalisé cette assimilation, atteindre le but de la vie la meilleure proposée aux hommes par les dieux pour le présent et pour l'avenir 102

Le principe immortel de l'âme participe du corps tout entier de l'homme 103 , considéré comme son « véhicule » mortel 104 . La justice est donc consubstantielle à l'homme. Platon place le principe de la justice en l'homme par son lien avec le cosmos, ce lien étant incarné par la cité. Ce faisant nous comprenons que le libre renoncement de l'objet de son désir s'accorde avec la métaphysique partagée dans la société, encore faut˗il voir comment cet idéal trouve son effectuation.

Dans La République 105 Platon détermine ce qu'il en est de la justice. Adimante et Socrate conviennent que la justice des individus peut se trouver analogiquement au départ de la justice de la cité 106 . Cette dernière est donc démonstrativement le point de départ de la résolution de ce qu’est la justice 107. Mais dans l'ordre des causes, la justice prend place au sein d'une anthropologie et la cité découle de la satisfaction des besoins de l'homme : la cité doit pourvoir à leurs besoins 108 . C'est en vertu de la modération (ou de la tempérance) du citoyen que la justice trouvera son effectuation au sein de la cité. La modération est une des conditions, l'une des multiples causes partielles concourantes de la justice. En effet, il appert que la justice est le dénominateur commun aux trois vertus que sont la sagesse, la modération et le courage 109 . Cette justice est entrevue comme ce qui serait « la possession de ce qui est notre propriété et dans la pratique de notre tâche propre » 110 . À l'échelle de la cité, il s'agit donc pour chaque citoyen de pratiquer son métier 111 . Analogiquement, à l’échelle de l'individu, il s'agit pour chaque partie de l’âme de désirer son objet naturel 112   : «  C'est dans la mesure où chacun des < principes > qui nous constituent remplit ses fonctions que chacun de nous sera juste et qu'il se consacrera à ce qui est sa tâche propre » 113 . Le désir bien ordonné est donc au fondement de l'excellence de la cité. Selon Platon, trois principes animent l'homme, le rationnel, celui de l'ardeur du cœur et le désirant. La modération découle « de l'amitié et de la concorde entre ces trois principes » 114 et rend l'homme juste 115 . Ainsi, en vertu de la fonction dirigeante de la raison sur les autres principes, Adimante et Socrate accouchent « d'un certain modèle de la justice » 116 qui donne « un être entièrement unifié, modéré et en harmonie » 117 . L'homme accomplit alors avec sagesse ceci ou cela. C'est dans ce cadre que doivent se comprendre les réflexions de Platon sur la richesse et la pauvreté.

Partant d'une anthropologie, nous aboutissons à une politique. Platon affirme que l'homme ne peut se suffire à lui˗même tout en ayant beaucoup de besoins. Ce qui le conduit à affirmer la nécessité d'une vie en commun, donc dans la cité. Ainsi l’homme, notamment outillé, a cette capacité de produire ce do nt il a besoin au travers d' une division des tâches 118 . Paradoxalement, la pauvreté trouve aussi ses racines aux confins de la polis . La pauvreté est donc la conséquence factuelle de l'homme qui veut subvenir à ses besoins sans le pouvoir. C'est au sein la société, que l'on qualifie l'homme de pauvre, selon les rapports particuliers qu'il entretient avec ses besoins et avec ses ressources. C'est donc en ce lieu que se cristallise la notion de pauvreté, définie par Xénophon comme le fait «  de ne pas avoir à sa disposition ce dont on a besoin » 119 . Selon cette définition, le défini se caractérise par le manque, et plus précisément le manque du nécessaire. Comme exprimé ailleurs : « Je tiens pour pauvres ceux qui n'ont pas assez pour les dépenses nécessaires, et pour riches ceux qui ont plus qu'il ne leur faut » 120 . Ainsi la pauvreté et son contraire, la richesse, nous révèlent en creux qu'il manque un terme intermédiaire pour qualifier l'état où il n'y aurait ni manque, ni excès. Plus important encore, puisque « un individu est pauvre lorsque ses besoins sont supérieurs à ses ressources » 121 , il s'ensuit que l es ressources étant posées , la possibilité d'être riche ou pauvre n'est pas encore aliénée à celles˗ci, mais tombe sous la dépendance des besoins en tant qu'ils sont également des désirs

. Ces dernières considérations révèlent une inversion du contenu des termes corrélatifs (pauvre˗riche), du moment que l'attention porte sur les désirs et non plus sur les avoirs.

Tu ne verras pas non plus autant de pauvres parmi les particuliers que parmi les tyrans. Car ce qui est beaucoup et ce qui se suffit ne se détermine point par la quantité, mais par l'usage ; de sorte que ce qui est au delà de ce qui suffit est beaucoup, et peu ce qui est en deçà. Or, un tyran, avec beaucoup plus, se trouve avoir beaucoup moins qu'un particulier pour sa dépense. Les particuliers, en effet, peuvent restreindre leur dépense journalière comme ils l'entendent ; le tyran ne le peut pas. Car, comme ses dépenses les plus considérables et les plus nécessaires sont employées à la sûreté de sa vie, en rien retrancher, c'est se perdre. Et puis, tous ceux qui peuvent, par des voies légitimes, pourvoir à leurs besoins, pourquoi les regarder en pitié comme des pauvres ? Tandis que ceux que l'indigence contraint à user, pour vivre, de moyens injustes et honteux, comment ne pas les considérer, à juste titre, comme des malheureux et comme des pauvres ? 122 Nous constatons donc une tension, et même une inversion de ceux qui sont communément désignés comme pauvres ou riches, selon que l'attention dans la définition se focalise sur le désir ou sur ce dont on a le désir. Ainsi, le tyran peut être considéré comme pauvre, car ses besoins qui s'avèrent immenses ne seront jamais comblés 123 . Le tyran est pauvre de sa modération qui lui fait défaut. Il suffirait dès lors afin d'être ou de ne pas être pauvre, d'augmenter ou de réduire ses besoins, afin de dépasser ou de ne point dépasser la disponibilité de ses ressources. Un trait de la pauvreté serait donc un dépassement – un excès – de besoins corrélatif à une âme trop désirante. Nous avons une incapacité pour le principe rationnel de diriger et de coordonner harmonieusement les autres principes, dont le principe désirant. On découvre ainsi que pauvreté et richesse peuvent se dire de deux façons, soit par un manque ou un excès d'objet désiré, c'est le sens le plus commun, soit par un manque ou un excès de désir. Celui qui est pauvre dans le premier sens peut être riche en l'autre sens et inversement. On retrouvera cette dialectique bien plus développée au sein du christianisme. Platon dans Le Banquet , exprime que quiconque désire (επιθυμεί), désire une chose qui lui manque 124 . Ce désir est à comprendre comme un élan vers son corrélat, similairement à l'amour 125 . Tout comme l'amoureux, le pauvre est désirant de ce qui lui manque. Le pauvre s'attache initialement à quelque chose de matériel. Remarquons aussi que le désir s'inscrit dans une temporalité : « aimer les choses dont on on ne dispose pas encore, que l'on ne possède pas, n'est˗ce pas souhaiter que dans l'avenir ces choses˗là nous soient conservées et présentes » 126 . Les désirs s'inscrivent dans la durée, la résistance à ceux˗ci devront être persévérant.

La possession est inhérente à la réalisation d'un désir, de l'attachement. Ains i pour Platon, on aime que nous appartienne ce que nous aimons 127 car cela nous rend heureux : « la possession de bonnes choses fait le bonheur des gens heureux, et l'on n'a plus besoin de demander ''   Que veut celui qui veut être heureux ?   '' » 128 . Si l'on peut à juste titre parler de la possession comme la résultante d'un attachement, ce dernier sera essentiel à questionner dans l'idéalisation et la réalisation de la pauvreté volontaire. Retenons pour le moment que l'on voit apparaître la possibilité pour l'homme d'être riche ou pauvre en vertu de sa capacité à limiter ses désirs, soit à limiter ce que l'on aime et cela par l'exercice du principe rationnel. L'exemple du tyran nous expose que le pauvre est asservi à son désir de posséder, de s'attacher. Autrement dit, il manque de liberté. Dans ce cadre, le pauvre est celui dont l'objet de son désir est inaccessible. Il est contraint par son désir. Il en est autrement de la pauvreté volontaire, dans laquelle le renoncement n'est pas contraint, mais choisi. En ce sens, le renonçant est libre. Le pauvre qui l'est volontairement n'est plus attaché à un objet, il se détache, il coupe une relation qui le liait avec quelque chose en dehors de lui.

La pauvreté (πενια) est ressentie comme appréciable ainsi que le rapporte Platon le rapporte par l'entremise de Socrate, puisqu'elle ne «   suscite aucunement l'envie, aucunement la dispute ; elle se conserve sans qu'on veille sur elle, et la négligence la fortifie » 129 . Si la pauvreté est aimable, si on la désire, si on la veut à soi, il ne fait nul doute qu'elle soit l'objet d'une volonté, c’est˗à˗dire qu'elle soit – avant la lettre – une pauvreté volontaire. Cette perspective rejoint la définition que nous avions posée de la pauvreté volontaire, comme libre renoncement à l'égard de l'objet du désir  ; l'accent étant mis sur l'objet. Cette pauvreté volontaire est aussi un genre˗de˗vie, qui se veut exemplaire, à l'instar de Socrate vivant de peu 130 . De là découle l'idée du philosophe doublement maître, en doctrine et en sagesse. Platon partage cette idée selon laquelle les actes persuadent plus que les paroles, et plus encore, il pose la précédence des actes sur le discours. À ce propos, il rapporte les mots d'Hippias : « des gens disent des choses justes et font des injustices, tandis qu’en agissant selon la justice, on ne saurait être injuste 131 . Mais en considérant la pauvreté à l'aune du désir, ou plutôt à l'aune de l'attachement à son corrélat, l’affirmation de Socrate est pertinente, puisqu'il est détaché des objets qu'il pourrait désirer.

La pauvreté volontaire n'est pas seulement une affaire d'individus, bien au contraire, l'on ne peut nier les conséquences sociétales de la limitation des besoins. Une manière de vivre frugale et des individus simples dont les besoins seraient limités 132 contribuent selon Socrate à créer une société pacifiée. Des besoins limités ont pour conséquence une « cité véritable », en « état de santé » a contrario d'une cité « gonflée d'humeurs » 133 qui provoque guerres et misère 134 . Pour Socrate, la distinction entre une vie basée sur le nécessaire et reposant sur la modération ou une vie de luxe est analogue à ce qui distingue la justice et de l'injustice. Socrate pose donc qu’il existe une prééminence fondamentale de l'individu sur la société, les besoins des individus conditionnent la qualité de la société, et non l'inverse. Cela signifie aussi que les comportements de l'individu, du citoyen engagent la cité.

Il manquait un moyen terme entre pauvreté et richesse, c'est celui de la modération, qui est pour Socrate un remède contre la misère. Pauvreté et richesse ne sont pas seulement des contraires mais aussi deux extrêmes qui possèdent le même milieu, la modération est juge de ce qui fait la pauvreté et la richesse. Cette idée de modération comme juste milieu se retrouvera ailleurs. Dans La République , Platon fait tenir à Socrate le propos selon lequel la pauvreté et la richesse sont deux grands maux dont toute cité doit se garder 135 . Nous constatons donc l'idée d'une position intermédiaire entre deux extrêmes, c'est˗à˗dire d'un juste milieu 136 . Mais la modération est une disposition morale de l'homme, et même une vertu, qui doit correspondre à un état que l'on peut dire être celui de pauvreté volontaire. Il importe de distinguer l'état de modération, que l'on peut appeler pauvreté volontaire, de l'état de pauvreté, parfois considéré comme un état d'indigence. Ce point est bien mis en lumière par Aristophane 137 dans son Ploutos . Alors que Pauvreté s'adresse à Chrémyle, qui l'accuse de faire l'apologie d'une vie de gueux et de mendiants pour permettre à d'autres riches de consommer leurs productions, Pauvreté souligne que Chrémyle confond la catégorie des gueux et des mendiants avec celle des pauvres. Ainsi Pauvreté énonce que « La vie du mendiant dont [elle] parle, c’est de n’avoir jamais rien. Mais celle du pauvre, c’est de vivre d’épargne, de s’attacher à son travail, de ne manquer de rien et de n’avoir rien de superflu » 138 . Le pauvre chez Aristophane est donc celui qui matériellement se situe à cheval entre le manque et le superflu, mais qui pour cela doit travailler. La condamnation de l’oisiveté prend la forme d’une apologie du labeur chez Aristophane. La pauvreté se trouve être un outil indispensable aux possesseurs, car elle incite les ouvriers au travail. Sans cette pauvreté, les ouvriers s'installeraient dans l'oisiveté et ne produiraient plus les biens nécessaires aux riches 139 . La pauvreté est appréhendée chez Aristophane différemment de chez Platon, chez celui˗ci elle était jugée à l'aune des désirs, chez celui˗là à l'aune de la productivité. Une position morale ressort de cette distinction posée entre le gueux oisif et le pauvre besogneux. Aristophane s’avère être plus intéressé par les produits du travail. Par contre, la modération , qui laisse du temps libre sans oisiveté, est pour Socrate le gage d'une liberté chez l'homme. C'est cette conception qui conduit d'ailleurs Socrate, , a contrario des Sophistes, à se faire payer 140 , préférant partager que vendre sa sagesse. Plutôt que d'accumuler des succès, il préfère mieux se connaître et avoir de bons amis. Ceci étant dit si le temps de loisir est considéré par Socrate comme un grand bien, l'oisiveté est chez lui aussi perçue comme étant néfaste 141    :



Quels sont donc les hommes les plus sages, de ceux qui restent dans l’oisiveté, ou qui s’occupent de choses utiles ? Les plus justes, de ceux qui travaillent, ou qui, sans rien faire, délibèrent sur les moyens de subsister ? 142 .

Du temps de loisir, certes, mais pas à ne rien faire, et certainement pas en vue de mettre à mal l'harmonie de la cité !

b) Radicalisation de la pauvreté volontaire

Le genre˗de˗vie de Socrate est donc digne d'exemple. Il sera donc imité. L'attitude de Socrate à l'égard des possessions, évoquée précédemment, se retrouve chez les Cyniques 143 . Les Cyniques nous apportent le témoignage d'un dénuement volontaire, radical. Ils nous sont surtout connus par leur mode de vie. Il convient néanmoins de ne pas les considérer comme un courant homogène, en effet les Cyniques « tardifs » n'ont parfois plus grand chose à voir avec leurs maîtres et prédécesseurs. L'étude de l'apparence des genres˗de˗vie n'est pas suffisante pour comprendre un courant philosophique, car elle cache des motivations différentes. Mais si l'on s'accorde avec Kant sur le fait que le philosophe cosmique, en tant que «  maître de la sagesse par la doctrine et par l'exemple » 144 , est le vrai philosophe, alors il est difficile d'en faire totalement abstraction. G. Agamben a ainsi très bien vu les rapports ambigus entre l'habitus et l'habit 145 . Le mode de vie participe à la détermination du concept, et il est donc proprement philosophique.

Un exemple marquant nous vient de l'histoire de Cratès. Diogène Laërce rapporte que Cratès, qui portait en été un manteau épais et des haillons l'hiver 146 afin de se conformer à la philosophie cynique se dépouilla de sa fortune : «  Lorsqu'il eut converti ses biens en argent – il faisait partie en effet des gens en vue – et qu'il en eut retiré dans les deux cents talents 147 , il distribua la somme à ses concitoyens » 148 . On peut entrevoir une radicalisation du projet socratique dans cette pratique, car Socrate n'a pas été jusqu'au dépouillement complet. Cette pratique du dépouillement – novatrice – sera vue comme hautement exemplaire, et elle semble de manière surprenante avoir eu un effet attractif. Ainsi une certaine Hipparchia se trouve être subjuguée par Cratès. Les parents d'Hipparchia, opposés au mariage, demandèrent à Cratès de l'en dissuader. Cratès se dénuda alors devant elle en affirmant qu'il ne possédait que son corps nu et qu'en se mariant avec lui elle devrait adopter « le même genre de vie » que lui. Mais cet élan de sincérité eut l'effet contraire à celui souhaité 149 . Outre l'acte qui consiste à devenir volontairement pauvre en distribuant ses richesses après les avoir vendues, cet exemple met en scène ostensiblement l'extrême dépouillement et l'idée d'un genre˗de˗vie qui invite l'autre à le reproduire.

Le dépouillement volontaire de Cratès se retrouve chez un autre Cynique, Antisthène – maître de Diogène le Chien. Dans Le Banquet de Xénophon, Antisthène fait l'éloge de la pauvreté. Il se glorifie de sa « richesse », alors qu'il ne possède même pas une obole et très peu de terre 150 . Pour Antisthène, cette pauvreté est un état de fait non pas subi mais désiré. Il met ses idées en pratique et il affirme que les hommes ne logent pas leurs richesses « dans leur maison » mais dans leur âme 151 . Pour Antisthène, l'homme soumis à son désir de richesse se transforme en besogneux et prend des risques pour sa santé. C'est un thème qui était déjà présent chez Socrate. Antisthène compare le désir de richesse à une maladie 152 . Il estime que ses possessions du riche sont si grandes qu'il ne peut bien souvent les trouver lui˗même 153 . Le riche profitant de trop de jouissances, les voudraient moins vives, car elles dépassent les bornes de l'utile 154 . La frugalité lui semble ainsi plus honnête que la richesse 155 . Antisthène entend aussi préserver par˗dessus tout son bien le plus doux, le loisir 156 . Notons au passage qu'à la richesse, il n'oppose pas la pauvreté, mais la frugalité. S'il n'inscrit pas cette frugalité au sein d'une quelconque théologie son approche n'est pas dénuée de tout lien avec les dieux à en croire Diogène:

Ils [les cyniques] soutiennent encore qu'il faut vivre frugalement, en se contentant de la nourriture qu'on peut se procurer soi˗même et du seul manteau élimé, en méprisant richesse, réputation et bonne naissance. En tout cas, il y en a parmi eux qui se satisfont d'herbes, d'eau toute fraîche et d’abris de fortune ou des tonneaux comme Diogène, qui disait que s'il appartient aux dieux de n'avoir besoin de rien, il appartient aux gens semblables aux dieux d'avoir des besoins limités 157 .

Il semblerait donc s'en tenir au schéma cosmologique qui avait cours dans son milieu. Une volonté de se rendre semblable aux dieux par son comportement apparaît même dans ce passage. Les dieux sont décrits comme dignes d'être des exemples et des modèles à imiter. C'est par le détachement à l'égard de tout bien matériel que le Dieu est rendu digne d'être imitable. L'idéal exprimé passe par le mépris des richesses, mais aussi par le mépris de la réputation et de la naissance. Déjà chez les Cyniques il est conseillé de se détacher de choses diverses.

C hez Télès, la pauvreté volontaire est un genre˗de˗vie qui concerne l'individu, sans considération pour la société . Télès fait l'éloge d'une consommation simple, mais qui dispense le nécessaire : pain et eau pour se sustenter, bains publics et temples pour se loger 158 . A contrario de Socrate – qui avait lui aussi en vue la paix de la cité –, les Cyniques semblent montrer un désintérêt pour la chose publique, ce qui se retrouvera au sein des pratiques érémitiques et même cénobitiques. Pour les Cyniques, il importe peu que l' êthos de l'individu porte à conséquence sur la cité. On pratique la pauvreté avant tout pour soi˗même. Ce désintérêt pour la chose publique constitue aussi une coupure avec la philosophie de Platon qui mettait l'individu au cœur de la cité.

Télès 159 , pour qui l'homme heureux se trouve être celui qui est exempt de passions et de troubles intérieurs 160 , défend l'idée que l'homme de bien aurait à se préoccuper du rôle « que lui a confié le destin » 161 . Télès estime que le destin a fixé le rôle du roi et du mendiant 162 , le riche devant donner avec libéralité et le pauvre recevoir dignement de la main de celui˗là 163 . S'il existe donc un désintérêt pour la politique, cette conception des rapports sociaux témoigne néanmoins d'une reconnaissance d'un schéma du monde ordonné selon un ordre politique déterminé. Nous retrouvons l'idéal d'isonomia, issu d'une conception aristocratique du droit exprimé par Archythas, matiné d'une sorte de pitié, de commisération (ou de solidarité, c'est selon) pour celui qui est « mal né ». Le mendiant, s'il à fait le choix d'être un pauvre volontaire, n'a pas fait ce choix librement ; autrement dit l'état de renoncement à l'égard de l'objet de son désir est fixé dans les cieux ! Nous retrouvons cette distinction opérée notamment par O. Boulnois 164 , lorsqu'il s'agit de distinguer le choix du libre choix. Néanmoins, il s'agit pour le pauvre de saisir la part de liberté qui lui revient. La conception de la vie du Cynique, pour Télès est non pas de chercher à transformer l'ordre du monde mais de « tirer parti des événements » 165 . Tout en étant le jouet de la fortune, il s'agit de s'en tirer le mieux possible, et cela passe par un détachement à l'égard de l'objet de ses désirs. Télès conseille à l'indigent de ne pas vouloir vivre comme le riche, et donc de limiter ses désirs. La tranquillité de l'âme ou le trouble de l'âme n'est pas à mettre sur le compte de l'indigence ou de la richesse. Se référant à Diogène, Télès affirme que « l'on est prodigue si l'on vit de telle manière, et [que] l'on est frugal si l'on vit d'une autre façon » 166 , et le mode de vie promu est bien cette frugalité. Ceci nous permet de souligner qu'en ce contexte, la prodigalité et la frugalité se rapportent à des attitudes, des habitudes, des intentions , tandis que la richesse et l'indigence se rapportent à un état. Cette distinction explique que Télès, en moraliste, condamne le mauvais usage qui peut être fait de sa condition tant chez le riche que chez le pauvre :

Il n'est pas plus aisé pour celui˗ci [le riche] de disposer librement de sa richesse sans se rendre insupportable que cet autre [le pauvre] de tirer un noble parti de sa pauvreté : l'une et l'autre qualité appartiennent au même homme, qui sait disposer de grands biens de la même façon qu'il en userait dans la situation contraire  167 .

Télès affirme que le mauvais usage de sa condition – chez les riches – est dû d'une part, au manque de liberté et d'autre part, à une sordide avarice. Télès fustige les possédants qui parce qu'ils sont mesquins, « se refusent à toute jouissance et toute sensation ». Il leur oppose « les souris et les fourmis qui mangent bien plus qu'eux » 168 . De manière récurrente, Télès joue du thème de l'absence de liberté du possédant avare :

Ce qui ne libère pas l'homme du désir insatiable, de l'avarice et de l'orgueil, ne libère pas non plus de l'indigence et du besoin ; aucune des acquisitions matérielles ne libère l'homme de l'insatiabilité, de la parcimonie, ou de l'orgueil : aucune en effet ne change sa manière de vivre, pas plus que la pauvreté ne change la manière de vivre des sages, s'ils passe de la richesse à la pauvreté 169 .

Ainsi Télès renvoie dos˗à˗dos le pauvre et le riche, condamnant l'attitude qui consiste à être le jouet de ses désirs. Comme nous l'avons déjà vu, le modèle cosmologique de Télès comporte un ordre imposé aux hommes, et un déterminisme de la place que prend l'homme au sein du monde. Mais au sein de cet ordre, l'homme doit poser des actes et adopter un comportement adéquat. La pauvreté volontaire, comme genre˗de˗vie, se surimpose à sa situation dans le monde.

Malgré ce déterminisme, Télès se fait plus dur à l'égard du riche : «  il n'est jamais satisfait ni content de rien, mais possédé de désirs, il fait main basse sur ceci et encore cela » 170 . Le résultat paradoxal est qu'« il est toujours en proie au besoin et au dénuement » 171 . Par ailleurs, Télès réfute l'idée que la pauvreté soit un obstacle à la philosophie – à la contemplation –, arguant le fait que, la plupart du temps, ce sont les pauvres et non les riches qui s'adonnent à la philosophie 172 . La richesse a pour effet que l'homme, ayant tout ce qu'il désire facilement, ne prend plus la peine de chercher quoi que ce soit. Qui plus est les nombreuses occupations du riche l'empêchent d'étudier, a contrario du pauvre. Ainsi prend˗il à revers Aristote qui pensait que le roi de Chypre était le plus à même de parvenir à philosopher 173 .

c) Une pauvreté volontaire indifférente aux dieux

On retrouve la pauvreté volontaire de type eudémonique dans des représentations du monde différentes, qui découlent d'autres positions métaphysiques fort différentes. Lucrèce 174 nous renseigne quelque peu sur la conception épicurienne des richesses et de la pauvreté et sur la manière dont cette pauvreté s'inscrit dans une vision générale du cosmos. Lucrèce, refusant la Providence divine 175 , affirme que « rien ne naît de rien, par miracle divin » 176 et que le monde n'a pas été créé pour l'homme. Cette vision l'éloigne tant du schème platonicien du Dieu˗artisan que du schème créationniste chrétien. De sa vision cosmologique découle logiquement une certaine vision de la possession selon laquelle nous ne serions qu'usufruitier de la vie, qui « passerait » d'êtres en êtres :

Ainsi les êtres ne cessent de naître l'un de l'autre. Nul ne reçoit la vie comme propriété ;usufruit seulement, telle est la loi pour tous. Et vois derrière toi quel néant fut pour nous l'éternité du temps avant notre naissance 177 .

Dans son Poème, Lucrèce expose sa vision de l'hominisation et de l'humanisation de l'homme, et il évoque un âge précédant celui de l'homme vivant en société dans lequel l'homme vit égoïstement : « Le bien commun (commune bonum), ils [les hommes] ne pouvaient l'envisager, et rien, ni coutume ni loi, ne réglait leurs rapports [aux hommes]. Ils saisissaient toute proie que le hasard leur offrait, ayant appris à vivre et prospérer chacun pour soi » 178 . Mais Lucrèce souligne l'amélioration de la condition humaine sitôt que l'homme fait société et commence à se loger, à utiliser le feu,... Il entrevoit alors l'émergence d'une certaine morale et d'une bienveillance 179 . Par suite de l'emploi des outils naissèrent villes et citadelles, et émerge alors la vaine richesse :

La beauté et la force étaient grandement prisées. Plus tard, on inventa la richesse, on découvrit l'or, qui ravirent la palme à la bravoure et à la beauté. Car très souvent le riche est suivi du cortège des plus vaillants et des plus beaux parmi les hommes. Or ,si l'on gouverne sa vie d'après la vraie raison, la plus grande richesse humaine (diuitiae grandes homini) est une vie frugale (uiuere parce), une âme sereine, car de peu il n'est jamais manque (numquam penuria parui) 180 .

Être riche, donc ne pas être pauvre, c'est vivre frugalement ; on ne manque jamais de peu, l'accent ici est mis sur les désirs et leur contrôle par la raison. En tout cas la conséquence pour Lucrèce de cette « invention » de la richesse sont de grands désordres dans les villes 181 . « Pour parvenir au faîte des honneurs, ils engagent des luttes qui rendent la voie périlleuse » 182 , dit Lucrèce. Celà conduit aux renversements des rois pour instaurer des lois et une justice, bref un État, mais aussi un artisanat, une agriculture, les religions et les techniques de la guerre. Lucrèce désigne la recherche d'enrichissement comme étant l'une des causes des guerres entre les sociétés humaines. Plus précisément, c'est le désir de posséder des objets sans utilité réelle qui nuit au développement harmonieux et pacifique des sociétés :

Comme les peaux jadis, aujourd’hui l'or et la pourpre tourmentent la vie des hommes, l'épuisent dans les guerres. C'est donc sur nous, je crois, que pèse la plus grande faute, car sans peaux, nus comme ils étaient, le froid torturait ces fils de la terre et pour nous il n'est souffrance aucune à n'avoir habit de pourpre aux grands ramages d'or, pourvu que nous portions une étoffe plébéienne. Le genre humain peine donc en vain, en pure perte, toujours consumant son âge en futiles soucis. C'est qu'il ne connaît pas de limite à la possession (non cognouit quae sit habendi finis), il ne sait pas jusqu'où le vrai plaisir (vuera voluptas) peut croître. Tel est le mal qui peu à peu nous entraînant au large déchaîna sur nos vies les grands orages de la guerre 183 .

Lucrèce relève que l'homme n'a pas de limites dans son désir de possession. Il oppose à cet esprit de possession la recherche et l'atteinte du vrai plaisir qui sont l’apanage de ceux qui vivent une vie frugale et à qui rien ne manque.

La conception épicurienne de la richesse nous montre que des principes cosmologiques ou métaphysiques différents peuvent donner naissance à des critiques semblables à l'égard de la richesse. De ces critiques découlent des morales sociales qui s’inscrivaient dans une communauté spécifique, qui opposait un intérieur à un extérieur. Que ce soit entre les citoyens et les non˗citoyens ou bien entre les cités–États, la pauvreté volontaire reste circonscrite à une population particulière, et elle ne concerne qu'une minorité. Un changement de paradigme va apparaître avec la dissolution de l'opposition entre communauté et société, au moins au sein d'une idéalisation.

2˗ La pauvreté volontaire cosmopolite

Le stoïcisme constitue le point de passage particulier d'une morale sociale à une autre, il se trouve à la lisière d’une nouvelle métaphysique. Il semblerait porter un caractère hybride. On peut reprendre cette formule de M. Spanneut, « l'humanité remplaçait la cité, la polis devenait cosmopolis, l'homme citoyen du monde » 184 . Nous allons entrevoir chez Sénèque, au sein du stoïcisme tardif (env. 1 ap. J.˗C., † 65 ap. J.˗C), comment au sein d'une pensée qui se veut cosmopolite la pauvreté volontaire était réfléchie 185 . Sénèque, selon Tacite, a apporté des réponses à trois difficultés, à savoir 1) le luxe et l'asservissement des richesses , 2) la position sociale et les honneurs de celui qui sert le Prince et 3) le mépris de la fortune pris en son sens ancien 186 . Pour comprendre la position de Sénèque à l'égard de la première des difficultés, nous voudrions comprendre ses croyances métaphysiques, mais il semble « botter en touche » à l'égard de ces dernières, et défendre une position agnostique :

A quoi me sert la philosophie, s'il y a un destin [...] un principe directeur [...] si le hasard commande ? Car [...] ce qui est certain ne peut être changé, et [...] l'on ne peut rien préparer contre l'incertain – en revanche, ou bien un Dieu a devancé ma décision et arrêté ce que je ferais, ou bien la fortune ne permet rien à ma décision 187 .

Pour autant, quelle que soit l'alternative choisie, Dieu ou hasard, la philosophie permet de résoudre la question pratique de son être au monde :

La philosophie a le devoir de nous protéger. Elle nous exhortera à obéir au Dieu de bon gré, à la fortune avec opiniâtreté ; elle t'enseignera comment suivre le Dieu, supporter le hasard  188 .

Sénèque admet que les questions touchant aux causes premières le dépassent. Dans ses lettres, Sénèque nous plonge dans le genre˗de˗vie du philosophe. Il faut rejeter les occupations du moment que l'on soit ou que l'on veuille devenir sage 189 . Car la philosophie, selon Sénèque « "apporte sa ressource'' et descend jusqu'aux plus petites [occasions de la vie] » 190 . Cette lettre est très riche d'enseignements, car Sénèque y fait l'apologie de la pauvreté en vue de la sagesse :

Ce que tu demandes, n'est˗ce pas, et ce que tu veux obtenir par ce délai, c'est de ne pas avoir à craindre la pauvreté : et si elle était à rechercher ? C'est la richesse qui a empêché bien des hommes de philosopher ; la pauvreté est sans entrave, sans souci 191 .

Ainsi, la paix de l'âme et l’absence de soucis dépendent de la pauvreté. Ce thème de la tranquillité de l'âme est présent également dans d'autres écoles philosophiques. Il imprégnera de manière constante le concept de pauvreté volontaire. Aussi Sénèque affirme qu'il est possible de supporter la pauvreté et qu’un riche en bonne santé est capable d’imiter les mœurs des pauvres et se « contente de satisfaire aux besoins pressants » 192 afin de philosopher.

Si tu veux être disponible pour ton âme, il faut que tu sois ou pauvre ou semblable à un pauvre. Ton zèle ne peut devenir salutaire sans le souci de la sobriété ; or la sobriété est une pauvreté volontaire 193 .

Ce passage est intéressant à plusieurs titres. Premièrement, Sénèque affirme qu'à défaut d'être pauvre, il faut être « semblable au pauvre », autrement dit il faut faire « comme si » et donc assumer que l'on ne l'est pas vraiment. Deuxièmement, Sénèque identifie explicitement le terme de de sobriété avec celui de de pauvreté volontaire («  frugalitas autem paupertas voluntaria est ») . Il conforte par là notre thèse d'une métaphysique de la pauvreté volontaire au sein du monde antique. La sobriété et la simplicité désignent la position de celui qui fait œuvre de modération, c’est˗à˗dire qui se situe au milieu de deux extrêmes, la misère et la richesse. Sénèque fait donc de la pauvreté volontaire cet état intermédiaire entre la misère et la richesse. Cette assimilation de la pauvreté volontaire à la modération provient˗elle d’une contamination du christianisme émergeant ou du judaïsme ? Ce n'est pas impossible. En tous cas, à ce stade le stoïcisme identifie le juste milieu à la pauvreté volontaire.

Sénèque affirme que l'indigence ne peut détourner de la sagesse 194 et il critique dans sa lettre ceux qui diffèrent l'étude de la philosophie pour le moment où ils seront financièrement à l'aise. Pour Sénèque, la philosophie ne saurait être un additif à la vie. La philosophie est une richesse et il convient de commencer à philosopher immédiatement, car « la sagesse rend au comptant les ressources qu'elle donne à tout homme en les lui rendant superflues » 195 . Ces affirmations fortes doivent toutefois être tempérées, car Sénèque pratiquait cette pauvreté volontaire essentiellement comme un exercice spirituel, en tant que « ''simulation'' de la pauvreté ». Il faisait de cette « pauvreté volontaire » une « pauvreté fictive » et temporaire 196   : il convient de s'exercer ponctuellement à être pauvre, de sorte que la pauvreté devienne familière, et que la richesse procure moins de soucis 197 : Il présente ses exercices 198 de la manière suivante :

Je juge donc nécessaire (de faire) ce que je t'ai écrit que de grands hommes ont souvent fait : de placer à intervalle quelques jours où nous nous exercerons par une pauvreté imaginaire à la vraie pauvreté ; ce qu'il faut faire d'autant plus que nous sommes tout imbibés de raffinement et que nous jugeons toute chose dure et difficile. 199

Sénèque considère la philosophie comme une manière de vivre, non pas de façon capricieuse, mais selon la loi : « La philosophie enseigne à faire, ou à dire, et elle exige que chacun vive selon sa loi ; que la vie ne soit pas en dissension avec les paroles ou plutôt que la vie ne le soit pas avec elle˗même » 200 . Et cette règle, Sénèque l'entrevoit comme une règle qui définit le rapport particulier que l'on entretient à l'égard des biens. Ainsi il faut observer si ses propres biens (vêtements, maisons) ne sont pas « en dissension » avec soi, il faut être prodigue envers soi˗même, n'être pas mesquin envers ses proches, manger sobrement et ne pas vivre dans le luxe 201 . Il donne à cette règle la consistance de la stabilité. Cette règle doit, d'une part, être unique et, d'autre part, être celle de toute une vie 202 . La persévérance fait partie du concept et doit s'incarner dans les pratiques de l'homme. Cette persévérance est même inhérente à la quiddité de la sagesse : « toujours vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose » 203 . Cette pauvreté a l'avantage pour Sénèque qu'elle permet de ne conserver que les vrais amis, éloignant de soi les intéressés 204 . Par ailleurs, cette pauvreté en exercice permet de souligner la grandeur de celui qui n'est pas corrompu au milieu des richesses, car il peut ainsi montrer comment « être pauvre au milieu des richesses » 205 . Cette conception de la pauvreté exprime une apologie de la volonté et de la force de l'âme chez l'homme :

Grabat ou chiffon ne sont qu'une preuve légère de bonne volonté à moins qu'il ne soit visible qu'on ne les subit pas par nécessité mais qu'on les préfère 206 .

Du reste, si les stoïciens ont une idée cosmopolite de la citoyenneté, on doit nuancer sa portée pratique. Sénèque a en effet, une vision élitiste de la philosophie, car celle˗ci ne peut profiter au « tout˗venant ». Il ne s'agit pas pour le sage de perdre son autorité en diluant son savoir auprès de la foule 207 . La pauvreté volontaire est prônée au sein d'une minorité.

* * *

Cette première partie qui portait sur la pauvreté volontaire eudémonique se clôture à présent. En introduction, nous avons identifié une autre pauvreté volontaire possible, une pauvreté volontaire béatifique qui partage des traits communs avec la pauvreté volontaire eudémonique. Nous avons précisé que cette opposition ne correspondait pas à une distinction temporelle. À l'origine, cette opposition serait plutôt d'ordre spatiale.

III. La pauvreté volontaire béatifique

Un frère possédait seulement un Évangile ; l'ayant vendu, il en donna le prix pour nourrir les affamés, proférant cette parole mémorable : J'ai vendu, dit˗il, le livre même qui me disait : « Vends ce que tu possèdes et donnes˗en le prix aux pauvres ». 208

1 ˗ La morale sociale judéo˗chrétienne

Selon Jean Bottéro, c'est le peuple israëlite qui aurait « inventé » ou à qui se serait révélé, c'est selon, une sorte de « dieu nouveau » 209 . Moïse l'identifia sous le nom de Yahvé, soit « exister », « être » pour lequel Bottéro n'a pas assez de mots élogieux à cet égard :

Une telle intuition, une pareille mise en avant du caractère à la fois unique et mystérieux de ce Dieu, duquel tout ce que l'on pouvait et devait savoir, c'est qu'Il existait, qu' Il était là, trahissait une conception remarquablement profonde ; toute l'histoire religieuse d'Israël, et la nôtre à la suite, s'y trouve en germe, et il faudra des siècles, [...] pour en expliquer les richesses 210 .

Tout se nouera autour de la fuite d’Égypte et de l'Alliance conclue entre ce peuple et ce Yhavé ; plus exactement tout se nouera autour des clauses de cette Alliance – les commandements – et le s ens spirituel qui s'y cache : Yhavé est le seul vrai Dieu pour le peuple d'Israël et il existe 211 . Nous retiendrons, que chemin faisant, ce peuple d’Israël en devenir fit de son Dieu le Dieu des humbles, soit le Dieu de ce peuple qui, par contingence historique, intériorisa et incarna cette humilité. Mais c'est aussi un Dieu qui promut la fraternité, prescrit d'origine nomade qui s'inscrivit dans un peuple qui se sédentarisa. Il nous faut retenir également que cette Alliance fut le lieu de ces drames relatés dans l'AT, puisque elle est l'objet de trahisons entraînant de la part de ce Dieu des punitions, châtiant son peuple infidèle et adonné au mal, qui oublie ses serments. Dieu rétributif qui fait justice mais aussi qui gracie et qui aime qui il veut (Ex 33, 19). La théologie naissante de ce peuple s'inscrit au sein d'une morale sociale au sein de laquelle la pauvreté volontaire va prendre une place particulière.

a) Émergence de la pauvreté volontaire

La pauvreté volontaire est un compagnon de route du christianisme 212 et s'enracine au sein des morales sociales juives et chrétiennes, c'est˗à˗dire au se in du « phylum hébraïque » 213 . Explorer ce phylum , c'est se demander d'abord ce qu'il a de spécifique. Ainsi les Hébreux ne nous auraient « rien apporté, rien laissé, si ce n'est cette idée, qu'il est le premier à avoir découverte et proclamée, puis, en fin de compte imposée, de l'Unicité et de la Transcendance absolue de Dieu » 214  . Ce peuple de « miséreux bédouins » fit don au monde de ce Dieu qui, absolument et essentiellement parlant, « est » (Ex 3,14). Ce Dieu qui chemin faisant sera appréhendé comme une personne 215 envers qui l'homme aura des sentiments. Ainsi avec Jérémie (Jr 15, 20 sq. ), ce Dieu serait pour la première fois une personne et non un souverain ou le chef d'un peuple 216 . Au sein de ce phylum, l a pauvre té évangélique émerge et se propage de manière plurielle, au gré des diverses théologies développées et de son substrat mondain. Encore faudra˗t˗il attendre cette kénose 217 fondamentale pour opérer la rupture avec le monde qui le précède : Dieu qui se fait chair et misérable chair 218 .

Nous montrerons les principales inflexions de l'attitude du christianisme envers la pauvreté, afin de pouvoir ancrer notre étude de manière plus approfondie au sein de quelques˗unes d'entre˗elles. Nous postulons que l'idée d'une pauvreté volontaire, en tant que cont enu des théologies, n'est pas indépendante des représentations de la pauvreté effective. Remarquons d'abord que le terme de pauvre que l'on retrouve dans les différents textes du phylum hébraïque est complexe 219 et polysémique. Le pauvre est celui qui veut, qui désire. Il a l'aspect d'un quémandeur, d'un mendiant. Mais c'est aussi celui qui « manque de ... »   , qui attend. Ailleurs c'est le chétif, le faible. Il peut être le dépendant, il peut également être l’abaissé, l'accablé, mais il est surtout l'humble devant Dieu 220 . Les traducteurs de la LXX vont traduire les divers termes hébreux (co˗)signifiants la pauvreté en y imposant leurs propres compréhensions 221 . Qui plus est, une spiritualisation des termes va se produire avec les prophètes, puis avec les traducteurs de la LXX et encore au delà 222 .

Tant que la société juive était nomade, il n'y avait ni indigents, ni riches ; la société vivait sous le régime de la communauté des biens, sans propriété individuelle 223 . La pauvreté, entendue comme misère personnelle, émergerait au sein des récits relatant la sédentarisation du peuple hébreux dans la Bible. La sédentarisation nécessite un roi, des terres, des temples et un Dieu 224 avec par conséquent, la mise en place des fermages, des impôts et l'émergence de la spéculation 225 . Dans l'AT, La pauvreté fut d'abord comprise comme une tare ou une punition divine 226 , selon le « principe de rétribution » 227 puisque « l'ami de Dieu est un riche » 228 . L'AT relate ainsi l'idée d'un Dieu qui punit le peuple élu se détournant de lui 229 . En effet, le monothéisme se déploie au travers de l'Alliance originelle « sur la Montagne », entre Israïel et Yhavé. Ce dernier est ordonnateur d'une loi 230 , exigeant fraternité, sous la menace de la punition. L'oubli de Dieu, de l'Alliance et de ses commandements, l e mal comme désobéissance se devront d'être punis ! Les prophètes le rappellent dans les périodes où Israël doit faire face aux divers envahisseurs. La pauvreté est vue comme punition divine. Ainsi les prophètes en appellent à l'obéissance aux commandements et à cette fraternité originelle. Cette fraternité prend la forme d'une humilité, d' une pauvreté de cœur de l'anawin, l'humble qui fait face au puissant. Cette pauvreté comme attitude religieuse semble être rapportée pour la première fois par le prophète Sophonie 231 . La pauvreté caractérise ce « Reste » messianique 232 , résultant de la punition divine. D ans ce livre du prophète Sophonie est rapporté un Dieu qui promet de faire justice, de faire payer les puissants, les ministres (So 1,8), les princes, les marchands, les peseurs d'argent (So 1,11), et il est affirmé que ni l'argent ni l'or ne pourra les délivrer (So 1,18). Surtout, ce livre relate un appel à la conversion 233 . Le peuple égaré est donc puni, tandis que l e « Reste » est idéalisé comme peuple idéal 234 , qui pratique la pauvreté volontaire, qui obéit aux commandements divins, qui a une attitude humble 235 . Ainsi la promesse d'une nouvelle vie est faite aux petits 236 . Par la suite, la sédentarisation aurait suscité l'éclosion de ce que nous pourrions nommer une pauvreté d'exploitation, bien différente de la pauvreté comme punition. La spoliation des terres qui découle de la sédentarisation serait le point de départ d'une théologie de la pauvreté au point même que nous aurions affaire à un « renversement total » 237  : « C'est entre les sédentaires qu'il y a des riches et de pauvres, [...] des créanciers et des débiteurs, des oppresseurs et des opprimés » 238 . Un autre regard est désormais posé sur la pauvreté : la pauvreté est perçue comme le fruit d'une exploitation ainsi que nous le relate Samuel 239 . Celui˗ci s'oppose à la mise en place d'un système monarchique pour diriger son peuple, en remplacement du système tribal des juges ( 1 S 8, 10˗18), car ceux˗ci perdraient leurs prérogatives religieuses. Mais la justification qu'utilise Samuel est une mise en garde contre un asservissement et la perte de ses biens 240 . Samuel prévient ˗ ou menace ˗ son peuple de spoliation et d'exploitation si celui˗ci rejette le pouvoir des juges et se détourne de Dieu 241 . Ce « renversement total » est à l’origine de l'émergence d'une religion du pauvre , conséquence de l'injustice 242 . Remarquons que la loi moïsique et les commandements qui en découlent protègent le droit de propriété (dès le Code de l'alliance, puis par la bouche des prophètes et dans le Deutéronome) 243 . Les Prophètes ont transmis cette fraternité originelle que l'on trouvait dans les commandements, et ils ont transmis les commandements de justice, de fraternité et de dévotions 244 dans une période de corruption morale. Le Psautier est empli de prières de pauvres s'adressant à Dieu 245 . L'indigence n'est pas acceptable, et des devoirs de coopération et d'assistance font donc partie de la morale et, du droit hébraïque, afin d'en limiter la présence et les dégâts 246 . La loi moïsique affirme une limite à la possession. A u sein du judaïsme existe une défense communautaire, qui interdit de convoiter, de désirer les biens de son prochain 247 (Le réa , le frère hébreux) 248 et qui d'ailleurs ne s'applique pas aux personnes extérieures à la communauté puisque les hébreux ne se gêneront pas pour dépouiller les égyptiens lors de leur départ précipité d’Égypte (Ex 3, 21˗22).

Dans le judaïsme, ce sont les excès qui détournent de Dieu, et la modération qui y amène 249 . Ce sont donc d'autres raisons que celles qui prévalaient chez les eudémonistes qui conduisent à trouver le juste milieu. Attitude humble d'une part et d'autre part solidarité, graveront la pauvreté dans des théologies qui seront prédominantes pendant plusieurs centaines d'années. Ces deux traits vont se retrouver ultérieurement et entrer dans une dialectique qui participera de la querelle de la pauvreté. Mais il aura fallu qu'un peuple subisse le joug répété de l'humiliation, de la domination pendant des centaines d'années, au fil des exodes, des fuites, des guerres, des trahisons ; que toujours ce peuple se retrouve à être sous la souveraineté de grandes puissances, pour que de cette humiliation subie émerge une humilité choisie comme projet, comme fin morale, donc comme cause finale participant à titre de cause partielle concourante de cette idée de pauvreté volontaire. Bref pour qu'émerge petit à petit, une théologie de l’humilité. Il aura fallu l'inscription historique de cette humiliation continuelle pour que ce Dieu, qui « est », devienne essentiellement un Dieu qui a élu un peuple humilié. L'oppression et l'humiliation extérieure disparue, faudrait˗il pour autant ne pas garder la mémoire et l' êthos qui permettent d'entretenir continuellement ce rapport personnel avec ce Dieu par une pauvreté d'esprit et effective volontaire ? Ce Dieu n'ayant jamais été celui des puissants et des riches, ne risque t˗on pas de le perdre en devenant puissant, riche et orgueilleux ? Quelque part ne faut˗il pas d'une certaine manière rester pauvre, humilié, pour ne pas être orphelin de Dieu – suprême perte pour des gens si religieux ! Il nous semble que cette théologie a permis de forger durablement une « mentalité » d'humbles et de pauvres.

On ne peut donc pas dire que la pauvreté volontaire soit totalement indépendante de la pauvreté subie, mais quelque chose de nouveau est apparu. Une attitude au monde qui fait suite à une réflexion sur sa propre condition, un accaparement de ce qui était subi, pour le sublimer et en faire un projet de vie. La pauvreté volontaire, émerge, possède son terminus a quo . Ce projet de vie certes entraîne la société avec lui, mais avant˗tout, c'est la condition de l'individu qui prime, son être au monde intime, et certainement bien davantage que dans la société grecque ou romaine, on a une incorporation, une incarnation de cette pauvreté volontaire.

Reprenant le processus, dans un premier temps la pauvreté en tant que punition est niée et devient une pauvreté en tant qu'exploitation. Elle se réalise toujours de manière subie. Bien qu'il n'ait pas la possession de ses désirs matériels, l'homme reste attaché à l'objet de son désir, autrement dit, de ce à quoi il s'attache. Il est effectivement pauvre. Mais parallèlement, et chemin faisant émerge aussi une pauvreté, qui par la médiatisation de la liberté, devient une pauvreté volontaire. C'est à dire qu'apparaît l'idée d'un détachement de l'homme à l'égard de ce qui lui semblait matériellement nécessaire. Ce peuple donne des raisons à sa condition, ainsi tirerait˗t˗il la réflexion selon laquelle la richesse est décevante , car elle mène « à l'orgueil, au désordre, à l'injustice » 250   , dixit L'Ecclésiaste 251 . La pauvreté devient alors, en tant que leçon de l'histoire , un idéal – qui doit trouver sa réalisation – non moins qu'un geste de liberté. La pauvreté se fait choix en vue d'un idéal de dépassement de sa propre condition. Ce changement radical conduit le monde chrétien à devoir articuler la pauvreté subie et la pauvreté volontaire, mais aussi à devoir articuler la pauvreté et la richesse, à pratiquer volontairement la pauvreté, à pratiquer l'exercice persévérant d'un détachement envers ce à quoi on est attaché. Pour certains l'effectuation de la pauvreté volontaire se trouve médiée par le message du Christ 252 . Mais cette thèse n'est pas vérifiée, car l'effectuation de gréco˗romaine, mais au sein du phylum hébraïque, on en trouve des traces parmi les sectes esséniennes ou thérapeutiques.

b) L'essence de la querelle de la pauvreté volontaire

La question de la réalisation et de l'incarnation de la pauvreté volontaire béatifique pré˗chrétienne comme idéal de vie est complexe. Les orientations qui découlent de différents courants induiront des contradictions : le concept peine à venir au monde. Deux orientations majeures se dégageront progressivement et elles accompagneront ce douloureux accouchement. Ces deux orientations sont déjà présentes au sein de deux sectes juives, les Esséniens 253 et les Thérapeutes. Les statuts de ces deux communautés sont bien différents pour l'historien des pensées. Pour les premiers, nous disposons de leurs textes, pour les seconds nous n'avons qu'un seul témoignage conséquent, à savoir celui de Philon d'Alexandrie.Au regard du genre˗de˗vie poursuivi, soulignons une grande distinction : les Esséniens mènent une vie active, les Thérapeutes une vie contemplative 254 . Cette distinction pose des questions qui hanteront le passage de l'idéalisation à la réalisation du concept de pauvreté volontaire. Elle posera la question de l'option préférentielle en terme de détachement matériel, une fois le détachement spirituel consacré. Elle questionne les conditions de réalisation de la pauvreté volontaire dans une situation de pure contemplation. Nous appréhenderons de manière phénoménologique 255 cette distinction, dont il est bien difficile d'apprécier la valeur historique 256 . Les Esséniens 257 affirment la communauté des biens et font appel à des règles que l'on peut qualifier non sans anachronisme de type cénobitiques. Les Thérapeutes 258 quant à eux vivent dans la grande pauvreté, et ils abandonnent tous leurs biens en entrant dans la secte. Ainsi pour se vêtir, ces derniers ne portent qu'un épais manteau l'hiver et une tunique de lin l'été. Quant à leurs revenus, on peut penser hypothétiquement qu'ils vivent de dons 259 . Ainsi ces deux sectes nous donnent à voir une fracture entre, d'une part, une pratique mutualiste et, d'autre part, la pratique de son dépouillement.

Nous allons aborder la pauvreté volontaire chez les Esséniens au travers des Hymnes 260 . Cette poésie hébraïque 261 est truffée de références à l'AT. Nous y trouvons une métaphysique, une anthropologie et une conception de la morale, donc une morale sociale. Nous y trouvons une cosmologie créationniste volontariste 262 opposant le Créateur, caractérisé par ses jugements justes 263 , , et l'homme caractérisé par ses iniquités. Le schéma est donc fort différent de celui que l'on retrouve en Grèce. L'iniquité est le thème central et ce thème est rapporté à la pauvreté. Les Hymnes font appel à la sagesse, que tous les hommes n'ont pas, afin de contrer ces iniquités 264 . Le Créateur est bon et miséricordieux, puisqu'il peut pardonner ces iniquités 265 . Dieu – qui est un « père » – est préoccupé à l'égard de ses créatures, il « en prend soin » 266  ; ce qui distingue les Esséniens d'autres espaces culturels . On trouve dans la morale essénienne une critique de la vaine gloire et une éloge de l'humilité qui conditionne l'âme juive mais qui oppose aussi un intérieur – la secte – d'un extérieur : les autres, « l'assemblée des hypocrites » 267 . On a donc un Dieu qui prend en charge personnellement le pauvre et le malheureux, en les protégeant des puissants 268 . Ce Dieu, qui prend soin de l'homme, qui est dans l'iniquité de la couche au tombeau 269 se distingue de biens d'autres dieux . Les Hymnes expriment une critique des caractères propres aux puissants et possédants (richesses, honneurs, et plaisirs) Par ailleurs, on trouve une apologie de la sagesse, de la connaissance de la vérité qui est le fait du Serviteur, qui a contracté avec le Créateur au travers de l'Alliance. À l'hédonisme des puissants qui accumulent et jouissent de leurs possessions, s'oppose une simplicité qui permet de possiblement atteindre la connaissance de la vérité.

Et tu n'as pas placé mon appui sur un profit injuste/ et dans les rich[esses]... mon c[oeur] 270 . / Et la créature de chair, tu ne l'as pas établie pour moi comme force/ (mais) la force des puissants / (repose) sur l'abondance des plais[irs]... / [ et sur l'abon]dance de blé, de moût, d'huile, / et ils s’enorgueillissent à cause de [leur] possession/ et de [leurs] acquisitions. / [Mais toi, tu m'as placé comme un arbre ver]doyant au bord des cours d'eau pour porter un feuillage/ et pour multiplier les rameaux. / Car tu as choisi ... pour qu'ils s'engraissent tous de la terre/ et à tes fils de vérité tu as donné la sa[gesse],... [et] à jamais/ [et] selon leur connaissance ils seront honor[és]... l'un plus que l'autre / et ainsi au fils d'ho[mme]...tu as multiplié / son hé[ri]tage dans la connaissance de ta vérité/ et selon sa connaissance... / [Et l'âm]e de ton Serviteur a en horreur/ [la richesse] et le gain mal acquis/ et dans l’orgueil des plaisirs, elle [ ne s'est pas complu]. / Mon cœur exulte dans ton Alliance et ta vérité/ a fait les délices de mon âme. / Et j'ai fleuri [comme un li]s/ et mon cœur s'est ouvert pour la source éternelle. (1QH, X 22˗31).

Nous découvrons le genre˗de˗vie des Esséniens d ans le Manuel de discipline.., comme une communauté de vie très réglé e qui s'inscrit dans les pas de Moïse et des prophètes (1QS, I, 3). À de nombreux égards, ce Manuel semble anticiper les règles monastiques. Pour autant, il nous faut connaître la motivation qui anime cette communauté dont un des traits principaux est de se distinguer frontalement de ceux qui en sont exclus. Ce caractère traverse tout le Manuel, distinguant notamment les « fils de lumières » des « fils des Ténèbres » (1QS, I, 9˗10) comme conséquence de la disposition par Dieu de deux Esprits pour l'homme : l'esprit de vérité et l'esprit de perversion (1QS, III, 18˗19). L'esprit de vérité a cette charge d'illuminer le cœur des hommes et d'aplanir « les voies de la véritable justice » (1QS, IV, 2)   : l'homme « visitant » cet esprit guérira et participera au bonheur (1QS IV, 6˗8). L'esprit de perversité se caractérise quant à lui par la cupidité (1QS, IV, 9). C'est clairement Dieu qui est créateur de ces deux Esprits. Nous restons dans une théologie monothéiste et non manichéenne 271 . Nous retrouvons une opposition déjà présente dans les Hymnes. De manière paradoxale, la Communauté s'oppose et se soumet à « l'empire de Bélial » 272 (1QS, II, 19). Ceux qui veulent entrer dans la communauté – « passer dans l'Alliance » (1QS, I, 16˗17) – devront notamment confesser le fait d'avoir été iniques (1QS, I, 24˗25), ils devront obéir aux règles (1QS, V, 1˗7), et ils devront surtout se distancier de « toutes choses frauduleuses » ( 1QS, V, 15) . En vertu de la séparation radicale qui est faite entre les membres de la communauté et les non˗membres, le nom de secte pour désigner cette communauté ne semble pas usurpé. L'obéissance s'inscrit dans le cadre d'une stricte hiérarchie. Tout qui entre dans l'Alliance obtient son rang après évaluation de son intelligence et de ses œuvres. Ce rang est réévalué année après année, et  tous « obéissent l'un à l'autre, l’inférieur au supérieur » (1QS, V, 23). Il ne faut donc pas assimiler une communauté à l'idée d'une égalité, mais plutôt d'une équité : une rétribution juste à l'aune des mérites de chacun. En cela cette micro˗société ne diffère pas de la juste rétribution que l'on trouvait chez Archytas le pythagoricien. Cette communauté, demande aux postulants de suivre une instruction et, parmi les normes de conduites, le mépris de la richesse entre en bonne place 273 . Une opposition se dessine donc entre l'esprit de lucre et la pauvreté, entre l'attachement aux biens matériels et le détachement à leurs égards, mais aussi entre l'exploitant et l’exploité. Toutes ces catégories semblent se superposer deux à deux. C'est aux gens « de la Thésaurisation », qui font par ailleurs l'objet de mépris, que sont abandonnés ses propres biens et son travail. Même si cela est vu comme une extorsion, il est fait peu de cas des possessions mondaines. Pour autant, on doit lire ce passage non comme un précepte ou un conseil mais comme une constatation, un brin fataliste, car ailleurs nous pouvons constater l'idée d'une communauté des biens, les volontaires apportant  tous leurs biens (1QS, I, 11˗12). L'admission du postulant au sein de la Communauté suppose un « mélange des biens » 274 . Quelques précisions existent quant à ce partage de biens lors de l'évocation des stages préparatoires à l'admission par le noviciant au sein de la Communauté 275 . S'il est question de mise en commun des biens, il convient de préciser qu'il n'est pas envisageable que les biens de la communauté se confondent avec ceux « des hommes de tromperies » (1QS, IX, 8). Deux économies, dont les principes sont différents, se font face. Par ailleurs, une comptabilité stricte est effectuée 276 . Cet aspect autarcique de l'économie ainsi que la stricte réglementation qui entoure les liens économiques avec ceux qui sont externes à la communauté sont soulignés dans l’Écrit de Damas 277 . L'économie était donc strictement régulée, et par ailleurs les rapports marchands devaient passer par un inspecteur 278 . Cette régulation passait aussi par diverses exigences morales, le mensonge concernant la déclaration de ses biens était réprouvé (1QS, VI, 24˗27) et la cupidité était découragée : « et en dehors de la volonté de Dieu il ne désirera rien » (1QS, I, 25˗26), il ne peut être accepté de dons illégalement acquis (CD, XVI, 14). Il s'agit de « se préserver des impures richesses d'iniquité » (CD,VI, 15˗16), de ne pas « voler les pauvres de son peuple » (CD, VI, 15˗16), mais également « de soutenir la main de l'indigent et du pauvre et de l'étranger, / et de chercher chacun le bien˗être de son frère » (CD,VI, 21). Remarquons deux points essentiels. Premièrement, il semblerait que tous ne soient pas dépourvu de bien propre puisqu'il est dit qu'un négligeant, causant préjudice aux biens de la communauté et leurs pertes, devra les rembourser totalement, et que s'il ne le peut, il subira une punition durant soixante jours (1QS, VII, 6˗7) . Il y aurait donc des richesses propres en sus des richesses communes. Le passage suivant est très important car il révèle un principe mutualiste fort et bien organisé avec une institution de la solidarité envers les improductifs :

Et [voici] la règle relative aux Nombreux pour subvenir à tous leurs besoins. / Le salaire de deux journées au moins pour chaque mois, tel est ce qu'ils verseront dans les mains de l'inspecteur et des juges. Ils affecteront une partie de ces sommes aux [orphe]lins, et de l'autre ils soutiendront la main du pauvre et de l'indigent, et le vieillard qui [se meu]rt, et l'homme qui est fugitif, et celui qui est emmené captif vers une nation étrangère, et la vierge qui [n]'a [pas] de proche parent, et la jeu[ne femme q]ue personne ne recherche [en mariage]. CD, XIV, 13˗17).

Mais ce passage révèle également autre chose. On pourrait déduire de cette citation qu'une fois débarrassé des biens que l'on apporte par son entrée au sein de la communauté, l'économie se fasse classiquement, chacun étant rétribué par la production résultant de son propre travail, et donc ayant la capacité d'accumuler, au sein de la communauté, des biens propres. Ces textes nous révèlent que la pauvreté volontaire, on peut la nommer de cette façon puisqu'il y a bien renoncement libre aux objets du désir, très encadrée, ne signifie pas une misère, une indigence. La pauvreté volontaire est « un juste milieu » et, en ce sens, elle se retrouve déjà phénoménalement chez les Païens. Ce modèle économique devait avoir quelque consistance, et la thèse est défendable que les premières communautés chrétiennes aient pu, par manque de modèle d'organisation, s’inspirer de celui des Esséniens 279 . La motivation est également très différente de celle des païens qui visent le bonheur. La motivation est dans ce cas˗ci d'ordre béatifique 280 , et elle a pour conséquences une morale. Ainsi, si la mise en commun est issue de motivations religieuses et métaphysiques, elle se traduit par des pratiques que l'on pourrait qualifier de pragmatiques et qui pourraient jouer le rôle d'une motivation seconde. On peut même s'interroger sur la primauté de la motivation. N'y a t˗il pas tension entre des motivations qui à l'origine secondes prennent le pas sur une motivation première ?

Passons maintenant à l'étude du genre˗de˗vie des Thérapeutes 281 , qui s'avère bien différent de celui des Esséniens , nonobstant le fait que leur morale sociale soit animée par la même préoccupation, l'accès à Dieu :

[Ces Thérapeutes] dont l'effort constant est d'apprendre à voir clair, s'attachent à la contemplation de l'Être, s'élèvent au dessus du soleil sensible et jamais ne délaissent cette règle de vie qui mène au parfait bonheur » 282 .

Cette affirmation se trouve ailleurs explicitée d'une autre manière, beaucoup plus incarnée :

J'ai fini au sujet des Thérapeutes, qui ont embrassé la contemplation de la nature et de ce qu'elle contient qui ne vivent que par l'âme seule, qui sont citoyens du ciel et de l'univers, véritablement unis au Père et Créateur du toutes choses, grâce à leur vertu qui leur a procuré le don le plus précieux pourvu ne homme bon : l'amitié de Dieu, présent meilleur que toute autre prospérité et qui mène rapidement au comble de la félicité 283 .

Les Thérapeutes renoncent aux biens en les léguant à leurs proches, familles, compagnons, amis 284 , selon Philon, pour la raison que « dans leur désir d'immortalité et de vie bienheureuse, ils ont déjà terminé leur vie mortelle » 285 . Ces Thérapeutes ont besoin de solitude 286 . Ils quittent leur famille et fuient « sans se retourner » 287 . Ainsi, le détachement spirituel à l'égard de ce dont il y a désir trouve un accomplissement plus élevé par un détachement matériel plus radical que chez les Esséniens. Néanmoins, il existait déjà dans le monde grec des Païens qui abandonnaient leur biens, par exemple les Cyniques. Pour autant, Philon, en apologète, prend soin de distinguer ces croyants des Païens . Il juge les Thérapeutes supérieurs aux philosophes grecs, car les philosophes renoncent à leurs biens de manière inconsidérée, a contrario des Thérapeutes qui les lèguent à leurs proches et les font passer de la gêne à l'aisance 288  . La manière s'opère le détachement matériel est donc également importante à considérer. La motivation (la fin) n'est pas le tout, la manière d'accéder au détachement participe de l'essence de tel ou tel modèle de pauvreté volontaire et conduit à des genre˗de˗vie spécifiques  :

Que font de plus des ennemis, sinon ravager, en y coupant les arbres, le territoire de leurs adversaires, pour que la famine les réduisent à se rendre ? Voilà ce qu'a fait le disciple de Démocrite à ceux qui étaient du même sang que lui, les mettant de sa propre main dans la gêne et la pauvreté, non certes par un dessein prémédité, mais pour n’avoir pas prévu et discerné ce qui était utile aux autres. Que ceux˗là sont bien meilleurs et bien plus admirables, dont l'ardeur pour la philosophie n'est pas moindre, mais qui préfèrent la générosité à la négligence, et font présent de leur fortune au lieu de laisser dépérir, afin que d'autres personnes, aussi bien qu’eux, y trouvent des avantages : ceux de l'abondance pour les autres, ceux de la philosophie pour eux˗mêmes. Car la gestion des richesses et des biens absorbe le temps, et c'est une bonne chose d’économiser le temps, puisque selon le médecin Hippocrate : « la vie est courte, la science est longue. 289

Un renoncement opéré sur base de motivations critiquables est un mauvais renoncement, car il s'impose au prochain presque pour son malheur. A contrario, les Thérapeutes, n'imposent pas leurs choix moraux, l'entourage ne pâtit pas du renoncement, il en bénéficie 290 . Bien mieux, par cet abandon, ils se lient au lieu de se couper de la société dont ils sont un composant. La pratique du renoncement participe de ce que nous nommons un premier degré d'ex˗communautarisation. Les Thérapeutes rejettent la cupidité, car elle est conçue comme étant une source d'injustice 291 :

L’ardeur à se procurer les moyens de vivre et l'argent, à cause de l'inégalité qu'elle crée, engendre l’injustice tandis que c'est la justice qui résulte de la disposition contraire, celle qui vise l'égalité, celle qui a imposé des limites aux richesses naturelles, et qui est bien supérieure à ce qu’une vaine opinion considère comme la richesse 292 .

Le libre renoncement apparaît ici avec évidence. Cette notion de justice s'inscrit ici aussi dans un idéal universalisant et cosmopolite, les Thérapeutes refusant de faire usage des esclaves durant les banquets. Cela nous conduit à nous interroger sur la légitimité octroyée à la pratique esclavagiste chez Aristote (Pol., 1252 sq.). En tout cas, on peut déjà mentionner un premier degré d'ex˗communautarisation 293 . Chez les Thérapeutes, l'idéal d'égale liberté vaut pour tous. Ce qui constitue un premier pas qui contraste tant avec l'égale liberté réservée aux seuls citoyens chez les Grecs qu'avec la micro˗société des Esséniens.

Concluons la comparaison entre ces deux sectes par une une remarque générale. Si pour les deux sectes que sont les Thérapeutes et les Esséniens, il s'agit de renoncer à la propriété privée, une distinction importante a été posé par Philon. Les premiers partageaient de manière mutualiste leurs biens, tandis que les seconds, plus radicaux, s'en séparaient 294 . Les premiers vivaient communautairement, alors que les seconds vivaient en ermites 295 . L'idéalisation du détachement spirituel à l'égard des biens trouve donc deux formes de réalisations différentes. Ces deux formes de détachement à l'égard des objets du désir seront mises en tension ultérieurement au sein du christianisme, ce qui alimentera cette querelle de la pauvreté. Nous trouverons un partage entre ceux qui refusent la propriété personnelle mais admettent la propriété commune d'une part, et ceux qui refusent à la fois la propriété personnelle et la propriété commune (les ordres mendiants) d'autre part. Mais le christianisme n'est pas la simple continuité de la tradition judaïque, et encore moins que la continuité de la tradition hellénique. Les motivations 296 comme causes de l'effectuation du concept de pauvreté volontaire entraînent donc une pluralité dans la phénoménalisation de celui˗ci.

c) L’idéalisation de la pauvreté volontaire, détachement, kénose et itinérance.

Quelle serait cette différence de motivations essentielles qui permettrait de différencier la pauvreté volontaire des communautés juives et les chrétiennes ? Le Chrétien, non moins que le Juif, cherche Dieu. Mais il ne le trouve pas de la même façon, ainsi qu'en témoigne Saint Augustin. Celui˗ci nous exprime dans ses Confessions à quel point il fut par moment dans les affres, mais aussi ce qui fut pour lui une délivrance :

Je cherchais le moyen d'acquérir la force nécessaire pour jouir de vous, et je ne la trouvais point, jusqu'à ce que j’eusse embrassé '' le Médiateur entre Dieu et l'homme, l'homme Jésus˗Christ'' 297 .

Le médiateur dont il est question ici, pour Augustin, n'est pas le démon grec, socratique ; par ailleurs Augustin se débat avec les doctrines néo˗platoniciennes. Dans ses Confessions, il nous rapporte qu'il trouve dans la doctrine chrétienne ce qui est absent pas ailleurs : ainsi les livres néo˗platoniciens ne contenaient pas l'idée d'un Dieu qui « s'est fait chair et à habité parmi nous » 298 . Nous retiendrons, ce passage d'Augustin qui paraphrase Saint Paul ( Ph 2, 5˗1 1.) :

Mais ''qu'il se soit anéanti lui˗même, en prenant la forme d'un esclave, qu'il se soit fait semblable aux hommes, qu'il ait été tenu extérieurement pour un homme, qu'il se soit humilié au point de se soumettre jusqu'à la mort et à la mort de la croix ; que pour cela Dieu l'ait ressuscité des morts et lui ait donné un nom qui est au˗dessus de tout nom, enfin qu'au nom de Jésus tous les habitants du ciel, de la terre et des enfers plient le genou, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus tous est dans la gloire de Dieu le Père, c'est ce que ne contiennent pas ces livres'' 299 .

Ce qui importe ici est que quelques siècles après cet énigme qu'est l'incarnation, ce témoin qu'est Augustin rapporte ce qui l'anime lui, mais aussi beaucoup de ses contemporains. Cet anéantissement de Dieu est ce que recherchait Augustin et ce qu'il a trouvé dans la morale sociale chrétienne. Paul exprime que ce Dieu qui s'est dépouillé [ekenôsen] prenant la condition de serviteur, répond au désir des humains. Un Dieu qui est une personne, qui est un « véritable médiateur », qui va servir d'exemple aux hommes par son humilité 300 . Ekénosen, « il se vida lui˗même », il s'est anéanti en assumant la forme d'un esclave, en incarnant notre bassesse. Cette kénose en tant qu'elle devient un exemple, digne d'imitation, peut donc engendrer un genre˗de˗vie. On la trouve rapportée par Paul et par les évangélistes 301 . L'exemplarité du Christ pour tous les Chrétiens a ceci de particulier qu'il faut imiter ce qu'il y a de plus scandaleux : le tout puissant qui condescend à la pire misère. L'état que l'on devait fuir ou supporter devient ce que l'on doit adorer. La kénose induit en effet un dépassement de la motivation originelle, de la cause finale de la pauvreté volontaire. Alors que l'on trouve ailleurs une préoccupation d'un Dieu pour les pauvres, – dans le bouddhisme, le judaïsme, la religion égyptienne, l'islam –, avec le Christ, on passe du Dieu des humiliés au Dieu humilié, comme le dit Hans Urs von Balthasar :

C'est la seule fois, dit, qu'une divinité a pris parti pour ceux qui souffrent, pour les humiliés et les offensés.[...] Un Dieu qui ne se contenta pas, dans le meilleur des cas, d'avoir du haut de son ciel pitié des pauvres créatures, mais qui partage leurs souffrance et leur angoisse, qui va même encore plus loin et leur accord ainsi un sens comme amour et comme transfiguration, si cruelles qu'elles soient ? 302 .

Se rapprocher de Dieu est donc l'imiter ; ce qui est rendu possible puisqu'il s'est rendu imitable : l'incarnation de son essence est donnée phénoménalement au Chrétien. Cette imitation et plus précisément cette imitation en chaîne nous en somme les témoins par l'entremise d'Augustin. Apprenant l’existence de monastères et d'un certain Antoine 303 , moine égyptien 304 dont le récit de vie lui fit grande impression. Notons qu'Augustin plus tôt, avec quelques amis communs (dont certains fortunés) projeta de mettre en commun leurs avoirs pour vivre en paix 305 . Nous allons tenter de comprendre, au travers du récit de vie de Saint Antoine, rapporté par Saint Athanase, comment le concept de pauvreté volontaire trouva son effectuation, et comment il se devait d'être imité :

Après la mort de ses parents, il resta seul avec une sœur encore fort jeune. Il avait dix˗huit ou vingt ans quand il dut prendre soin de la maison et de sa sœur. Six mois n'étaient pas encore écoulés depuis la mort de ses parents que, allant à la maison du Seigneur, comme à l'accoutumée, et songeant en lui˗même, il réfléchissait à tout ceci : comment les apôtres avaient tout abandonné pour suivre le Sauveur ; comment d'autres, d'après les Actes , vendaient leurs biens, en apportaient le prix et le déposaient au pieds des apôtres pour être distribué aux indigents ; enfin, quelle grande espérance leur était réservée dans les cieux. Le cœur occupé de ces pensées, il entra dans l'église, et il se trouva qu'on lisait justement l’Évangile ; il entendit le Seigneur dire au riche : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne˗le aux pauvres, et viens, suis˗moi, et tu auras un trésor dans les cieux. ». Antoine, comme si le souvenir des saints, qu'il venait d'avoir, lui était venu de Dieu et comme si la lecture avait été faite pour lui, sortit aussitôt de la maison du Seigneur. Les biens qu'il avait de ses ancêtres, trois cents aroures 306 de terre fertile et excellente, il en fit cadeau aux gens de son village pour n'en être pas embarrassé le moins du monde, lui et sa sœur. Il vendit aussi les biens meubles qu'il possédait, en reçut une somme assez importante et la distribua aux pauvres, à l'exception d'une petite réserve pour sa sœur. // Entrant une autre fois à la maison du Seigneur, il entendit le Seigneur dire dans l’évangile : « Ne vous mettez pas en peine du lendemain. » . Ne supportant plus d'attendre, il sortit et distribua même cette réserve au petites gens. Il confia sa sœur à des vierges connues et fidèles, et la leur remit pour qu'elles la forme à la virginité » 307 .

Ce passage illustre ce qui est au cœur de la querelle de la pauvreté. Athanase nous relate la pratique de la pauvreté calquée sur divers préceptes. Le premier d'entre eux est basé sur la koinonia (κοινωνία), l'amitié grecque, et la mise en commun des biens – le mutualisme qui a tenté Augustin dans sa jeunesse. On trouve une anticipation de ce modèle chez les Esséniens. Ce modèle est aussi rapporté dans l’Évangile de Saint Luc 308 . Un deuxième modèle est le dépouillement par donation aux pauvres effectifs et le suivi du Christ. Ce dernier se trouve chez les Thérapeutes. Il se trouve aussi dans la parabole du jeune homme riche (Mt 19, 21) 309 . La citation reprise à Athanase montre une mise en parallèle des deux pratiques : certains mettent en commun, d'autres abandonnent leurs biens. Ce passage de la vie de Saint Antoine est donc étrange, car les motivations de la koinonia et de l'abandon des biens ne sont pas les mêmes et chacun de ces prescrits, par eux˗mêmes, n'ont pas les mêmes conséquences. En son origine, la mise en commun n'a pas grand chose à voir avec l'idéal de pauvreté 310 , elle se rapporte à l'amitié : « personne dans la communauté ne doit souffrir de sa pauvreté » (Ac 4, 34). Pourtant, il ne fait pas de doute que chez Saint Antoine et d'autres après˗lui, l'usage qui est fait des Actes trouve sa motivation dans l'idéal de pauvreté. Les Actes sont mis au service de la pauvreté évangélique. Mais cette mise en commun est aussi à la source d'une tension qui participera de la querelle de la pauvreté et qui amènera le projet chrétien à « trébucher » voire à se trahir. La préoccupation première du Chrétien est l'accès à Dieu et son Salut, ce n'est pas l'abandon des biens en vue d'un confort. Chez le Chrétien, le mutualisme n'est qu'un moyen supplémentaire, qui s'adjoint au principe de l'abandon, et qui doit lui être subordonné. Mais le mutualisme tend à prendre la première place. Il tend à devenir la motivation première et non plus seconde. Il porte donc en lui les germes d'une possible trahison du message évangélique. Dans les Actes, Luc décrit la mise en commun des biens 311 au sein des premières communautés chrétiennes. Cette description est enrichie par les exemples de la donation de Barnabas (Ac 4, 36˗37) et de l'hypocrisie d'Ananie et Saphire 312 . Néanmoins, il importe de souligner que ce que Luc décrit est non pas un idéal, mais un état de fait. Cette absorption de la koinonia au sein du projet chrétien trouve˗t˗ elle sa source dans l'histoire ? Doit˗on y voir une nostalgie d'un « âge d'or » – révolu – qui serait celui des juifs nomades ? En tout cas, ce mutualisme sera à la source de beaucoup de modes de vie différents avant la venue du Christ 313 puis il participera de l'émergence de genres˗de˗vie chrétiens.

Ajoutons, et cela est lisible dans le récit de vie d'Antoine, un appel à suivre le Christ. Or, cet appel va tendre lui aussi à devenir une motivation première. Le projet chrétien est d'enseigner et d'annoncer la bonne nouvelle (Ac 6, 42). C'est un projet universaliste qui s'étend « jusqu'aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8) et qui s'adresse à « ceux qui sont aux loin » (Ac 2, 39) ainsi qu'à « toutes les familles de la terre » (Ac 4,25). Il s'agit donc d'emprunter les routes, ce qui du reste était déjà la tâche que se donnait Jésus. La motivation devient donc missionnaire. Ce n'est peut˗être pas pour rien qu’eut lieu le « miracle de la glossolalie » lors de la Pentecôte (Ac 2,4). Cette évangélisation itinérante était déjà le fait des premiers apôtres et convertis (Ac 8, 4) à l'instar de Philippe (Ac 8, 26˗40). Une partie des Actes décrit à ce sujet les périples de Paul, qui se dit envoyé sur les chemins par Dieu (Ac 22, 21). L'image du Chrétien est bien celui de l'itinérant. On en trouve la résumption dans la parabole du jeune homme riche : « Viens et suis moi ! ». D'ailleurs Jésus lui˗même ne prescrit˗il pas la vie communautaire ? C'est Luc rapportant des faits qui le mentionne ! Nous avons là un hiatus entre l'être et le devoir˗être, hiatus tapis et ignoré par Athanase narrant Saint Antoine.

La pauvreté béatifique, qui trouve ses racines dans la période pré˗chrétienne, dans une métaphysique et une expérience, qui s'inscrit dans la succession des générations d'un peuple et trouve sa réalisation la plus aboutie et son plein déploiement au sein du christianisme. Cette pauvreté volontaire, au sein du christianisme, reprend ces deux formes qui ont été illustrées par les sectes esséniennes et thérapeutes. À ces deux formes s'adjoignent les spécificités christiques dont la kénose et l'itinérance. Donc deux déterminations de la pauvreté volontaire – mise en commun et dépouillement –, non nécessairement mais possiblement contradictoires non nécessairement mais possiblement complémentaires. Ces deux déterminations dont l'une doit être assujettie à l'autre, expliqueront par la diversité de leurs réalisations et de leurs incarnations, la persistance de la querelle de la pauvreté.

d) Universalisation de la pauvreté volontaire : communauté versus en société

Nous avons à aborder un point essentiel dans notre compréhension du concept de pauvreté volontaire : le passage de son idéalisation comme se réalisant au sein d'une communauté à son idéalisation comme se réalisant au sein d'une société, bref l'universalisation du concept. Cette universalisation sera vue par Augustin 314 comme le point prouvant in concreto la supériorité d'une religion sur les autres. Cette universalisation peut aussi être compris comme une forme de démocratisation du concept, celui˗ci étant de plus en plus approprié par un peuple et par les peuples. L'effectuation de cette universalisation passe par un double processus d'ex˗communautarisation. Pour le comprendre, nous nous permettrons une digression. Il nous faut en effet comprendre en premier lieu ce que signifiait la pauvreté pour le Christ. Le Christ proclame que la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres (Mt XI, 6), scandale pour les Juifs ! Cette Bonne Nouvelle est exprimée dans la parrhésique, première béatitude du Sermon sur la montagne, de la manière suivante : « Heureux les pauvres de cœur, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5, 3). On la trouve aussi exprimée ainsi par Saint Luc « Heureux, vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6, 20). Évidemment selon le choix vers lequel se porte celui qui se réfère au Sermon, les conséquences diffèrent au sein de la morale sociale. Le christianisme balancera d'un pôle à l'autre 315 . La béatitude relève˗t˗elle d'un détachement matériel ou spirituel ? Ne relève˗t˗elle pas des deux ? Car il ne faudrait pas oublier que chez Matthieu la pauvreté effective est également prônée 316 . D'une part les adeptes de Jésus sont des « simples » (Mt 11, 25), plus précisément des gens sans la formation religieuse, « des gens incultes, arriérés et en même temps sans piété » 317   : «  Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout˗petits » ( Mt 11, 25). Mais d'autre part ce sont aussi ceux qui peinent sous le poids d'un dur labeur :  « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerais le repos... » ( Mt 11, 28) . Plus encore, on peut trouver dans l'évangile de Matthieu une conciliation de ce qu'il semble être des oppositions. En Mt 6, 19˗21, il est conseillé de ne pas accumuler des biens, et donc de ne pas s'attacher matériellement, afin d'accumuler des biens spirituels, puis en Mt 6, 24 il est clairement affirmé qu'il n'est pas possible de s'attacher et les biens matériels et Dieu ; enfin radicalisation en Mt 6, 25˗34, puisque non seulement il ne faut pas accumuler, mais en plus il faut abandonner tout soucis matériel, toute préoccupation à cet égard, même en ce qui concerne les besoins élémentaires, soit un détachement spirituel qui se concrétise par un détachement matériel. Ce passage de l'évangile de Matthieu est intéressant, car on passe du conseil de ne pas désirer avoir quelque chose au conseil de désirer ne pas avoir quelque chose ; il y a un processus de radicalisation et de mise en tension des conseils sujets à imitation. Par ailleurs certains pensent que Mathieu et Luc interprètent chacun la parole de Jésus dans un sens plutôt qu'un autre. Le premier privilégiant le sens religieux de la pauvreté : «  ceux qui sont pauvres devant Dieu, qui vont à Dieu en mendiants, les mains vides, conscient de leur pauvreté spirituelle » 318 , le second « visant les gens réellement pauvres [...] qui ont vraiment faim, qui pleurent réellement ou sont véritablement persécutés » (Lc 6, 21˗23). Mais Jésus, en s'adressant aux pauvres, se réfère à Es 61,1, aux anawim et à tous les ptôchoi. Ce dernier concept enveloppe une quiddité comprenant tant le sens mis en avant par Luc que celui mis en avant par Matthieu 319 . On ne peut opposer le « pauvre » en son sens matériel au « pauvre » en son sens spirituel.

Pour les Juifs, il s'agit d'un scandale, car le Christ réitère à sa façon cette première ex˗communautarisation, déjà présente chez les Thérapeutes. Ainsi le Christ promet la béatitude à ceux˗là mêmes qui sont exclus des diverses communautés, telles celles des Esséniens et des Pharisiens. Le Christ s'adresse aux pécheurs, à ceux, dixit les Esséniens , « de la Fosse »! Ensuite et surtout nous devons, il me semble, prendre en compte le bouleversement paulinien, ce que J. Daniélou appelle « la crise du judéo˗christianisme » 320 . Ce bouleversement, que je qualifierai de seconde ex˗communautarisation, cette révolution a eu pour effet de proclamer le salut pour tous et non pour quelques élus. Paul, militant nomade 321 , détache le message du Christ de la communauté juive où il restait ancré pour le porter aux Païens 322 . Ainsi nous voyons l' É glise comme communauté de croyants prendre le statut de corps mystique 323 afin de s'universaliser. Certes le message de pauvreté volontaire est un message qui reste encore présent au sein des communautés juives, mais ce message les dépasse en accueillant les Païens et les non˗circoncis. Ce faisant, les conditions sont réunies pour qu'émerge une religion catholique, qui se confond avec la société dans laquelle chaque Chrétien est présent. La pauvreté volontaire ne peut alors que s'universaliser. Cette seconde universalisation entraîne un genre˗de˗vie bien particulier, celui de l'apôtre nomade, évangélisateur, missionnaire, qui bien qu'il ne nie pas la mise en commun des biens, la réduit à peu de chose, puisque il est difficile de s'encombrer de beaucoup de biens en chemin. Le « Viens et suis˗moi » devient lui aussi exemplaire pour ceux qui veulent « être parfait ». Saint Jérome avait noté l'importance de l'itinérance en Mt 19,21 et le comprend littéralement :

Beaucoup renoncent aux richesses sans suivre le Seigneur. Suit le Seigneur celui qui l'imite et qui marche sur ses traces. En effet, ' 'celui qui dit croire dans le Christ doit marcher comme celui˗ci à marché'' 324 .

L'itinérance elle˗même devient un genre˗de˗vie bien spécifique, participant de cette pluralité de d'effectuations de la pauvreté volontaire. Le missionnaire se détache non seulement de tous ses biens, mais également d'un lieu, car il se libère spatialement. L'universalisme chrétien, n'est pas que théorique, il s'enracine dans le corps de celui qui en fait le projet. Il y a incarnation d'un idéal. La réalisation entraîne une transformation de soi par le détachement le plus radical possible. Le détachement, la kénose et l'itinérance, triptyque d'un esprit nouveau, donneront des figures dans le christianisme qui effrayeront par leur radicalisme. Certains perçoivent cette radicalité comme une déshumanisation tandis que d'autres la perçoivent comme une révélation de l'essence de l'homme, dépouillé qu'il est de tous ses accidents. La réalisation concrète de cette pauvreté idéalisée prendra donc des formes bien différentes, selon le genre˗de˗vie promu. On peut parler d'une pluralité de l'apparaître du concept.

Le genre˗de˗vie résulte de la mise en tensions entre l'idéal de vie contemplative et l'idéal de vie active, mais surtout entre la radicalité et la complétude qu'entend le chrétien à l'égard de l'invitation au détachement. Toute une palette de possibilités existent à l'égard de ce détachement, avec pour chacune un genre˗de˗vie différent. Soulignons que l'appel au détachement, pour le Chrétien, touche une diversité d'objet : à l'égard de sa famille 325 , de ses biens, de ses désirs et de son lieu de vie. Il ne faudrait pas mésestimer le dernier, le lieu de vie, car il conditionne pour une grande part les autres objets de détachement. Le Chrétien, qui reste attaché à son lieu de vie, aura plus de difficultés à se détacher des trois autres objets, ce n'est pas pour rien, qu'une fois qu'il aura « le siècle », qu'il sera encadré par un arsenal de règles exigeant de lui obéissance. N'oublions pas à quel point était important le droit sur le sol, à l'époque où l'enrichissement dépendait pour beaucoup du travail de la terre ! L'attachement ou le détachement du sol compte donc pour beaucoup. Celui qui reste attaché au sol a plus de capacités à accumuler – pour le malheur des grands ordres monastiques. Le détachement du lieu est aussi le conseil donné au jeune homme riche pour devenir parfait et pour obtenir le Royaume de Dieu. C'est donc une rupture avec la koïnonia ancienne. Il faut suivre le Christ dans son itinérance sur les routes ; et il faut pour les apôtres et ses successeurs suivre cet exemple. L'universalisation du message, tel que promu par Saint Paul, universalise aussi le conseil d'universaliser le message. On a une machine prosélyte d'une efficacité absolument remarquable. La complexité de la réalisation du programme missionnaire entraîne alors prosaïquement à titre de moyen une forme d'organisation qui stabilise les chrétiens convertis et qui les fixent au sol – le projet chrétien semble avoir besoin de se trahir pour s'effectuer. La difficulté à réaliser le projet de vie appelé par le Christ engendre une refixation au sol, qui remet en question la pauvreté volontaire telle qu'elle s'exprime dans toute sa radica lité en Mt 19, 21. Le modèle prôné au sein des Actes n'est pas essentiellement plus pleutre, mais il tend à « l'embourgeoisement » une fois confronté à la réalité mondaine. En cela, la pauvreté volontaire trouve sa place dans chacune des deux grandes déterminations religieuses et anthropologiques incarnées par des genres˗de˗vie différents. Il nous faut distinguer deux modalisations de la réalisation de la pauvreté volontaire. Une statique et une mobile, une qui tend à reproduire les anciennes communautés du pourtour méditerranéen et l'autre qui essaime le monde. Une qui garde un caractère plus communautaire 326 , et une autre qui tente de s'ouvrir à la société. Ces deux modalisations se retrouvent au long du christianisme et sont au fondement d'une dialectique, d'une opposition qui doit tendre à être sursumée par une universalité commune.

La vie en communauté : Liturgisation de la pauvreté béatifique.

Ci˗avant, nous avons vu que le Chrétien, qui veut devenir parfait, est appelé à se détacher de son lieu de vie. Saint Benoît, dans sa Règle, exprime explicitement qu'il ne va s'occuper que du genre˗de˗vie des moines cénobites, négligeant ou condamnant les trois autres genre˗de˗vie basés sur l'itinérance (RSB, I) 327 . Les règles de vies étudiées de si près par G. Agamben qui se questionne sur l’ambiguïté qu'elles donnent à voir en tant qu'elle seraient soit des récits de vie soit des prescriptions ( vita vel regula ) 328 . Elles sont à destination de religieux sédentaires, attachés à tout le moins au sol. Cette forme˗de˗vie cénobitique se caractérise par sa liturgisation 329 . Ainsi la Règle du Maître (que l'on retrouve dans la Règle de Saint Benoît ), qui faisait l'objet d'une lectio continua , se voit octroyé un statut liturgique 330 . À lire Agamben on pourrait oublier que la haute pauvreté ne concerne pas seulement la vie cénobitique. Il ne nie pas les autres formes de pauvreté vécues volontairement, mais il se concentre sur la liturgisation qui l'intéresse particulièrement et qui est propre à la vie cénobitique 331 . L'étude d'Agamben est fort pertinente pour notre propos, car elle exprime les effets sur la réalisation et l'incarnation du concept au travers d'une trahison qui découle d'un glissement d'une motivation à une autre. Certes on peut avec certains pères affirmer que la vie cénobitique serait la plus adaptée à la vie pauvre, mais on pourrait aussi se distancier de cette affirmation, en faisant nôtre la thèse selon laquelle la vie monacale, hypostasiant la koinonia , est porteuse de la dérive qui conduit à « l'embourgeoisement » des communautés et l'exacerbation de la querelle de la pauvreté. Tout autre est la situation des itinérants, condamnés ou minorisés.

On doit se demander si la pauvreté volontaire est la valeur principale véhiculée au sein de ce genre˗de˗vie. L a pauvreté volontaire n’apparaît pas toujours comme la partie centrale des règles monastiques. Ainsi la Règle d e Saint Pacôme, qui révèle une vie monacale plutôt frustre, décrit une forme˗de˗vie qui a tout de la « discipline de cadavre ». Dans la première et seconde Règle de Saint   Pacôme 332 , se trouve un ensemble de prescrits organisant la pauvreté 333  ; mais la lecture de ces règles nous révèle un catalogue d'injonctions qui organisent la vie du moine sans que ces injonctions ne semblent liées explicitement à une théologie ou à une métaphysique. Cela ne signifie pas pour autant qu'un tel lien soit inexistant, mais il n'est pas explicité. Si nous portons notre attention sur la Règle de Saint Benoît, nul doute que la pauvreté y est affirmée :

Par˗dessus tout, il faut retrancher du monastère ce vice [ de possession] jusqu’à la racine : que personne ne se permette de rien donner ou recevoir sans permission de l'abbé, ni d'avoir rien en propre,[ neque aliquid habere proprium] absolument aucun objet, ni livre, ni tablette, ni stylet, mais absolument rien, puisqu'on n'a même pas le droit d'avoir son corps et sa volonté sa propre disposition. Tout ce dont on a besoin, on le demande au père du monastère, et personne n'a le droit de rien avoir que l'abbé ne lui ait donné ou permis. Que '' tout soit commun à tous'', comme il est écrit, en sorte que ''personne ne dise sien quoi que ce soit'', ni ne le considère comme tel » 334 .

Pourtant, La Règle de Saint Benoît 335 , postérieure à la Règle de Saint Pacôme, confère à l'obéissance une position centrale. Dès le Prologue, c'est l'obéissance qui est valorisée : « Il nous faut donc préparer nos cœurs et nos corps à combattre sous la sainte obéissance des divins commandements ».(RSB, prol., 40). Selon la Règle, un abbé, outre qu'il sera jugé sur sa capacité à enseigner, le sera aussi sur sa capacité à se faire obéir ( RSB, II, 6) . T out un chapitre n'est rien moins qu'une liste de 78 commandements , tirés de la Bible, qui exigent obéissance ( RSB, IV) . Aussi peut˗on lire l'identification que fait Benoît de l'obéissance à l'humilité : «  Le premier degré de l'humilité est l'obéissance accomplie sans retard » (RSB V, 1). Cette obéissance connote également la crainte : « le premier degré de l'humilité, c'est la crainte de Dieu qu'un moine doit avoir constamment devant les yeux, se gardant sans cesse de l'oublier » (RSB, VII, 10). L'obéissance apparaît comme indissociable de l'humilité dont douze degrés (RSB, VII) sont justifié par les Écritures ( Lc 14, 11). Si cette règle, la plus riche de toutes, n'obéit pas à un plan logique et résulte de l'adjonction de textes d'origines très diverses 336 , il n'en reste pas moins que l'on ne peut que conclure, à sa lecture, qu'elle est traversée par une préoccupation qui se déploie dans ses différents moments, à savoir l'obéissance. Les chapitres de la Règle 337 dont C. Jean˗Nesmy 338 affirme qu'elles fondent l'essentiel de la doctrine spirituelle de Saint Benoît, sont précisément les chapitres qui mettent le plus l'accent sur l'obéissance. Cela mérite d'être mis en exergue, car il semble que ce soit un des traits par lequel le premier franciscanisme apostolique, et la diversité des autres « nouveaux mouvements religieux » que l'on tend à oublier, se distingueront. C'est que Agamben notera comme spécificité pour les nouveaux mouvements religieux 339 . Cette rupture avec la norme, que l'on trouve chez Saint François, soit une rupture avec cette liturgisation de la vie, et donc une rupture avec une expression de la pauvreté volontaire dont on peut douter qu'elle enveloppe encore son esprit 340 .

Cette conception de la vie monacale mettant un tel accent sur l’obéissance n'était pour autant pas universelle. Ainsi l a Règle de Saint Augustin 341 (Lettre 211), et bien qu'il soit aussi question de la vie chaste et de l'obéissance dans une vie communautaire, se rapporte pour une grande part à la pauvreté (cf. § 5) mais à l'aune de Ac 4, 32˗35   (donc de la communauté des biens). D'autre part la monacalisation en vue de la vie parfaite n'était pas la seule voie pour tout Chrétien. D ès après la première ex˗communautarisation, et comme s'enchaînant à celle˗ci, une seconde ex˗communautarisation, sorte de révolution permanente du projet abrahamique, qui trouvait on l'a vu son idéalisation chez Paul, cherchait aussi sa réalisation sur les chemins, et cela dès les XI e et XII e S., soit bien avant l'émergence des « nouveaux mouvements religieux ».

La vie en société et l'itinérance

Ainsi en trouvons nous trace dans la Didachè ( Ida ) . Ce texte constitue une sort e de catéchisme 342 et il aurait eu une influence au III e et IV e siècle. Ce texte serait contemporain des premiers écrits évangéliques, de la période « prémattéenne » 343 . Il porte en lui l'audace du christianisme comme « projet de société  » 344 qui dépasserait les frontières des « États ». Le christianisme se comprend comme communauté et poserait donc l'idéal d'une assemblée universelle de pauvres. Il s'agit d'un projet qui diffère de celui des Stoïciens : l'idée de l'autonomie personnelle s'y trouve dépassée. La Didachè contient l'idée d'une Église, d'une société ecclésiale dont les membres sont reliés entre˗eux. Ce modèle de société s'établirait entre autres au niveau des richesses : « Ainsi la Didachè, recommande˗t˗elle, que l'on cède ses revenus, et que l'on travaille » 345 . Ce texte vise à instruire le catéchumène, et il commence par distinguer deux voies, suivant une tradition déjà ancienne, celle de la vie et celle de la mort (Cf. Mt 7, 13˗14) 346 , en vue de prescrire la première voie, en donnant comme précepte la Règle d'or. Cette Didachè offre une place éminente à l'abandon des biens. En bref, heureux celui qui donne, malheureux celui qui reçoit sans être dans la nécessité ( Ida 1.4) . Certes il y a un appel au détachement matériel qui accompagne le détachement spirituel, mais en même temps, l'idée d'un mutualisme strict n'est pas celui qui est prôné, puisque la communauté n'est plus physique, substantielle. Si elle existe, c'est surtout au travers de sa spiritualisation au travers de l'idée de l'ecclésia. Dans ce texte se trouve le témoignage du Chrétien itinérant, détaché du sol. L'idée de dépouillement est intrinsèque au genre˗de˗vie du Chrétien, elle en constitue son identité et à sa quiddité même, comme cela s'exprime au travers des recommandations faites à l'encontre des voyageurs:

Au sujet des apôtres et des prophète, suivez la règle de l'évangile. Ainsi, que tout apôtre qui se présente à vous soit reçu comme le Seigneur ; mais il ne restera qu'un seul jour, et s'il en est besoin, le jour suivant ; s'il reste trois jours, c'est un faux prophète. A son départ, que l'apôtre ne reçoive rien, si ce n'est son pain jusqu'à l'étape ; s'il demande de l'argent, c'est un faux prophète. Ida 11. 3˗6

Ce commandement nous éclaire sur l'apparaître des premiers religieux chrétiens, participant d'un genre˗de vie reconnaissables par leur mépris de l'argent. L'anonyme du Didachè revient à plusieurs reprises sur ce genre˗de˗vie (Ida 11.12) . Ainsi recommandation est faite de se méfier des faux religieux chrétiens qui se refusent à travailler et vivent oisivement :

S'il à l'intention de s'établir parmi vous, et qu'il ait un métier, qu'il travaille pour sa nourriture. S'il est sans métier, voyez à son cas selon votre jugement, de façon à ne pas laisser un chrétien vivre parmi vous dans l'oisiveté. S'il refuse de se conformer, c'est un trafiquant du Christ : gardez˗vous de telles gens. Ida 12. 3˗5.

Il existe bien une conscience que les religieux chrétiens suivent un mode de vie particulier, et savent se reconnaître entre˗eux. Mais il n'y a pas tant communautarisation (comme c'est plus le cas au sein du cadre monastique), enfermement, que présence au sein de la société. La condition de possibilité du détachement matériel du Chrétien passe par l'autonomie du sujet à l'égard de la production. Le Chrétien travaille et participe pleinement par son travail à son autonomie. Si l'idée de la mutualisation ne disparaît pas, elle perd de sa substantialité. Plus généralement, et pour revenir sur la seconde ex˗communautarisation, l a tendance à réaliser sa vie en participant de la société peut se comprendre dans l' Apologeticum de Tertullien 347 . « Nous habitons ce monde avec vous » ! Quelle différence de ton entre cet appel et celui des Esséniens ! Le III e siècle sera marqué par un fait nouveau : les Chrétiens vont «envahir la société » 348   : « Nous ne vous avons laissé que les temples » 349 proclame ailleurs Tertullien ! Ce « slogan » donne l'idée de la force qui se dégage de ce nouveau phénomène – issu du projet paulinien. Cela ne se fera pas sans mal, car ils veulent vivre en Chrétien dans cette société, cohabitamus hoc saeculum, et si ils reconnaissent la propriété, admettent les inégalités de conditions et les richesses, il vont longuement élaborer sur ces questions 350 . Par ce processus, nous voyons la réalisation de la seconde ex˗communautarisation. Pourtant, la vie en communauté au sein d'une société qui se christianisa se développera à un point tel qu'elle formera des pôles économiques qui irrigueront toute la société féodale qui verra alors malheureusement aussi le concept de pauvreté volontaire parallèlement pollué par d'autres motivations . À l'appui de notre thèse selon laquelle la querelle de la pauvreté fut précoce se complexifia avec le temps, nous pouvons nous référer aux écrits de Saint Nil. Ce dernier, dans ses Discours ascétiques ( Da ) 351 , se désole de la corruption des moines et fustige une trahison à l'égard de la « Vraie philosophie » 352 , celle qui est pratiquée par les disciples du Christ 353 . Saint Nil estime que pour être philosophe, il faut suivre l'exemple du Christ, à l'image des Apôtres. Ce que ne nierait d'ailleurs pas un moderne comme P.   Hadot, si l'on considère conséquemment sa définition de la philosophie 354 . Mais dit Saint Nil, tous « n'avaient pas la volonté ou la force de les imiter » ( Da, 4) , et pour cela ils se firent ermites et moines et, dit˗il, « aucun n'était dans l'opulence, aucun dans l'indigence » ( Da, 5) : c'est la mise en commun des biens. Il y a donc ceux qui suivent radicalement le Christ, et ceux qui le suivent « mollement ». Saint Nil a conscience que la vie communautaire découle d'un manque de détermination de ses contemporains à suivre le Christ. Il qualifie tout de même cette vie communautaire de « conduite parfaite et vie céleste » ( Da, 6) . Il fustige la décadence, la dégradation de ce mode de vie par la négligence, et s'adossant sur Lc 9, 62, il condamne le fait de « regarder en arrière » ( Da, 6) et d'abandonner l'état d' hèsychia 355 pour à nouveau embrasser l'attachement aux biens matériels. Ce n'est pas pour rien que les Règles sont si précises, et ce n'est pas pour rien qu'Augustin dû écrire son Opera monachorum , fustigeant l'esprit de paresse des moines ! On peut noter que c'est donc du sein même de la vie communautaire que naît la querelle. Ce n'est pas seulement envers le régulier que Saint Nil porte le fer, mais envers la communauté monacale entière : « Nous ne dédaignons pas d'acquérir toute la terre que nous pouvons, et nous amassons... » ( Da, 7) dit˗il ! Il relève la contradiction entre le discours et la pratique : « car même si nous ne le reconnaissons pas en paroles, nous sommes accusés par la pratique  » ( Da, 7) . Il est très clairvoyant et critique à propos de l'état de corruption auquel abouti la vie cénobitique. Ce mode de vie se rapproche même de « la morgue des pharisiens » ( Da, 8) . Saint Nil n'est pas plus tendre envers les moines, qui incapables de vivre en communauté, la fuient. Il va jusqu'à énoncer que les cénobites, par leur corruption, sont encore pires que les philosophes qui adoptent des pratiques contraires à ce qu'ils professent ( Da, 11) . S’appuyant notamment sur l' Ecclésiaste , Saint Nil recommande de se contenter du « strict nécessaire » ( Da, 68)  : soit nourriture et vêtements, affirmant, se référant à Gn 3, 18˗21, que le créateur a « fixé les limites des besoins du corps » ( Da, 17) . Saint Nil conseille de fuir villes et villages et de retourner au désert, d'habiter les rochers, à l'instar de Jean˗Baptiste ( Da, 20) . On trouve chez Saint Nil une doctrine du détachement. Il n'est besoin que de citer le détachement envers les passions, donc une réflexion qui moralise une noétique ( Da, 40) , mais aussi un abandon de soi˗même et de ce que l'on possède ( Da, 43) et un détachement des liens familiaux et de l'agitation du monde ( Da, 45). Le seul objet d'attachement possible est l' attachement à un lieu. Ceci constitue une preuve que la tension ne signifie pas toujours une trahison. Il prône ainsi les conditions d'accès à l' hèsychia explicitée par l'higoumène Hésychius le Sinaïte 356 , qui se veut une méthode spirituelle qui a en vue la pureté de cœur (Mt 5, 8) 357 . Pour autant le modèle de genre de vie de Saint Nil n'est pas la mission, mais le retrait dans le désert. Il le cite d’ailleurs explicitement en prenant pour exemple le prophète Élie sur le mont Carmel ( Da, 60) . Saint Nil assimile l’attachement aux biens terrestres, à l'adulte qui continue honteusement de s'attacher à ses jeux d'enfants. Il conseille, de suivre l'exemple du navigateur, qui, pris dans un ouragan, se déleste des marchandises afin d’être sauvé, bref de « jeter la cargaison à la mer » ( Da, 67) . Néanmoins et m algré les trahisons dénoncées par Saint Nil, le renversement aura été opéré. Ce qui signifie que la pauvreté volontaire se devra vivre et de manière communautaire et sociétale. Ce qui signifie que l'on aura des façons de vivre différentes . Il est ici temps de soulever ce thème. Car il participe de la pleine compréhension du concept de pauvreté volontaire.

e) De l'unité de la pauvreté évangélique et de ces conséquences

Au delà de la pluralité des formes de pauvreté volontaire, on trouve un substrat commun, une cause efficiente unique de ces diverses conséquences. On peut comprendre cette pluralité de diverses manières. Nous pouvons parler d'une pluralité déterminée par la diversité des motivations, celles˗ci déterminant essentiellement chaque forme de pauvreté volontaire. Ces motivations s'inscrivent dans des théologies ou cosmogonie diverses, qui permettent à cette pluralité d'émerger, et de se complexifier au travers de déterminations secondes mais essentielles. Mais nous devons souligner un fond commun unissant cette pluralité, une détermination première. Celle˗ci est, nous l'avons vu auparavant, l'affirmation d'un Dieu unique et distinct des créatures, l ’opposition Créateur˗créatures, et la terre comme lieu concédé aux hommes. Nous allons illustrer cette donation originelle comme concession en nous appuyant sur Julien Pomère, justifiant métaphysiquement et théologiquement l'idéal de pauvreté. Ce p ostulat métaphysique créationniste, selon lequel la terre ne nous est que concédée, a aussi des conséquences sur la manière avec laquelle la pauvreté est organisée. Ce postulat trouve sa source dans les Écritures :« Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre » ( Gn 1, 1) 358 , – autrement exprimé ultérieurement dans le Prologue de l’Évangile de Saint Jean. Ce créationnisme qui se trouve loué dans Le livre de la consolation d'Israël , affirme un hiatus, les habitants de la terre sont « comme des sauterelles » (Es 60, 12˗26)  , qui doivent se satisfaire de la transcendance ultime d'un Dieu qui les précède et qui leur est en grande part inconnaissable : « Tu n'iras pas plus loin, lui dis˗je, ici se brisera l’orgueil de tes flots ! » (Jb 38, 11). Cette métaphysique créationniste est à l'origine d'une doctrine économique ( Lv 25, 1˗29). Nous trouvons ainsi chez les Juifs cette idée selon laquelle la terre nous est concédée et elle s'exprime par cette règle qui affirme que la propriété doit revenir lors de l'année jubilaire (tous les 50 ans) à son première possesseur 359   :

Et le pays ne se vendra pas à perpétuité, car le pays est à moi ; car vous, vous êtes à moi ; car vous, vous êtes chez moi comme des étrangers et comme des hôtes  ( Lv 25, 23 ).

L'homme est donc un étranger et un voyageur sur terre, un pèlerin (He 11, 13) ; en séjour sur terre – parepidêmos – (1 P 1, 17) ! À ce donné qui s'ancre dans une cosmogonie, il faut pourtant justifier une mise en commun inflationniste des biens. Nous trouvons dans le De vita contemplativa, d e J.   Pomère 360 , les prémisses du débat qui trouvera son déploiement spirituel chez Bonaventure 361 . Cet ouvrage est une réponse à un certain Julien, concernant la propriété 362 . Il fait le point sur la question des richesses et de la pauvreté de l’Église, articulant le renoncement des biens des Chrétiens et le devoir de gestion pour les administrateurs d'une communauté 363 , tentant de résoudre cette querelle de la pauvreté. Ce texte, peu sollicité en général, connu son moment de gloire entre 810 et 850 364 puisqu'il fut mobilisé lors du concile d'Aix 365 et qu'il aura une grande influence sur les réformateurs carolingiens 366 . Le texte pose « dans son entier, le problème de l'attitude de l'Église et des Chrétiens en présence de la richesse et des biens terrestres » 367 et il en sera fait usage dans des textes de droit canon. Un chapitre du De vita contemplativa 368 constitue d'une part une « charte fondamentale de l'usage des biens par les clercs » 369 et d'autre part « une méditation de grande portée sur le détachement du chrétien en face des biens terrestres individuellement possédés » 370 . Pour J.   Pomère, qui prend en exemple l'évêque d’Arles, ce dernier doit gérer la fortune de son Église comme procurator, et non comme propriétaire, possessor. Le postulat de départ, très obligeant, est que tous les biens appartiennent à Dieu 371 . J. Pomère s'interroge : l’Église doit˗elle ou non renoncer à tous les biens, en propre et/ou en commun ? Il répond que l’Église peut avoir en commun des biens. Mais cela suscite une autre question : « Comment ces biens doivent˗ils être possédés et gérés ? » 372 . J. Pomère propose alors une réponse originale : « Les biens d'Église ne sont propres à aucun clerc, mais ils sont communs » 373 . Le clerc ne peut être sujet aux préoccupations de ses biens propres, il va user des biens nécessaires à sa vie 374 , et il pourra compter sur le soutien de l’Église, puisque : « ce qu'a l'Église, elle l'a en commun avec ceux qui n'ont rien... » 375 . Concernant les riches qui mettent leur fortune au service de l’Église, ils passent du statut de propriétaires de leurs biens personnels au statut de gérant de biens devenus propriété de l' É glise  :

On doit comprendre que des hommes qui ont montré une telle énergie et un tel caractère et qui, dans leur désir de devenir disciples du Christ, ont renoncé à tout ce qu'ils possédaient, conservaient les biens de l'église non en tant que propriétaire, mais en tant que gérants. Et voilà pourquoi, sachant que les revenus de l'église ne sont rien d'autre que les offrandes des fidèles, l'argent destiné à racheter les péchés et les biens qui reviennent aux pauvres, ils ne les ont pas revendiqués pour leur usage personnel, mais ils les ont partagés pour les remettre aux pauvres. C'est, en effet, prendre ses distances par rapport à un bien, tout en le conservant, que de le conserver, non pour soi˗même, mais pour d'autres ; que de ne pas désirer les biens de l'église par âpreté au gain, mais de les gérer avec le souci de venir en aide. Ce que détient l'église, elle l'a eu en commun avec tous ceux qui n'ont rien et elle ne doit donc rien débourser pour ceux qui ont tout ce qu'il leur faut, car donner à un nanti, c'est pure perte 376 .

Ce changement de statut des biens n'est pas sans ambiguités. Mais il ne fait pas de doute qu'il y ait eu de richissimes Chrétiens foncièrement désintéressés, à l'instar de la Sainte Mélanie qui se dépouilla de tous ses biens 377 afin de « devenir riche de sa pauvreté » (2 Co 8, 9). Le Chrétien doit se faire pauvre parmi les pauvres 378 et du moment que la subsistance pour soi et pour ses proches est assurée, on est tenu de donner le superflu aux pauvres 379 . En réalité, la pauvreté se retrouve partout chez les Pères de l’Église et les théologiens, c'est en fait leur grand problème. La véritable définition de la pauvreté se retrouve non pas dans une situation économico˗sociale mais un état d'esprit de renoncement 380 . Cet esprit de renoncement pourrait donc être compatible avec une vie parmi les richesses de ce monde. La doctrine chrétienne du créateur engendre une doctrine de la possession bien particulière qui sera partagée par le monde chrétien. Cet exemple nous montre que l es catégories mobilisées (procurator/possessor) sont des outils qui permettent de justifier la pauvreté volontaire au sein même d'institutions qui concentrent des richesses. Quant à la réalisation, elle se fait plus difficile, mais pas impossible ; son incarnation est toujours sujette à trahison de l'idéal, et lorsque cette trahison devient la règle, elle engendre des réactions qui participent concrètement à cette querelle.

f) Retour à l'esprit de la pauvreté volontaire

C'est à l'encontre de telles accumulations par des institutions, qui trouvent à s'abriter derrière une justification théologique, que l'on voit apparaître les « nouveaux mouvements religieux ». Les religieux, qui ont été à la source de cette revivification, sont très nombreux et il nous serait impossible de les citer tous. Mais par delà ses pluralités, ce retour à l'esprit originaire de la pauvreté volontaire fait˗il partie de son essence même ? Nous pouvons à bon droit nous le demander, au vu de l'effectuation récurrente de ce retour. Giorgio Agamben toutefois, se penchant sur cette forme˗de˗vie qui émerge au XI e et XII e siècle, entrevoit une changement de nature de cette pauvreté qui était déjà présente auparavant dans les règles. Ce changement se caractérise par le passage d'une pauvreté vue comme pénitentielle à une pauvreté comprise comme angélique 381  : ce n'est plus la règle qui importe mais la vie. Il n'est pas pour rien que la joie dans cette pauvreté tienne une si grande importance. Nous pouvons parler d'une sortie de la liturgisation de la vie monastique, qu'Agamben nomme « l'''antisacerdotalisme'' et qui est si caractéristique de nombreux « mouvements spirituels » 382 . Cette ex˗liturgisation est donc avant tout une revivification de la pauvreté volontaire par un retour au projet présent chez les Pères du désert – cette revivification était déjà prônée, nous l'avons vu, 7 siècles plus tôt par Saint Nil. Nous avons une respiritualisation de la l'idéal de la pauvreté volontaire qui retrouve le détachement matériel originel comme conséquence de la pauvreté d'esprit. Dans ces nouveaux mouvements religieux, et ici a contrario de Saint Nil, le Chrétien est un itinérant. Le Chrétien se détache du sol, de son lieu et marche sur les chemins pour suivre l'idéal d'évangélisation « jusqu'aux extrémités de la terre »,... du moins jusqu'à la trahison qui s'ensuivra. On peut comprendre ce processus au travers de la figure de Pierre Valdo (1140 ˗ 1217). Ce dernier, issu d'une famille de riches marchands, distribue ses biens au pauvres et quitte sa famille – veillant à les mettre à l'abri du besoin – pour évangéliser sur les routes 383 . Il aurait trouvé sa vocation à la suite, d'une part, d'une geste de la vie de Saint Alexis, célèbre figure hagiographique et d'autre part, de l'appel à la mission et de l'idéal d'itinérance 384 (Mt 10, 5˗14). Cet appel aux douze à partir en mission qui s'accompagne de l’exigence d'une pauvreté rigoureuse dont on trouve la résumption en Mt 19,21 : « Puis viens, suis˗moi ! » 385  :

Ne vous procurez ni or, ni argent, ni monnaie à mettre dans vos ceintures, ni sac pour la roue, ni deux tuniques, ni sandales ni bâton, car l'ouvrier a droit à sa nourriture ». (Mt 10, 9˗10)

Selon une lecture protestante 386 , il semblerait que Valdo, en littéraliste – comme ses contemporains – , n'aurait pas compris que la parabole du jeune homme riche, n'affirme pas que l'on soit sauvé par ses actes, car il serait impossible pour un riche alors d'être sauvé, mais par la grâce 387 . Pour nous l'intérêt provient de deux aspects. Premièrement, outre une comparaison avec le Poverello, ce passage permet de souligner la figure de l'itinérance. Valdo fut pauvre et errant toute sa vie, il aurait opéré une « rupture individualiste » 388 , permettant de penser une église de solitaires. Deuxièmement, ce passage permet surtout de nous montrer que deux modèles co˗existaient concrètement, s'incarnant dans des genre˗de˗vie différents. Il s'agit d'une réitération de l'aporie entre koïnonia et abandon. Au modèle de Valdo, le modèle des Pauvres de Lyon, s'oppose le genre˗de˗vie des Pauvres de Lombardie. Les premiers sont plus itinérants, tandis que les seconds (dont les origines remontent à Arnaud de Brescia) sont davantage attachés à leur lieu de travail, urbain et rural et à leur famille. Ces derniers fondent leur habitus sur l'exemple des Actes et des premières communauté chrétiennes 389  :

L'exercice d'un métier dans une vie sédentaire et un point qui différencie de façon capitale Pauvres de Lyon et Pauvres de Lombardie. C'est donc entre eux l’élément d'un désaccord puissant. Pour Valdo et ses proches, un métier est une voie vers la richesse, vers l'attrait des biens de ce monde. Ils insistent au contraire sur une vocation de pauvreté totale, de dénuement absolu de tout bien. Pour les Lombards, un métier est une garantie d'indépendance, tout en étant un moyen d’insertion sociale et d'assurance familiale. Ils insistent, non sur la pauvreté, mais sur une vie menée sans égoïsme, sans attachement excessif à des biens personnels. Pour Valdo, l'essentiel est d'abord la prédication. Pour les lombards, c'est d'abord le témoignage d'amour mutuel dans la vie de tous les jours 390 .

L'opposition de ces deux genre de vie montre une concrétisation possible de la querelle de la pauvreté. L'itinérance est un trait essentiel du renouveau de l'esprit de la pauvreté volontaire.Mais B. Félix souligne avec pertinence qu'une communauté qui est fixée est plus durable qu'une communauté mobile 391 . C'était la politique de Diego d'Osma et de Dominique de Guzman (Saint Dominique) que d'envoyer prêcher sur les routes par petits groupes et pauvrement pour restaurer une Église décadente de richesse, que ce soit celle les légats languedociens ou les moines cisterciens 392 . L'itinérance est mise en regard de l'immobilité e de l’enracinement sur des terres. Cette itinérance est le fait de l'exemplarité, de l'imitation comme nous avons souligné son importance dans des écrits très anciens. En effet B. Félix entend souligner la continuité bien plus que la rupture entre la pratique itinérante telle qu'était pratiquée par Jésus, après pâques et la pentecôte, et par les apôtres 393 . Pour B. Félix cette marche des Galiléens premiers disciples du Christ durant les premières dizaines d'années après sa mort est compréhensible du fait de l'espoir de son retour et de l'avènement du Royaume. Mais une autre voie est tout aussi compréhensible, dit˗il, de la part des Chrétiens qui n'ont pas connus vivant Jésus, la voie de l'imitation de l'itinérance issue de la recommandation que fit Jésus à ses disciples après sa résurrection 394 . Deux modalités de l'itinérance se dessine donc avec une imitation d'un modèle incarné et une imitation par fondation d'un projet.

Les « nouveaux mouvements religieux », ont émergé dans une nouvelle façon de vivre. On sait Saint François peu porté sur des développements théologiques sophistiqués. Or, ces courants issus de ces nouveaux mouvements religieux ont été à l'origine de penseurs qui ont eux réfléchi de manière plus ou moins systémique à la pauvreté volontaire. Dans cette volonté de systématisation, qui émerge lors de la scolastique, les maîtres se donnent des outils afin de résoudre des apories, des contradictions qui ont émergés au fil du temps, afin de montrer que le concept de pauvreté volontaire a demandé, pour se réaliser et s'incarner durablement, de résoudre une querelle de concepts.

g) Importance de la volonté

Nous avons défini notre pauvreté comme renoncement libre et nous avons affirmé que c'était une affirmation lourde de sens du point de vue métaphysique. En effet, la liberté et la volonté qui la sous˗tend n'est pas évidente à appréhender. Nous allons interroger ce trait de caractère de la pauvreté volontaire chez Thomas d'Aquin. Nous nous sommes interrogé sur la nature anthropologique de la pauvreté. Elle est explicable chez Thomas d'Aquin au travers de la notion de volonté. Pour Thomas d'Aquin, les actes humains comprennent du volontaire 395 , à savoir un principe présent dans l'agent, qui le meut en vue d'une fin 396 . Rapporter la pauvreté volontaire à la volonté, c'est la rapporter ultimement à Dieu. Car se demander ce qu'est la volonté, c'est se demander ce qui en est la cause, et donc le premier moteur. Le principe de la volonté serait intérieur à l'homme et qui exprime une certaine autonomie de celui˗ci par rapport à ses actes à tous le moins intérieurs. Mais ce mouvement volontaire a beau être interne à la volonté, il n'en est pas pour autant la cause première, qui elle se situerait dehors 397 . Thomas d'Aquin identifie ce premier moteur à Dieu, et il justifie cette affirmation par deux arguments. La volonté est d'une part une puissance de l'âme raisonnable qui ne peut être causée que par création donc par Dieu, et, la volonté est, d'autre part, ordonnée au bien universel et donc ordonnée au seul bien universel qu'est Dieu 398 .

Comment articuler la pauvreté volontaire à la volonté ? La convoitise est pour Thomas d'Aquin ce qui contribue à rendre l'acte volontaire : « sous l'influence de la convoitise, la volonté est inclinée à vouloir ce qu'elle convoite » 399 . Étrange paradoxe d'une volonté dont la fin est le bien universel et qui est animée par la convoitise. Il s'agit pour Thomas d'Aquin de rendre compte d'actes qui sont pas en vue du bien. Il empruntera à Aristote l'idée qu'une cause universelle, la raison comme cause de la volonté, ne peut s'appliquer à un effet particulier que transitivement par l’intercession d'une cause particulière. Cette cause est l'estimative particulière, soit l'appétit sensitif 400 . Thomas d'Aquin établit ainsi un rapport entre raison et passion, qui joue parfois en faveur de la première, parfois en faveur de la seconde. La partie sensitive de l'âme peut être soumise à la raison ou à la passion. C'est de cette façon que Thomas explique que l'on puisse faire le mal que l'on déteste pourtant 401 . La volonté peut alors consentir ou pas et succomber à la convoitise. Et il semblerait que le désir de richesses puisse être, chez Thomas d'Aquin, qualifiée de convoitise, puisque « Quant à désirer une chose en tant qu'elle est un bien délectable d'ordre sensible, c'est le propre de la convoitise, qui appartient à la puissance concupiscible » 402 . Mais comme on va le voir, le désir de richesses ne peut, , être source de béatitude, comprise comme « fin ultime de la vie humaine » 403 . La béatitude est volontaire et première dans l'intention de l'agent 404 . Le problème de la quiddité de la béatitude préoccupe aussi Thomas d'Aquin. La béatitude se trouve être l'intellect atteignant l'essence de la cause première, et non pas seulement son existence. Seule l'union de l'intellect à Dieu « comme à son objet » peut s'appeler béatitude. 405 Cette fin ultime a pour but de combler le désir de façon telle que rien en dehors d'elle ne soit plus à désirer, fin qui à ses yeux est donc unique 406 . Dans un premier temps, il s'est demandé si la béatitude ne consisterait pas dans l'obtention de richesses 407 . Arrêtons˗nous un instant sur cette hypothèse. La résolution de son questionnement trouve sa réponse chez Aristote 408 et dans les Écritures. Pour Thomas, les richesses sont soit matérielles, soit spirituelles, ces dernières ne pouvant se vendre ou s'acheter 409 . A u sein des premières, il distingue les richesses naturelles des richesses artificielles 410 . Les naturelles permettent de « subvenir aux besoins de sa nature » et sont donc indispensables. Les richesses artificielles quant à elles seront vues avec méfiance, car l'appétit que l'on peut avoir à leur égard peut être sans mesure, infini. Les richesses artificielles sont « au service d'une convoitise désordonnée » 411 . Si Thomas d'Aquin ne fait que reprendre la distinction aristotélicienne entre l'administration familiale et la chrématistique, il affirme en outre que les richesses matérielles prises dans leur ensemble, indépendamment de cette distinction, ne peuvent donner accès aux béatitudes. Plus on en possède de richesses et plus on méprise ce que l'on possède. A contrario, plus on possède Dieu, et plus on l'aime 412 . En réalité, Thomas d'Aquin, sans la condamner, dévalue même ce qui chez Aristote participe de la vie heureuse 413 , la recherche des richesses naturelles à l'homme. Thomas d'Aquin, même s'il opère une distinction conceptuelle entre richesses naturelles et artificielles, ne commet pas l'erreur de les distinguer absolument. Thomas d'Aquin n'accorde pas de grands mérites à la richesse matérielle. En reprenant à Aristote lui˗même la constatation que le processus qui consiste à passer d'une richesse naturelle à une richesse artificielle trouve sa source dans le désir de vivre qui n'a pas de limites, il loge la cupidité au sein d'une anthropologie. Ce dernier désir illimité de vie aurait pour corollaire, l'obtention des moyens pour vivre qui semble elle aussi ne plus connaître de limites chez certains gens 414 . Pour Thomas d'Aquin, la richesse est un péché, soit un « appétit » – nous dirions un désir – désordonné d'un bien périssable, c'est˗à˗dire de tout bien ou toute créature à l'exception de Dieu 415 . Bien plus Thomas d'Aquin trouve la cause unique de la diversité des désirs dans la cupidité – assimilée à l'orgueil – en divers endroits de son oeuvre. Ainsi s'appuie˗t˗il sur Saint Grégoire 416 , ou sur saint Paul pour illustrer la cupidité :

Il [ l'Apôtre en Tm 6, 9) ] parle de la cupidité comme du désir immodéré des richesses. Et c'est en ce sens qu'il faut dire que la cupidité, comme péché spécial, est appelée la racine de tous les péchés, à la manière d'une racine qui fournit de la nourriture à l'arbre tout entier. Nous voyons en effet que l'homme acquiert avec la richesse la faculté de perpétrer n'importe quel péché et celle d'en avoir le désir, du fait que l'argent peut aider à se procurer les biens de ce monde quels qu'ils soient, selon le mot de l'Ecclésiaste (10, 19 Vg ): "A l'argent tout obéit." C'est évidemment par là que la cupidité des richesses est la racine de tous les péchés 417 .

La cupidité des richesses est donc à la racine de tous les péchés nous dit Thom as d'Aquin. Il distingue aussi les péchés de l'esprit et ceux de la chair. Le passage ci˗après éclaire ce qu'est la pauvreté en esprit.

[....] il y a deux sortes de délectations. Une délectation d'âme qui se consomme dans la seule idée d'une chose désirée et possédée; on peut dire que c'est là un plaisir spirituel, celui que l'on prend par exemple à la louange humaine ou à quelque chose d'analogue. Et puis il y a la délectation corporelle ou naturelle qui s'achève dans le toucher et qu'on peut aussi appeler plaisir charnel 418 .

À l'encontre de cette cupidité, Thomas recommande la crainte de Dieu qui est associée à la pauvreté d'Esprit. Cette pauvreté d'Esprit est une double disposition conduisant à veiller, d'une part, à ne pas « s'exalter en lui˗même par l'orgueil » 419 et, d'autre part, à ne pas « se glorifier dans les biens extérieurs, honneurs et richesses » 420 . Ce mépris des biens temporels, nous dit Thomas, est le fait de la volonté chez l'homme, qui subit l'impulsion du Saint Esprit 421 . La pauvreté d'esprit n'est donc pas déconnectée de la pauvreté effective, elle en est une condition. C'est en ce sens que l'on doit comprendre que « la perfection ne consiste pas dans l'abandon des biens temporels ; c'est là seulement le chemin vers la perfection » 422 . Nous pouvons ainsi comprendre qu'il résulte de cette crainte et de cette pauvreté en esprit un usage modéré voire une totale abstention. Cette disposition que l'on retrouve au sein de la modestie, de la continence et de la chasteté 423 . Le détachement spirituel des biens est la fin de la pauvreté volontaire, le détachement matériel n'étant qu'une voie, qu'un état qui le précède et qui sert de symptôme éventuel au premier. Bien sûr, ce détachement matériel n'est lui˗même pas la béatitude, ce qui se comprend au vu de nos propos précédents:

La pauvreté d'esprit ne semble pas être la béatitude qui répond au don de crainte. En effet, nous l'avons montré. La crainte est le commencement de la vie spirituelle. Or la pauvreté se rattache à la perfection de la vie spirituelle selon S. Mt (19, 21): " Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as et donne le aux pauvres. " La pauvreté d'esprit ne correspond donc pas au don de crainte 424 .

Il s'agit de distinguer à présent la volonté qui porte sur un moyen et celle qui porte sur une fin. La fin ultime est pour Thomas d'Aquin Dieu, et en ce sens Dieu est objet d'espérance. Mais cet objet d'espérance est la fin d'un cheminement,et en cela il faut comprendre la crainte (filiale 425 ) comme une étape , une composante de ce cheminement. Thomas d'Aquin précise ainsi que la béatitude ultime, si elle est « le terme de la perfection spirituelle, correspond parfaitement à l’espérance » 426 , a pour condition de réalisation la crainte. Cette crainte, au contraire de l'espérance, est « un mouvement de retrait par rapport à son point de départ » 427 .

Tandis que la morale thomiste loue la pauvreté volontaire, la pauvreté dite involontaire n'est pas nécessairement exempte de reproches. Il s'agit de distinguer le sens que l'on donne à volonté aujourd'hui du sens qu'il lui était donné en son temps. Pour Thomas d'Aquin, un acte volontaire est un acte de la volonté, mais qui doit être compris de deux façons, soit directement, soit indirectement. Selon la première façon, « l'être procède d'un agent », et selon la seconde façon « du fait même qu'il n'y a pas d'action ». Ainsi Thomas d'Aquin prend l'exemple du pilote à qui on attribue le naufrage du bateau parce qu'il a cessé de gouverner, qui est qualifié au sein de la morale thomiste de péché d'omission 428 .

« [...] puisque la volonté peut, en voulant et en agissant, s'interdire de ne pas vouloir et de ne pas agir, et puisque parfois elle le doit, ne pas vouloir et ne pas agir lui est imputé comme venant d'elle. De cette façon le volontaire peut exister sans acte ; tantôt sans acte extérieur mais avec un acte intérieur, comme lorsqu'on veut ne pas agir, tantôt même sans acte intérieur comme lorsqu'on ne veut pas » 429 .

Dans ce passage, Thomas d'Aquin énonce qu'il peut être attribué à la volonté soit la volonté de ne pas vouloir, soit de ne pas agir. Ce qui implique cette étrange expression qui est celle de « vouloir ne pas vouloir ». On peut attribuer une pauvreté dite involontaire à une volonté, acte intérieur, de ne pas agir en vue de sortir de son indigence. Elle sera donc mal˗nommée, puisque elle est indirectement volontai re. Ainsi, selon l'interprétation que l'on fait du texte de Thomas d'Aquin, et bien qu'il ne l'exprime pas lui˗même, la pauvreté peut être le fruit de la négligence (envers soi˗même), négligence que Thomas d'Aquin qualifie de péché spécial 430 . Pour Thomas d'Aquin, la négligence se rapproche sans se confondre, de la paresse et de la torpeur, ces deux dernières qualités étant proches de l'acédie 431 . Mais tandis que ces dernières concernent plutôt l'exécution de l'acte, la négligence concerne l'acte intérieur lui˗même 432 . Pour Thomas d'Aquin, la négligence est donc un défaut de l'acte intérieur qu'est l'acte de commandement et il le caractérise par « un manque de promptitude dans la volonté » 433 . Il s'agit maintenant d'aborder quelques conséquences de sa position sur la pauvreté.

IV. Systémique de la pauvreté volontaire bonaventurienne

Il est temps d'explorer une systémique de la pauvreté volontaire. Alors que chez Thomas, la pauvreté volontaire nous est apparue comme participant d'un système, nous montrerons comment la pauvreté volontaire fonde un système chez Bonaventure. Cela peut se concevoir à la lecture de son Apologia pauperum (AP). Avant de l'explorer, il nous faut quelque peu entrer dans la compréhension de sa métaphysique, la systématisation de l'objet de son étude n'ayant pas la même méthode démonstrative que celle de Thomas. Sa lecture peut être quelque peu désarçonnante, au point que Gilson affirme que même les philosophes néo˗scolastiques et les théologiens ont abandonné sa lecture pour lui préférer le rassurant Thomas 434 .

1.Théologie et métaphysique de Bonaventure

a) Propédeutique : contexte et portrait

Bonaventure est l'héritier de l'esprit de Saint François. Pourtant déjà un gouffre semble séparer les deux personnages . É. Gilson ne constate˗t˗il pas qu'au sein de l'Ordre, nous somme passés de l'âge des ydiotae – premiers successeurs de Saint François – à l'âge des Docteurs ? 435 Peu de temps 436 s'est écoulé entre la mort du Poverello et la retraite de Bonaventure sur le mont Alverne. Pourtant Gilson n'hésite pas à parler de décadence de l'ordre 437 . Néanmoins, François ne voulait pas fonder d'ordre religieux, plus qu'une décadence devrait˗on dire qu'en passant de l'état d'une fraternité à celui d'un ordre, cette communauté à commis une réelle trahison à l'égard de l'idéal évangélique. Trahison par la conventualisation de l'ordre. Comme Gilson l'explique il est difficile de faire vivre au moyen d’aumônes plusieurs centaines de moines, réunis dans un même couvent 438  :

Quelques ignorants qui chantaient et prêchaient Dieu au long des routes n'avaient besoin de rien posséder, des communautés de savants et d'étudiants avaient besoin de vastes demeures, situées dans de grandes villes et pourvues de tous les livres nécessaires à l'acquisition de la science, Saint Bonaventure se trouve au point d'aboutissement de cette évolution 439 .

En vertu de notre approche de la pauvreté volontaire, il ne fait nul doute pour nous que l'attachement au lieu est une trahison de l'idéal du renouveau spirituel. Seul l'itinérance garde à la pauvreté volontaire sa radicalité. Notons qu'au demeurant, la trahison était en germe du temps même de Saint François. Néanmoins c'est justement d'une part parce que la philosophie a « acquis droit de cité » 440 au sein de la théologie que Bonaventure nous intéresse et d'autre part parce que Bonaventure à eut la volonté de rester fidèle à la doctrine de Saint François. Notons que d'aucun perçoive Bonaventure comme un demi˗franciscain, « qui ne boit que la moitié du calice et répand le reste sur le sol » 441 . De fait, il n'est pas douteux que Bonaventure n'a pas vécu comme Saint François et il est le premier s'en désoler. Mais Bonaventure rentre dans l'ordre lorsque celui˗ci « reconnaissait la nécessité de développer les études théologiques » 442 . Le temps où François et ses compagnons négligeaient les sciences 443 , considérées comme plus dangereuses qu'utiles 444 est révolu. Les accidents de l'histoire ne peuvent cependant pas nous dissimuler une filiation dans la conception métaphysique de la pauvreté. Nous devrions trouver dans les écrits de Bonaventure une métaphysique qui donne sa place à la pauvreté et nous tenterons de saisir comment s'élabore chez lui une systématique de la pauvreté. Nous gardons pour notre part à l'esprit l'affirmation d'É. Gilson selon laquelle Bonaventure défendit le principe de haute pauvreté avec grande énergie contre les assauts des séculiers 445 . Bonaventure voulait l'application stricte de la Regula bullata 446 . Si on peut rétrospectivement lui reprocher d'avoir fait détruire toutes autres versions de l'histoire de Saint François que la sienne, il faut lui laisser l'intention de restituer avec fidélité la pensée de Saint François. Bonaventure apparaît donc à bon droit comme l'idéologue de Saint François, celui qui va opérer la résumption, la condensation de sa vie et de sa pensée dans une écriture et c'est ainsi que nous allons l'étudier 447 .

À suivre E. Gilson, Bonaventure 448 fut éduqué à une philosophie augustinienne 449 . Néanmoins, et en un temps pré˗avérroïste, il est en un sens aristotélicien, même si en théologien il voulait dépasser cette pensée et portait à l'égard d'Aristote, un regard critique, notamment au regard de son incapacité à expliquer des phénomènes physiques « pourtant intuitivement évidents » que sont les corps célestes 450 . À suivre F.   Van   Steenberghen, si la philosophie est bien présente au sein de l’œuvre de Bonaventure, son caractère n'est pas abouti et il est bien plus délicat d'en dégager les éléments que chez d'autres théologiens médiévaux 451 . Nous douterons quant à nous du caractère non abouti de sa philosophie. Par contre, nous nous accordons, avec É. Gilson, sur l'idée que la spécificité de Bonaventure a été de vouloir l'union et la collaboration de l'intelligence et de la dévotion 452 . Que Bonaventure reste attaché aux Écritures, cela semble évident à la lecture de son oeuvre. Nous tenterons néanmoins et avec beaucoup d'humilité de montrer que Bonaventure utilise les écritures en philosophe pour s'élever en intelligibilité, maniant divers outils – dont l'analogie – à la recherche des causes premières de la pauvreté volontaire. Plus encore, nous montrerons que des écrits de Bonaventure se dégage une métaphysique, que nous caractériserons.

b) Division des sciences et métaphysique

Une métaphysique tenant compte du rapport entretenu entre la discipline et Dieu s'élabore au XIII e siècle. Soit « Dieu est cause du sujet de la métaphysique », soit « Dieu est l'un de ses multiples sujets », soit «  Dieu est une partie de son sujet » 453 . Chez Bonaventure, comme chez Thomas, « la métaphysique s'ouvre sur une extériorité théologique » 454 . Pour Bonaventure, comme il nous est donné à lire dans son Itinerarium mentis in Deum, « l'être pur coïncide avec l'être divin » (IMD,V, 3), ce qui signifie qu'il n'y a pas antériorité de l'un sur l'autre ni dans l'ordre de la conception, ni dans l'ordre de la dignité (dans l'ordre des choses). L'un et l'autre sont aussi un universels, et ce faisant on ne peut parler d'onto˗théologie 455 puisque ce dernier concept « implique au contraire qu'il y ait un concept universel d'étant à l’intérieur duquel s'inscrive l'être premier, mais comme une partie de son domaine, et non comme identique à l'être par excellence » 456 .

La métaphysique bonaventurienne peut être qualifiée de théo˗ontologique, en ce que la science du divin détermine celle de l'étant 457 (dans l'ordre de la raison). En effet, la philosophie ne permet pas à l'homme viator, pécheur, de connaître dans toute sa plénitude Dieu, et il lui faut l'aide de la grâce divine. En amont, il a fallu à l'âme déchue la Révélation pour être conscient de l'existence de Dieu. Et en aval, dans l' IMD , Bonaventure, exposant les sept degrés de la contemplation divine, affirme que quand bien même la contemplation de Dieu trouverait une certaine satisfaction au travers des sens et par l'exercice de la raison, elle s'enrichira invariablement de la grâce de Dieu ( IMD , IV, 1), par l'intercession du Christ. Pour cela, il convient de s'exercer aux trois vertus théologales ( IMD , IV, 3), en s'appuyant sur les Écritures et par les conduites adéquates à ses conseils (la Règle d'or). Bien plus, notre esprit, étant « formé par la Vérité éternelle » ( IMD , V, 1) et étant illuminé par Dieu, peut contempler Dieu en tant qu'être (acte pur) et comme Bien. Mais cela n'est possible qu'en postulant que Dieu est, non pas acte de raison mais de foi quand bien même il s'agit de croire ce que les sens nous donnent à apparaître (ainsi les Écritures ). Bonaventure emploie une preuve de l'existence de Dieu : « l'être porte tellement en soi sa réalité qu'il est impossible de le concevoir comme non˗existant ; car l'être à l'état pur exclut entièrement le non˗être, comme le néant exclut l'être » ( IMD , V, 3). Mais cette preuve présuppose qu'il a été donné à l'homme la notion de Dieu par la Révélation, ainsi la métaphysique de Bonaventure est bien théo˗ontologique.

Il nous faut aussi nous demander comment Bonaventure percevait lui˗même sa propre pensée. Or il se fait que, et cela fut constaté par É. Gilson 458 , Bonaventure rédigeant son De reductione artium ad theologiam (RAT), s'inspire en la transformant de la division de la philosophie telle que l'a élaborée Huges de Saint Victor dans son Didascalicon 459 . Bonaventure aurait écrit le RAT vers 1255˗57, soit à l'époque où la Faculté des Arts de Paris publia un nouveau programme d'études officiel, incluant la physique d'Aristote 460 . Le Didascalicon, « œuvre capitale du Moyen˗âge » 461 était un « art de lire », en ce que la lecture (lectio) permettait d'apprendre, et il avait pour but de donner des règles à cette lecture, mais aussi une classification du savoir. Les transformations de Bonaventure dans l'ordonnancement de son RAT reflète, d'une part, son inquiétude à l'égard de l'articulation des sciences nouvelles et des sciences sacrées Mais d'autre part, on lui trouvera un air de famille avec son IMD , auquel serait ajouté, « au bas de l'échelle », l'étude des connaissances techniques. C'est à l'aune de ces considérations que nous allons restituer sa métaphysique, et en montrant d'abord comment lui l'articule au sein de ces connaissances.

Pour Bonaventure les sciences sont classées 462 en tant qu'elles sont des lumières (lumen) qui éclairent l'âme. Nous avons, dans l'ordre d'élévation : (1) la lumière de l'habilité technique (lumen artis mechanicae) qui éclaire les formes créées par l'homme (RAT, I, 2), il s'agit de l'habilité technique, des arts et métiers; (2) la lumière intérieure (lumen cognitionis sensitivae) qui éclaire les formes naturelles (RAT, I, 3) ; (3) la lumière intérieure qui permet de « nous faire pénétrer les vérités intelligibles et celles de la connaissance philosophique (RAT, I, 4) (lumen cognitionos philosophicae), elle nous permet de rechercher les causes par le biais des principes des sciences et de la vérité naturelle. Sa philosophie comporte trois parties : (a) une rationnelle, vérité du discours, (b) une naturelle, vérité des choses et (c) une morale, la conduite de l'homme, dite philosophie pratique (RAT, I, 4). C'est au sein de la partie naturelle, que nous retrouvons, outre la physique et la mathématique, sa métaphysique, que Bonaventure définit de la manière suivante :

La connaissance de tous les êtres en les ramenant à leur unique principe premier dont ils sont sortis, en fonction des raisons idéales, autrement dit à Dieu en tant que principe, fin et modèle 463 .

Autrement dit, dans l'organisation de la connaissance bonaventurienne, théologie et métaphysique, c'est choux vert et vert choux, puisque la métaphysique est la connaissance de Dieu. Bonaventure précise également que la morale se divise – assez traditionnellement – en trois parties, l'individuelle, la domestique et la politique 464 . Enfin au sommet de l'échelle (4) nous avons la lumière de l’Écriture Sainte (lumen sacrae Scripturae) ou lumière supérieure (superius), « qui éclaire à l'égard de la vérité qui nous sauve » et dont nous devons rapporter deux caractères soulignés par Bonaventure. Cette lumière supérieur « nous entraîne vers les plus hautes réalités en nous faisant connaître ce qui dépasse notre raison », mais nous ne pouvons la découvrir, car elle nécessite la Grâce 465 . Il est évidemment question ici de l'accès au Royaume de Dieu 466 . La métaphysique fait donc partie des sciences naturelles, et ce faisant elle constitue la partie des sciences naturelles se rapportant à Dieu. Dans la science métaphysique, il est déjà question de Dieu, ce qui induit que pour Bonaventure, il n'existe pas de frontière étanche entre le troisième et le quatrième niveau, ce dernier niveau permettant au mieux de contempler Dieu en tant qu'homme viator.

La connaissance de Dieu gagne à se rehausser de la connaissance de la pauvreté volontaire sur deux plans : la pauvreté volontaire en tant qu'elle est pensée est participante de la métaphysique puisque qu'elle participe de la connaissance de Dieu. Elle participe aussi, cette fois en s'expérimentant, de la contemplation divine, puisqu'il est question de connaître « les plus hautes réalités » au travers des Écritures et de l'application des conseils qui s'y trouvent. La contemplation divine enveloppe, une éthique, détermine un genre˗de˗vie. On ne connaît pas Dieu en lisant ou en étudiant sa théodicée ! Le Royaume de Dieu est donc accessible non pas au travers de la seule grâce, mais au travers de la grâce et du mérite. Le cheminement que nous propose Bonaventure ne se satisfait pas d'une connaissance de la raison seule, il s'agit de vivre cette élévation séraphique (et mieux que lui!). Outre l'exercice de la raison, la contemplation divine exige des exercices spirituels : oraison, ascétisme, méditation et contemplation, cette dernière incluant « méditation profonde, conduite sainte et prière fervente » (IMD, I, 8). Il faut connaître et vivre, bref racheter la double tache originelle de l'ignorance et de la concupiscence (IMD, I, 7). La métaphysique bonaventurienne est une métaphysique au sens aristotélicien, puisqu'il s'agit de connaître les causes premières, donc l'être à la cause de toutes choses, qui est premier dans l'ordre des causes. Cette métaphysique comprend l'ensemble des degrés nécessaires à l'élévation de l'âme vers Dieu.

c) une métaphysique de l'analogie

La compréhension de la métaphysique de Bonaventure comporte une grande difficulté liée à l'usage qu'il fait de nombreuses métaphores. Bonaventure, étendrait la compréhension traditionnelle origénienne des Écritures à la nature et à toutes créatures, ce qui explique « la prodigieuse multiplicité de ressemblances, de correspondances, de proportions, et de convenances » 467 . Ainsi, il convient à l'homme, contemplant le monde, de distinguer le sens littéral, mais aussi les sens allégorique, tropologique et anagogique. Cela a pour conséquences que pour comprendre la conception métaphysique de Bonaventure, une autre logique s'avère nécessaire, face à laquelle la logique syllogistique d'Aristote serait impuissante, ou plutôt insuffisante. Nous allons aborder le modèle analogique, spécialement de proportion 468 . Cette logique se trouve exprimée dans ce texte de Bonaventure :

Pour ceux qui tournaient pieusement leurs regards vers le Christ, la vue de son corps de chair, qui était visible, était une voie pour la connaissance de sa Divinité, qui était cachée. De même, pour comprendre la vérité de la sagesse divine, notre œil est guidé par les figures énigmatiques et mystiques de l’intelligence rationnelle. En effet la sagesse du Dieu invisible n’a pu se faire connaître de nous autrement qu’en se conformant, dans une relation de ressemblance, aux formes des réalités visibles que nous connaissons, et en exprimant, à travers elles, au moyen de signes, ses réalités invisibles que nous ne connaissons pas 469 .

Ce modèle analogique est nommé par É. Gilson l'analogie universelle 470 . Bonaventure, en théologien chrétien, défend la thèse de la création ex nihilo. Or, ce faisant il s'agit d'expliquer le statut de l'être. Selon É. Gilson l'être ne peut être dit équivoque ni univoque. Il ne peut être dit équivoque , puisque l'être de Dieu a nécessairement un rapport avec notre propre être. Et il ne peut pas non plus être dit univoque , car l'être n'est pas commun au Créateur et à la créature, du fait de la perfection divine (un Dieu qui partage son être, en perd quelque peu, donc est moins parfait) et de la création (la créature est ontologiquement distincte de Dieu). L'être de la créature n'est alors qu'un analogue de Dieu 471 . Ce troisième terme, l'analogue, permet de rapporter Dieu et la créature en raison des rapports entre des couples d'êtres.

Par ailleurs, l'être de la créature serait l'analogue 472 à l'être de Dieu – du créateur – en raison de leurs propriétés. L'étrangeté entre le créateur et la créature disparaît du fait que chacun des êtres entretient avec ses attributs des rapports qui peuvent être rapportés les uns aux autres. L'analogie de proportionnalité consiste « non en un rapport entre des êtres, mais en un rapport entre les rapports qui unissent deux couples d'êtres, ces êtres pouvant d'ailleurs se trouver aussi différents qu'on le voudra » 473 . En sus de ce sens, une analogie peut aussi concerner des êtres qui ne sont pas totalement différents les uns à l'égard des autres, qui ne sont pas tout à fait indifférents. C'est le cas notamment de Dieu à l'égard de sa créature, ce qui justifie que l'on puisse aussi parler d'analogie de filiation 474 . Cette analogie concerne les êtres appelés des images, qui sont « engendrées par voie d'imitation » 475 . Ce qui implique 1) qu'il n'y a pas de communauté d'être entre les deux êtres et 2) que cela soit compatible avec la création 476 . Pour Bonaventure, l'analogie serait « la loi selon laquelle s'est effectuée la création » 477 ce qui a pour conséquence que nous sommes tenus de nous comporter adéquatement aux lois de la création du monde :

La règle conformément à laquelle nous devons user des choses est inscrite dans la loi selon laquelle elles ont été constituées, la métaphysique de la nature va nous conduire au fondement même de la moralité. 478

C'est une conception jus˗naturaliste de la morale, semblable à la Dikê qui obligeait l'homme à la sôphrosunè . Au niveau de la connaissance, il s'agit pour l'homme de « s'efforcer d'ordonner les êtres en se plaçant au point de vue de la manière dont Dieu leur est présent » 479 . Pour classer les êtres, il convient non pas d'envisager une infinité de degrés qui nous amèneraient des créatures les plus infimes à Dieu, mais de considérer trois degrés principaux. Ces trois degrés témoignent de la manière dont Dieu est « présent » 480 en chacun d'eux . Ainsi, la présence en Dieu est considérée 1)   dans les choses sensibles, 2) dans les êtres spirituels (âmes et purs esprits), et 3) dans notre âme propre qui se trouve conjointe à lui 481 . Il nous faut donc distinguer les marques de Dieu dans les créatures, qui étaient pour Bonaventure 1) l'ombre, représentation lointaine et confuse, au travers de ses propriétés, 2) le vestige se rapportant à Dieu selon la cause efficiente, exemplaire ou finale, et 3) l'image dont les propriétés ont Dieu comme objet 482 . Pour Bonaventure, selon É. Gilson, l'acte de création ne peut qu'être inscrit au sein des choses créées. Par nature, toute créature est l'image ressemblante du Créateur. L'image ou le vestige de Dieu n'est pas au sein de la créature quelque chose d'accidentel, mais de substantiel 483 . Boulnois comprend similairement ce que lui appelle l'analogie théologique, qu'il trouve commun à Bonaventure et Thomas :

L'analogie n'implique pas de relation commensurable entre la créature et Dieu, pas plus qu'une communauté réelle ou conceptuelle. Elle permet à la signification de renvoyer à Dieu comme au premier terme d'une série, parce que le multiple se rapporte à l'un, son principe, selon divers rapports. L'analogie n'est donc pas intérieur à l'esse commune, mais entre l'esse commune du créé et sa cause 484

Revenons à É. Gilson qui souligne que Bonaventure sera au fondement d'une distinction entre la métaphysique des païens et des chrétiens, à savoir le fait que d'une part la philosophie païenne étudie la nature, qui est son objet, qui est donc incomplet, puisque abstraction est faite du caractère essentiel de l'analogie et d'autre part le chrétien, qui loin d’interpréter les parties de la nature comme des choses, les interprète comme des signes 485 . Peut˗être Bonaventure a˗t˗il pour une part raison, partant du fait qu'Aristote a développé une logique propositionnelle. Mais une étude approfondie devrait déterminer si le modèle analogique considéré ne serait pas réductible à une logique prédicative.

d) une métaphysique qui impose des règles de vie (ordinem vivendi)

Le désir de connaissance de Bonaventure est un agir qui contient une dimension pratique. Nous allons voir que la métaphysique de Bonaventure détermine un genre˗de˗vie en énonçant un ensemble de règles de vie, qui encadrent le Chrétien dans sa contemplation de Dieu. Si l'on se fonde sur son RAT, chaque niveau de connaissance demande pour sa bonne réalisation des règles de vies (ordinem vivendi). Primo, en ce qui concerne la connaissance des formes sensibles (sensuum exercitum), il est requis d'une part, de vivre dans la prudence, la tempérance et la soumission (RAT,   II, 9), et d'autre part, de se mettre en quête de ce qui plaît aux sens (RAT, II, 2, 10). Deuxio, concernant la connaissance de l'habilité technique (illuminatione artis mechanicae), il faut « savoir, vouloir, agir avec [...] persévérance » (RAT, II, 13) afin de produire une chose belle, utile et durable. Tertio, s'agissant de la philosophie rationne lle ( rationalis philosophiae ) qui s'exprime par le discours, il s'agit d'avoir pour règle de vie la correction, la vérité et l'élégance ( RAT , II, 17), ce qui se manifestent extérieurement par la modération, la pureté et la droiture. Quarto , concernant la philosophie naturelle ( naturalis philosophiae ), qui ébauche cette mystique d'union à Dieu et fait intervenir la Grâce 486 , il s'agit de trouver la lumière de l’Écriture sainte, d'être illuminé par la philosophie morale ( philosophiae moralis ) dont son objet est la rectitude. Bonaventure considère que la droiture enjoint de suivre les préceptes du droit divin ( regulas iuris divinis ), qui comprennent l'acceptation des comma ndements nécessaires (praeceptis necessarisis) et des avertissements salutaires (monitis salutiferis), les conseils de perfection 487 (consiliis perfectis) et enfin, l'expérimentation de la volonté de Dieu, donnant une joie parfaite (RAT, II, 24). Il est remarquable que le dernier point qui permette ce cheminement à Dieu est le degré de la connaissance révélée par les Écritures. Notons toutefois, que toutes les connaissances doivent être « au service de la théologie » (RAT, II, 26).

La pauvreté volontaire est ainsi inclue, comme consiliis perfectis, au sommet des degrés qui permettent la contemplation divine. Comme l'on contemple mieux Dieu en s'élevant dans les niveaux de connaissance, on connaît mieux Dieu par la pratique persévérante de la pauvreté volontaire qu'en se satisfaisant d'une connaissance rationnelle. C'est cet aspect de la philosophie morale de Bonaventure que nous allons pouvoir explorer, maintenant que nous l'avons replacé au sein d'une métaphysique qui apparaît à l'homme au travers d'une connaissance illuminative.

2. La pauvreté bonaventurienne.

a) La pauvreté dans le système bonaventurien

Comment Bonaventure entend˗t˗il cette pauvreté volontaire qui participe à titre divers de la métaphysique et de la contemplation divine ? Elle est définie selon Mt 19, 21 , de la manière suivante : « Vertu de celui qui renonce aux biens temporels et, sans rien avoir en propre, vit de ce qui n'est pas à lui » (AP, VII, 4). En soi cette définition s'inscrit dans celle que nous avons posé au début de notre enquête, tout en apportant des précisions qui lui confèrent un contenu plus abouti, la définition de la pauvreté volontaire de Bonaventure permet de résoudre en son sein la contradiction inhérente au genre˗de˗vie de celui qui d'une part, s'est dépouillé de tout bien, de toute richesse et d'autre part s'est voué entièrement à Dieu, ne produisant pas même de ses mains le strict nécessaire dont il a besoin.

Il nous faut ensuite replacer cette définition au sein de son système. D'abord eu égard du christianisme comme un tout. La pauvreté volontaire s'inscrit dans un rapport avec la charité, comme un composant se rapportant à son composé. Cette charité est en soi un acte de perfection (AP, I, 8). Bonaventure, se référant à Saint Paul, pose le christianisme comme la foi qui agit par la charité ( Ga V, 6). Si nous continuons à produire une géographie de la pauvreté, à l'instar de ce que nous avons fait plus haut, l a pauvreté participe de l'un des trois stades de l'amour, synonyme de charité (AP, II, 1). Ce triple acte de charité a pour but, et dans un processus d'élévation, d'éviter le mal, de poursuivre le bien, et de supporter l'adversité (AP, III, 1˗3) . Le stade inférieur est l'observance des lois (que l'on trouve dans l'AT), ce sont les préceptes . Le stade intermédiaire est l'accomplissement des conseils spirituels (que l'on trouve dans le NT) et le stade supérieur est celui de la joie des béatitudes éternelles ( AP , III, 2). Les deux premiers degrés sont mérit oires, le troisième est une récompense (AP, III, 3). Bonaventure dira du premier stade qu'il est nécessaire et qu'il constitue une obligation universelle, tandis que le second étant volontaire désigne une obligation spéciale (AP, III, 4). En effet, il s'adresse à qui veut devenir parfait, donc qui embrasse la vie religieuse ; cela ne concerne donc pas la foule. En vue de l'obtention du Royaume de Dieu – troisième stade –, il faut d'abord respecter les commandements, mais il faut aussi accomplir les conseils. Dans l'échelle des degrés de la connaissance, la pauvreté volontaire, au sein de la charité, participe du stade intermédiaire. La pauvreté est un conseil qui a un caractère surérogatoire, il va donc au delà de ce que l'on doit faire. La pauvreté volontaire résulte d'un acte libre, car ni la société, ni même la morale chrétienne n'obligent à cette pauvreté volontaire. Ce conseil surérogatoire résulte de Mt 19, 10  auquel, remarquons le déjà, est retranché le conseil de suivre le Christ : « « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne˗le aux pauvres » (AP, III, 2). S'appuyant sur Saint François, appuie le fait qu'au début de sa Règle, les trois premières oeuvres en vue de la perfection sont l'obéissance, la pauvreté et la chasteté (AP, III, 10).

(1) La règle et la vie de ces frères est celle˗ci : vivre dans l'obéissance, dans la chasteté et sans rien en propre, et suivre l'enseignement et les traces de notre Seigneur Jésus˗Christ, qui dit : (2) ''Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu as et donne˗le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; et viens, suis˗moi.'' (3) Et : ''Si quelqu'un veut venir derrière moi, qu'il renonce à lui˗même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive.'' (4) De même : ''Si quelqu'un veut venir à moi et ne hait pas père et mère et épouse et fils et frères et soeurs et jusqu'à son âme, il ne peut être mon disciple.'' (5) Et : ''Quiconque aura abandonné père ou mère, frères ou sœurs, épouses ou fils, maisons ou champs à cause de moi, recevra le centuple et possédera la vie éternelle.'' 488

Notons que si cela est bien vrai. Il faut remarquer l'insistance de François à recommander de suivre le Christ, donc de cheminer avec lui. En tout cas, l'observance de ces trois oeuvres doit se faire avec une attitude d'humilité. Ces trois oeuvres sont l'analogue des trois premières des six béatitudes que l'on retrouve dans le Sermon sur la montagne (AP, III, 9). Ajoutons que cette pauv reté volontaire est pour Bonaventure une « habitude vertueuse » (AP, III, 4), qui s'inscrit dans le temps et diffère en cela de la pauvreté volontaire dilettante prônée par Sénèque. Bonaventure pose explicitement la persévérance comme une exigence indispensable, reprenant un adage de Saint Grégoire : « en vain on fait le bien, si on l'abandonne avant la fin de sa vie » ( RE, 28) .

Nous pouvons enfin produire une ontologie de la pauvreté volontaire. En Mt 19,21 , la pauvreté est présentée comme la vertu de qui veut devenir parfait. Bonaventure, qui associe l'abandon des richesses à la perfection, précise ce qu'elle est au travers de cette catégorie de perfection. Ainsi il existe une analogie entre le couple bien/mal et le couple imperfection/perfection. Encore faut˗il bien saisir quelle est la nature du rapport qui permet de parler d'analogie. Car outre le fait que les deux couples ne se confondent pas dans leur contenu, les rapports directs entretenus entre˗eux sont de nature bien différentes. Si le couple bien/mal est un couple de termes de nature contraire, il n'en est pas de même pour le second couple dont les éléments diffèrent par degrés, comme « un plus grand bien et un moindre bien, comme ce qui est proche et ce qui est loin du but, comme ce qui est plus méritoire et ce qui est moins méritoire,... » (AP, II, 14˗15). Bonaventure impose à ces couples une distinction reprise à Cicéron 489  : les contraires bien et mal appartiennent aux obligations communes, dit Bonaventure, citant Saint Ambroise, par opposition aux obligations parfaites (les catorthôma) ˗ les conseils évangéliques ˗ qui sont d'un autre ordre. Il s'agit « de se passer de ce qui est permis » (ce qui est vertueux) 490 . L'analogie entre ces deux couples de termes se situe ailleurs. En quel sens pourrait˗on dire que le couple bien/mal est aux préceptes ce que le couple perfection/imperfection est aux conseils ? C'est non pas en ce qu'ils sont dans un rapport d'opposition, mais plutôt dans la considération des modes d'être de chacun des termes, qui peuvent être dits soit a) en général, soit b) en˗soi, soit c) selon les circonstances. Ainsi en fonction de ces modes, il est possible pour un objet, à qui l'on prédiquerait l'un des termes de l'un des deux couples, de pouvoir passer ou pas au terme co˗relatif de ce couple. Nous allons illustrer notre propos. Ainsi la pauvreté est considérée par Bonaventure comme parfaite à tout le moins en général (c'est un acte difficile et excellent) et selon les circonstances (AP, I, 8). A contrario vouloir posséder l'argent est un acte imparfait en général, et fuir la pauvreté est un acte imparfait en soi. Soulignons que, de manière analogue avec le bien et le mal, l'acte parfait peut devenir imparfait suivant la manière dont il est considéré (AP, I, 9) . Il en est donc de même de la pauvreté. Ainsi la pauvreté comme conseil est˗elle le fruit de l'imitation du Christ en tant qu'il est modèle de perfection. Encore s'agit˗il de savoir ce qu'il convient d'imiter chez le Christ qui a deux raisons d'être exemplaires, l'une qui est spirituelle et l'autre qui est matérielle (AP,II, 9). Cela suppose donc de justifier tous les actes du Christ en les rapportant à la catégorie de la perfection ! À cet égard, Bonaventure distingue deux types d’œuvres, considérés de façon analogues aux couples vu précédemment : les œuvres intérieures, très parfaites, comprenons parfaites en soi, et les extérieures, parfaites en général ou selon les circonstances qui sont imparfaites par nature mais qui deviennent parfaites si elles sont l’œuvre du Christ (AP, I, 10). Cette distinction va permettre de justifier le fait que le Christ, en tant que modèle de grande pauvreté à imiter, avait pourtant de l'argent sur lui. Le fait de posséder de l'argent constitue un signe d'imperfection, mais cet acte d'imperfection est en certaine circonstance un acte de perfection. Bonaventure le justifie, en effet, de la manière suivante : « par la condescendance d'une souveraine charité, il [ le Christ ] s'abaisse à des actes conformes à notre faiblesse et à notre imperfection » 491 . Plus concrètement un acte qui devient parfait, devient imitable et cela de manière analogique, le Christ étant rapporté à l’Église (comme institution), et les Apôtres aux fidèles.

Illustrons le caractère surérogatoire des conseils par l'exemple de la parabole du jeune homme riche. Le jeune homme, a priori de bonne volonté, annonce à Jésus qu'il respecte les commandements, mais qu'il souhaiterait en faire plus pour atteindre la perfection. Jésus lui conseille alors d'abandonner ses richesses, de l'imiter, et de se conformer (AP, II, 3) à lui, en vue de cette perfection. Pour Bonaventure, le fait de ne pas respecter ce conseil, en général, constitue un signe d'imperfection. Néanmoins cela ne sera pas un péché, puisque ce dernier est en rapport non pas avec les conseils mais avec les préceptes, soit les commandements. Ces conseils surérogatoires sont donc proposés à ceux qui veulent atteindre le sommet de la perfection (AP, II, 8).

Le Christ est, pour Bonaventure, un modèle à imiter (AP, II, 13). Il existe deux façons de se conformer à cet idéal : en considérant qu'il est un miroir divin, mais aussi un miroir humain, comme cela est si bien exprimé dans le De plantatione paradisi, §1. Suivant la première façon, il serait « le miroir sans tache de la majesté de Dieu » (AP, II, 12). Selon la seconde façon, il serait le miroir des grâces, des vertus et des mérites (AP, II, 12). Cela ne peut se comprendre qu'au sein d'une métaphysique dans laquelle, comme nous l'avons vu, il existe au sein des créatures des traces du créateur. La pauvreté est à ce titre un vestige du créa teur présent en chaque individu. En réalité, Bonaventure opère une distinction entre six types d'actes 492 que posaient le Christ, et seuls les derniers types d'actes sont à imiter, l'imitation des autres étant même un mal (AP, II, 13). Bonaventure considère que le sommet de la perfection chrétienne consiste à n'imiter que les actes du Christ «  en rapport à la formation de la vie parfaite » (AP, II, 13).

b) Réflexions sur trois aspects de la haute pauvreté bonaventurienne

Nous allons désormais interroger trois aspects particuliers de la pauvreté bonaventurienne. Ceux qui semblent se rapporter à des caractères que nous avions jugé importants, car réalisant plus complètement le concept de pauvreté volontaire au sein de l'histoire. Ces trois aspects sont : le détachement, la kénose et l'itinérance. Nous y trouverons ce qui fait la spécificité de la pauvreté évangélique, mais nous y trouverons aussi ce qui permet de surmonter la crise qu'entraîne la querelle de la pauvreté.

1. Pauvreté évangélique et kénose

Il nous faut d'abord interroger le caractè re kénotique de la pauvreté bonaventurienne. Dans la Legenda major , Bonaventure articule la pauvreté et l'humilité.(prol., 1) :

Tous les cœurs humbles, les vrais amis de la sainte pauvreté, ont vu, ces derniers temps, se manifester la grâce de Dieu notre Sauveur en la personne de son serviteur François. 493

Beaucoup de références nous laissent à penser que sur ce point fondamental, Bonaventure s'inscrit dans les pas de Saint François . L'humilité est une voie essentielle vers Dieu pour Bonaventure qui se plaît à reprendre cet adage de Pr. 2, 3 : « là où est l'humilité, là est la sagesse » 494 Ainsi Bonaventure relève dans la Legenda major (VI, 1) que Saint François se plaisait à répéter ce passage de la Bible que l'on retrouve commenté à la XX e Admonition  : « Autant vaut l'homme aux yeux de Dieu, autant il vaut en réalité et pas plus » 495 . Je pense que quelques lignes de la (première) Règle de François seront très explicites également :

(1) Que tous les frères s'appliquent à suivre l'humilité et la pauvreté de notre Seigneur Jésus˗Christ et qu'ils se rappellent que du monde entier nous ne devons rien avoir d'autre que ce que dit l'Apôtre : Si nous avons des aliments et de quoi nous couvrir, nous en sommes contents [ his contenti sumus ]. (2) Et ils doivent se réjouir quand ils vivent parmi des personnes viles [ viles ] et méprisées [ despectas ], parmi des pauvres [ pauperes ] et des infirmes [ debiles ] et des malades [ infirmos ] et des lépreux [ leprosos ] et des mendiants [ mendicantes ] le long du chemin. (3) Et quand ce sera nécessaire qu'ils aillent à l'aumône [ vadant pro eleemosynis ]. (4) Et qu'ils n'aient point honte et qu'ils se rappellent plutôt que notre Seigneur Jésus˗Christ, le Fils de Dieu vivant et tout puissant, rendit sa face comme une pierre très dure [ posuit faciem suam ut petram durissimam ] et n'a pas eu honte. 496

Bonaventure affirme que la perfection chrétienne trouve sa résumption dans cette humilité à s'abaisser intérieurement et extérieurement 497  , bref à imiter le Christ. L'homme voulant connaître Dieu doit reconnaître son néant, et il doit donc s'humilier. Chez Bonaventure, a contrario de points de vues modernes, il existe un rapport sémantique intime entre les termes « humiliation » et « humilité » : qui veut devenir humble doit s'humilier 498 . Évidemment cette humilité trouve son point culminant dans la représentation kénotique du Christ ainsi que l'exprime Bonaventure, s'adossant à Saint Pierre, qui relève qu'il est bon de souffrir avec patience pour le bien que l'on a fait, afin de montrer ce qui est louable d'imiter (1 P, 2, 20˗21) :

Or la ressemblance avec le Christ, qui convient le mieux à ceux qui veulent se sauver en ce présent état de misère, est la ressemblance dans sa passion et sa mort [...] Désirer mourir pour le Christ, s'exposer à la mort pour le Christ et se réjouir dans les affres de la mort, est donc un acte de charité parfaite ». AP, IV, 2˗3.

Évidemment Bonaventure le dit très vite ! Lui même prenant garde de se dire parfait. Toujours est˗il que cette humilité est radicale. En vue de la perfection, il s'agit de prendre exemple sur le Christ (et sur St François), ce qui signifie également, dans l'idéal d'une abondante justice, non seulement que l'inférieur doit obéir au supérieur (ce qui est trivial) mais également que le supérieur doit obéir à l'inférieur 499 . Soulignons par ailleurs que l'humilité n'est pas un extrême qui fait front à l'orgueil. Car il s'agirait alors pas d'une vertu, mais non moins un vice que l'orgueil, l'aristotélisme n'est pas jeté par dessus bord. Bonaventure refuse que l'abaissement de soi˗même soit un extrême. L'humilité est donc le juste milieu entre l'orgueil et la pussilanimité 500 .

2. Le renoncement

Le renoncement du parfait

Bonaventure accuse la cupidité de s'opposer directement aux racines même du christianisme ( AP ,   VII, 1). Il se montre en cela très proche de Thomas. Cette cupidité est le produit des affections de l’âme qui trouvent dans la possession des biens extérieurs des occasions d'errance. Il s'agit donc de fuir les richesses, puisque l'on ne peut posséder sans aimer ce que l'on possède ( AP , VII, 2). Comme désirer et aimer signifient s'attacher à ceci ou cela, il convient d'opérer un détachement. Le renoncement que prône Bonaventure est le renoncement à trois biens changeants. Ces biens changeants désignent les biens intérieurs, les biens extérieurs et les biens inférieurs 501 . Ces biens changeants excluent les biens immutables, donc Dieu. Bien que cela puisse paraître trivial, soulignons en passant que ce sera le grand point de rupture avec Maître Eckhart, défenseur de la doctrine de l' ab[e]gescheidenheit , néologisme qui lui est propre, du (laisser˗être˗soi˗même 502 ) , qui promeut le détachement à l'égard de tout, y compris de Dieu.

Autrement dit, pour Bonaventure, il est possible de renoncer soit à la concupiscence – c'est la pauvreté en esprit –, soit aux biens matériels. Cette pauvreté en esprit est la disposition intérieure à renoncer à toute richesse, ce qui induit une pauvreté volontaire effective : « Par analogie et suite logique, on conclura que la pauvreté en esprit est, sans aucun doute, la racine et le fondement de la perfection évangélique » ( AP , VII, 3). La pauvreté en esprit ne s'oppose donc pas à la pauvreté effective, elle en constitue plutôt une conséquence.

Ce détachement consiste en une perfection qui dépend des circonstances. Au sein de son système, Bonaventure adjoint à sa conception métaphysique de l'obtention de l'état de perfection, des considérations qui ne sont pas étrangères aux grands conflits qui opposaient les mendiants aux universités, mais qui prennent leurs sources dans les Écritures. Bonaventure souligne la différence entre la perfection d'action et de mérite, d'une part, et la perfection d'état et d'ordre, d'autre part, dans la manière de pratiquer l'exercice d'habitudes vertueuses surérogatoires (dont la pauvreté). Dans la première alternative, la volonté seule suffit sans aucune obligation, dans la seconde au contraire la volonté s'accompagne d'une obligation (AP, III, 11) découlant soit de vœux émis, soit d'une charge imposée (AP, III, 11). La manière de vivre s'accomplit de manière plus parfaite au travers des vœux et au travers d'une vie cénobitique. Cela est facile à comprendre à l'aune de cet adage : « il est difficile de jeûner quand des mets délectables sont servis ! »(AP, III, 17). Le fait pour un homme d'être parfait est une liberté, mais une fois qu'il décide d'être parfait, il s'oblige à renoncer aux biens et à suivre l'exemple du Christ et des apôtres (AP, VII, 9). La question que nous nous posions à l'occasion de l'extrait du Perfectate veritatis se trouve en partie résolue à présent. Cette obligation lie respectivement soit le moine, soit le prélat. Celui qui fait ses vœux s'abandonne totalement à Dieu. Ce faisant, précise Bonaventure, cette obligation porte à son comble la perfection puisqu'elle offre à celui qui s'y adonne non seulement l'usage de ses actes, mais aussi son libre˗arbitre (AP, III, 12). Cette obligation se décline différemment selon que l'on est un régulier ou un prélat, car il s'agit de justifier une asymétrie entre ces deux états, au regard de l'administration des biens au sein d'une institution terrestre – bien complexe –, tout en permettant aux membres de chacun de ces deux états d'être des parfaits. Bonaventure affirme qu'il existe diverses manières de nommer les degrés de perfection, soit au sein d'un même genre ou dans des genres différents (AP,   III, 18˗19). Il pose ainsi trois genres différents, suivant que la perfection surérogatoire est dans l'exercice de la vertu, dans le vœu religieux, ou dans la charge de supérieur (AP, III, 19). Il s'agit donc de ne pas opposer la perfection des Mineurs qui refusent toute possession à une imperfection de prélats qui eux sont propriétaires ! Bonaventure se réfère au concile d'Agde (506) qui exige des réguliers et non des prélats de renoncer à la propriété (AP, III, 23). En effet, Bonaventure souligne que l'état de prélat est tout autre que celui de religieux : avant même que d'être prélat, le postulant doit être parfait (AP, III, 24), son statut est plus éminent, tandis que le fait d'être religieux, lui, est « plus sûr et plus propre à nous guérir de nos maux » (AP, III, 25) en permettant de faire accéder plus facilement à la perfection, car l'homme y est préservé de tentations auxquelles n'est pas préservé le prélat. Bonaventure a l'art de ne vouloir froisser personne afin de conserver les privilèges de son ordre !

Qualités de ce à quoi l'on renonce

Selon Bonaventure, il existe des degrés de renoncement dans la pauvreté et pour lui, le plus haut degré est celui pratiqué par les Mineurs : renoncer à tout droit sur les choses. Nous parlons donc non seulement d'un renoncement de propriété, mais également d'un renoncement de simple possession. Pour faire face au nécessaire, il ne reste alors que le simple usage, l'usage étroit des choses, l'usage qui est concédé par autrui ( AP , XI, 1). Bonaventure fait l'apologie des pratiques des Pères du désert ( AP , V, 1 sq) , et il cite même le régime alimentaire des Thérapeutes 503 , rapporté par Eusèbe de Césarée : un peu d'eau, du pain et de l'hysope pour accompagner!

Ce renoncement est pensé en fonction de catégories juridiques. Bonaventure distingue quatre sortes de rapports aux biens : nue˗propriété, possession, usufruit et simple usage. Le seul rapport légitime aux biens pour les Mineurs est à ses yeux le dernier ( AP , XI, 1). C'est par ailleurs le contenu du Quo elongati (1230) qui distingue entre propriété et usage : propriété à charge de l’Église, usage à charge des Mineurs ( AP , XI, 1 & 6). La pauvreté évangélique est le renoncement à la propriété, au droit de domaine (synonyme de propriété des biens terrestres) et la restriction de l'usage à un strict nécessaire (AP, VII, 3). Ce qui justifie la nature de la pauvreté évangélique  : « vertu de celui qui renonce aux biens temporels et, sans rien avoir en p ropre, vit de ce qui n'est pas à lui » (AP, V II, 4). C'est ce qui fait dire à Agamben, qu'il y a sortie du droit, une abdicatio omnis iuris 504 . Ainsi l es Mendiants ne sont pas même propriétaires des biens tels que leur nourriture, leurs vêtements, bien dont l'usage les consument ( AP , XI, 7). Cela est à mettre en regard des religieux d'autres ordres, à qui il est concédé la propriété commune ; les Mineurs, de façon analogue aux enfants dans une famille, ne sont pas émancipés, ils sont soumis au pape ( AP , XI, 7). Cette renonciation va jusqu'aux moyens de production, puisque Bonaventure reprend le récit de Jésus à ces pêcheurs qui deviendront apôtres, et qui leur demande d'abandonner barques et filets de pêches 505 . Même si l'on nous aurions chez Bonaventure une « sortie du droit », cela est quelque peu paradoxal 506 , puisqu'il se place sous droit jus˗naturaliste ( ius utendi naturale ), sans avoir un droit positif ( ius utendi positivum ), comme l'aurait relevé Ockham 507 dans son Opus nonaginta dierum .

En tout cas, l a même question se pose que pour les Thérapeutes : de quoi vivre ? Une autre question s'y joint, comment le justifier au regard ce ceux qui suent pour manger ? Pour Bonaventure la pauvreté volontaire a une double facette, elle est tant un devoir qu'un droit  : « Le Christ en a donné le droit , de manière que les prédicateurs de l’Évangile sachent que cela leur est dû » ( AP , V II, 20). C'est la conséquence logique de la nature de la pauvreté évangélique, puisque celui qui a renoncé à tout vit au dépend des autres . Le Christ concède aux pauvres évangéliques, en vertu du temps passé à prédiquer et à enseigner le bonne parole, le droit d'user de ce qui leur est nécessaire mais qui n'est pas à eux.

Transitivité du droit de propriété

Ce refus de la propriété s'applique aussi à ce qui est donné aux Mendiants. Ainsi il est un passage très important de l'AP à ce sujet, bien qu'il n'occupe que peu de place. Bonaventure pose une analogie qu'il double d' un principe de transitivité du droit de propriété : le moine est à sa communauté ce que la communauté est au Souverain pontife. Nous avons donc une analogie qui est une variante de la forme classique A est à B ce que C est à D. Cette variante est : A est à B ce que B est à C. Le bien donné au moine voit son droit de propriété passer au Souverain pontife par l'entremise de la communauté, quoique l'usage puisse être conservé par le moine. :

Ce que l'on donne au moine, quelle que soit l'intention du donateur, ne devient pas la propriété du moine mais de sa communauté et est à la disposition de l'abbé ou du supérieur, le donateur n'eut˗il aucunement pensé à la communauté ; de même tout ce que l'on donne à l'ordre des Frères Mineurs passe au droit, domaine ou propriété du Souverain pontife et de l’Église Romaine, d'autant plus que les Frères n'ont aucunement l'intention d’acquérir la propriété d'une chose quelconque. AP, XI, 8.

Des deux modes de possession

L'étude des rapports de l'homme aux biens n'est pas aisé chez Bonaventure mais dépend des différents types de possessions, de la position de l'homme au sein de la société et de la manière dont l'homme se rapporte au possessions. Avant de distinguer différents types de possessions, Bonaventure reconnaît leur unité en ce que chaque possession est commune, ce qui découle du postulat métaphysique d'un monde créé qui nous est concédé. Quatre types de propriétés sont distingués par Bonaventure

Bonaventure, tout en prescrivant la pauvreté radicale de Saint François, veut expliquer la diversité des positions des croyants à l'égard des possessions Ainsi dit˗il « l'on ne peut affirmer universellement que l’Église ne possède pas de biens temporels, on ne peut affirmer universellement qu'elle en possède » (AP, X, 10). Il distingue ainsi quatre façons de posséder en commun des biens, selon le type de droit qui entérine ces possessions.

La première sorte de propriété découlerait du droit de nécessité de nature (AP, X, 12) : un quidam peut s'approprier ce dont il a besoin dans un état de nécessité extrême. Il est évident pour Bonaventure qu'il est impossible de renoncer à cette appropriation. Pour Bonaventure, ce droit découle d'un droit naturel propre à l'homme, en ce qu'il est également une image d e Dieu. Cette appropriation découle d'une conception jus˗natu raliste du droit, clairement légitimée par une métaphysique. C'est le type de possession minimale que l'on retrouvera dans l' usage étroit de biens consumables qui permet de vivre du strict nécessaire . Tout ce qui est nécessaire à chacun ne peut donc être que commun à tous.

La deuxième sorte de propriété, dont le renoncement est illicite, est celle qui découle de la « possession en commun qui découle du droit de charité fraternelle » (AP, X, 14), qui est un « droit divin infus ». Il s'agit des possessions de l’Église universelle, qui ne peuvent donc être « privatisées ».

La troisième sorte de propriété, est celle qui découle « du droit des sociétés civiles de ce monde » (AP, X, 15), il est pour Bonaventure nécessaire de renoncer à celle˗ci, car elle comprend la propriété privée, issue du droit positif, et elle donne l'occasion de faire le mal souligne t˗il. On doit comprendre que la propriété privée fait partie des propriétés en commun puisque même privée, elle n'est pas attachée à une seule personne mais à plusieurs.

Enfin, la quatrième sorte de propriété est celle qui découle du « droit de dotation ecclésiastique » (AP, X, 16), ce sont tous les dons effectués à l’Église. Renoncer à ces biens n'est pas nécessaire à la perfection, dit Bonaventure, mais cela porte la perfection à son comble. Cet argument permet à la prélature d'administrer tous ces biens. La prélature non seulement use de ces biens, en administrateur, mais aussi possède ces biens, puisque elle peut intenter des actions en justice à leur égard. La prélature entretient à cet égard, me semble˗t˗il, des droits 1) de nue˗propriété et 2) d'usufruit.

Partant de la personne maintenant, Bonaventure entrevoit deux modes de possessions. Une dite en particulier (pour une personne), et l'autre dite privée pour une collectivité déterminée (AP, VII, 4). I l est logiquement possible de renoncer soit à la propriété personnelle, soit à la propriété commune (c'est le mode de renonciation de la foule), soit aux deux ensembles (les apôtres et donc les Mineurs), ce qui impose de vivre de ce qui appartient à autrui et qui est concédé (AP, VII, 4). Le modèle de la première façon de renoncer se trouve dans les Actes (Ac 2, 44˗46) . Le modèle de la seconde façon de renoncer est celui des apôtres, prônée en Mt 19, 21 : ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni chaussures, ni bâton » (AP, VII, 5). C'est à dire, littéralement, le dénuement le plus complet. On retrouve systématisé la grande opposition que nous avons perçue déjà même à l'époque pré˗chrétienne, bien que Bonaventure minore la question du renoncement du lieu. Bonaventure pour autant prône la seconde façon de renoncer, la plus radicale, une « forme de pauvreté indigente et extrême » (AP, VII, 4) tirée par ailleurs des Écritures :

Comme de véritables pauvres, ils doivent être réduits à une indigence extrême, ne pas avoir d'argent, ne pas emporter de nourriture, se contenter d'un simple vêtement et marcher nu˗pieds, de manière à arborer, comme l'insigne de la perfection, la pratique et l’extérieur de la plus haute pauvreté (AP, VII, 5) 508

Notons un problème dans la citation ci˗dessus. L 'expression « comme de véritables pauvres » signifie qu'il n'est pas question de véritables pauvres et que les Mineurs ne seraient donc pas tout à fait de vrais pauvres. On avait déjà perçu cette pirouette sémantique chez Sénèque. La pauvreté volontaire est analogue à la pauvreté effective. Ce qui sera justement reproché aux ordres mendiants, mais peut˗être pas pour les bonnes raisons. À ses yeux, le pauvre évangélique est inassimilable au pauvre effectif en ce que le premier est pauvre librement, et pas le second. Mais d'autres pourront faire valoir qu'ils ne sont pauvres que juridiquement, au vu des richesses des ordres monastiques. Ce caractère spécifique de la pauvreté évangélique, le fait qu'elle soit volontaire, fruit d'un acte libre, est obligeante et serait à suivre à la lettre. Cette seconde manière de renoncer aux biens serait la pauvreté prônée et vécue par le Christ, aux dires de Bonaventure, qui dresse un portrait d'un Jésus qui de sa naissance à sa mort fut un exemple d’extrême pauvreté (AP, VII, 6˗8).

La diversité dans le détachement

Bonaventure, prônant le détachement, explore le domaine des désirs de l'homme. Ainsi, s'appuyant sur Raban Maur (780˗856), le praeceptor Germaniae, il expose deux attitudes de l'homme vis˗à˗vis de l'argent. La première est celle qui consiste à aimer et posséder l'argent, c'est l'ethos « normal » de l'homme, tel que l'on l'a vu exposé par les philosophes païens et par Baudrillard. Mais l'autre état, plus sûr pour être parfait est au contraire ni d'aimer, ni de posséder l'argent (AP, V II, 13). Mais Bonaventure apporte une nuance afin de se mettre à l'abri de critiques les plus virulentes, si le dernier état est le plus sûr, il n'est pas pour autant nécessairement le seul : on peut être parfait et posséder quelque chose en commun ( AP , VII, 16) , car il est possible de pratiquer de plusieurs manières la haute pauvreté et des saints docteurs peuvent, selon lui, recommander et admirer des vertus qu'ils ne pos sèdent pas eux˗mêmes, ce qui est pour eux « acte d'humiliation » ( AP , VII, 17). En réalité, Bonaventure trahit l'esprit de Saint François pour justifier sa propre situation mondaine. Car s'est justement à l'encontre de telles justifications que François et les prédicateurs itinérants se sont soulevés. Bonaventure justifie les richesses en commun que détiennent les prélats, mais pour ce qui est de celles des moines (AP, VII, 19), et surtout de sa propre situation (AP, VII, 18), ... il en rougit. Alors que pour la foule, l'on peut demander une simple nudité de cœur, pour les Mendiants, il sera exigé une nudité de cœur et de corps (AP, VII, 20˗22). Du point de vue des biens, il s'agit pour les premiers de renoncer à tout, et pour les seconds de tout abandonner ( AP , VIII, 23) . C'est dans cette seconde forme de nudité que tout se joue pour les Mendiants. Ainsi Bonaventure distingue trois degrés au sein de celle˗ci (distinction qui est différente de celle opérée par Saint Nil 509 ). Il existe un degré qui est grand (déjà!) et qui est « le renoncement à tout superflu et à toute possession propre » (AP, VII, 22), ce qui convient aux prélats. Il existe un degré, plus grand, qui est « l'abandon de posséder en propre, et le renoncement à sa volonté personnelle » (AP, VI I, 22), qui convient aux réguliers. Enfin le troisième degré est « le renoncement à toute ressource passagère, et [qui implique d'] accepter le dénuement et l'indigence en ce qui assure l'entretien convenable de la vie » (AP, VII, 22), ce qui convient aux apôtres et apostoliques dit Bonaventure (donc par analogie, aux Mineurs), et qui s'incarne dans la vie de Saint François.

Casuistique de la pauvreté volontaire

Mais les Mendiants, tout en étant dans le dénuement, se doivent quand même de manger. Et l'analogie que fait Bonaventure entre les structures religieuses de son époque et les premiers temps du christianisme ne peut manquer de nous interroger. Ne se trouve˗t˗il pas une critique implicite à l'égard des prélats qui détiennent les propriétés et dont font usage les « apôtres » du moment, les Mendiants ? En effet, dit Bonaventure, le Christ confia sa bourse – puisqu'il en avait une par condescendance –, à Judas, dont « il savait devoir être voleur et traître » (AP, VII, 35) afin de permettre la subsistance aux apôtres. Il se fait que les Mineurs se disent ne rien avoir ni en propre, ni en commun, confiant les richesses à l’Église donc de manière analogue à Jésus qui confie sa bourse à Judas dont Bonaventure affirme que « le feu de l'avarice le brûla à tel point qu'il vendit son Maître pour un prix infâme »(AP, VII, 36). N'est ce pas le risque encouru aussi par l’Église ? Ne voit˗on pas réitérée la critique déjà présente chez Saint François d'une église « en ruine » ? Ne voit˗on par par ailleurs les résurgences de cette église en ruine en tout temps, jusqu'à maintenant même ? La querelle de la pauvreté volontaire n'est˗elle pas celle issue de la contradiction entre l'idéalisation du concept et sa réalisation contingente. Pourtant de manière explicite, Bonaventure défend la prélature et son droit à avoir des propriétés, reprenant la distinction opérée par J. Pomère. Bonaventure affirme que les biens de l’Église ne peuvent être revendiqués pour l'usage personnel des prélats ; qu'ils ne peuvent les considérer comme leur propriété mais comme en dépôt afin de les distribuer aux pauvres ( AP , VII, 38)  : ils en sont donc des administrateurs. Les prélats « possèdent en commun avec tous ceux qui n'ont rien » ( AP , VII, 38) . Ce qui est, à la réflexion, quelque peu fallacieux toutefois, car dans les faits,les vrais pauvres ne sont pas eux˗mêmes les administrateurs de ces biens communs !

Cette possession de biens communs au sein de l’église a un caractère prudentiel, Bonaventure utilise l'exemple du Christ qui en voyage, emporta une bourse, et donc a plus avec lui que lorsqu'il est à la maison. La discrétion oblige, dans certaines conditions à user de l'argent nécessaire à la vie, sans pour cela être moins parfait. Bonaventure citant Bède, contribue à renouveler la querelle de la pauvreté par un passage très intéressant :

Le Maître et Seigneur de toute vertu, voulant faire comprendre cette discrétion, ordonne donc aux disciples, qu'il envoyait pécher, ''de ne rien emporter sur la route'', tout en décidant que ''ceux qui annoncent l’Évangile doivent en vivre''. Mais devant un menaçant péril de mort,[...], il leur imposa une conduite en rapport avec les circonstance et permit l'usage de l'argent nécessaire à la vie.. . AP VII, 39.

La tentation d'une casuistique de la pauvreté volontaire se dessine dans ce court extrait. Et Bonaventure va jusqu'à proclamer l'utilité des biens terrestres, que se soit 1) pour subvenir aux nécessités naturelles, 2) pour réaliser les travaux de l'industrie humaine et même 3) pour pratiquer une vertu parfaite (AP, VIII, 12). pour le troisième point, certainement a˗t˗il en tête la nécessité de posséder des livres. Si cette utilité ne provient pas des biens eux˗mêmes (AP, VIII, 12), il nous faut en conclure qu'elle est le fruit des circonstances par lesquelles ces biens sont utilisés. Il suffit, dit encore Bonaventure, se référant à Augustin, de ne pas s'y attacher de cœur 510 . Il n'empêche que Bonaventure critique l'accumulation des richesses, qui sous prétexte de prévoyance, est devenue une occasion charnelle (AP, VIII, 17) : « ceux qui auraient dû préparer pour eux˗mêmes et pour d'autres les demeures du ciel, ajoutent ici˗bas maison à maison et joignent champ à champ » (AP, VIII, 17). Cette critique n'est pas neuve, nous l'avons vu. On aurait du mal à ne pas y reconnaître l'esprit entrepreneurial des puissants ordres religieux de son temps. Mais tout en l'exprimant, Bonaventure a˗t˗il les outils en mains pour y faire face ?

« De quoi vivre ? »

Nous avons vu plus haut que les Mineurs avaient le droit de vivre au dépend d’autres, reste à savoir comment cela peut être rendu possible. Bonaventure s’emploie à justifier l'entretien qui est dû aux pauvres évangéliques par l’Église, en soulignant la légitimité qu'ils ont de prêcher. Il va s'y prendre en plusieurs étapes. Il reconnaît d'abord « sept formes d'actions hiérarchiques » dévolues aux prélats (AP, XII, 3). Parallèlement, il énumère les sept formes d'actions hiérarchiques dévolues aux moines (AP, XII, 13), qui diffèrent en ce qu'elles nécessitent le recours aux Écritures (AP, XII, 13). Qui plus est, il reconnaît, notamment au travers d'autorités, ce qui distingue les prélats des moines 1) les moines ne sont pas parfaits mais travaillent à être parfaits, 2) il n'appartient pas au moine d'enseigner mais de pleurer, 3) le moine ne s'occupe pas du salut des autres mais du sien (AP, XII, 10). Néanmoins, il affirme qu'il n'est pas interdit aux prélats de poser des actes spécifiques aux moines, sous˗entendant que l'inverse doit être vrai (analogie implicite). Pour protéger la position des Mineurs (et se distinguer d'autres spirituels « incontrôlables »), il souligne que les pauvres évangéliques sont sous l'autorité des prélats, c'est˗à˗dire de l'Ordinaire. Non seulement Bonaventure distingue les pauvres évangéliques (donc les Mineurs) des prélats, mais également des moines, s'assurant la reconnaissance que leur rôle de prédicateur est nécessaire, et que le bon évêque se doit de les désirer vivement(AP, XII, 7). Ceci permet de justifier également que les tâches des moines et pauvres évangéliques, par la difficulté des études, « exige un effort de l'homme tout entier » (AP, XII, 13). Rappelons que Bonaventure répond aux accusations de Guillaume de Saint Amour (dans Des périls des dernier temps), qui veut retirer les droits d'enseigner et de confesser aux mendiants, et les obliger au travail manuel 511  :

Ceux qui s'appliquent avec soin à ces études septiformes, [...] même s'ils ne s'adonnent pas à un travail manuel, méritent d'être entretenus par l’Église, [...] Ceux qui sont occupés à l'étude, ne peuvent pourvoir eux˗mêmes à leurs besoins. AP XII, 13.

Les Mineurs ne sont certes pas de purs contemplatifs, ils se donnent pour tâche l'enseignement, mais, il ne produisent pas de leurs mains de quoi se nourrir par eux˗mêmes. Bonaventure affirme que l'on peut éviter le péril du travail manuel du moment qu'est résolu cette obligation de la triple contrainte de la loi naturelle qui est de vivre, de vivre décemment et de vivre commodément 512 . Le pauvre valide ne peut échapper à cette obligation de la loi naturelle, mais il en va autrement pour les Mineurs. Car pour Bonaventure, il existe divers types d'hommes pour qui il est justifié, même s'ils peuvent vivre de leur mains, qu'ils soient entretenus par d'autres hommes : 1) ceux qui alimentent les autres de leur paroles et enseignements, 2) ou du secours de l'autel, 3) ceux qui administrent les divers sacrements, et 4) ceux qui ont distr ibués leurs propres bien ( AP , XII, 16). On y retrouve donc les religieux au sens large et les prélats. Loin de faire l'apologie de l'oisiveté, Bonaventure a plutôt pour position de la condamner, se plaçant ainsi encore une fois dans la droite ligne traditionnelle du christianisme et plus largement du cénobitisme. Pour autant, Bonaventure défend la mendicité pour les Mineurs. Mais comme il ne peut l'accepter pour tous le monde, il va opère une distinction entre ceux qui 1) mendient suite à un malheur, comme c'est le cas chez les misérables et les indigents (AP,   XII, 26), il s'agit d'une mendicité méritoire si elle est supportée avec patience, 2) ceux qui mendient par cupidité, qui est condamnée, 3) ceux qui mendient par paresse, cette mendicité est punie par les lois civiles mais aussi les lois divines, 4) la mendicité en tant qu'elle est la conséquence (« le fruit ») « de l'application chez les pauvres studieux, occupés de science dans les écoles » (AP,   XII, 27). Pour ces derniers Bonaventure s'en réfère à Augustin qui souhaite que l'on supplée à leur nécessaire. 5) Et enfin la mendicité des pauvres volontaires, qui est encensée. La mendicité, bien que pratiquée à défaut d'avoir d'autres moyens pour obtenir le nécessaire, a pourtant diverses utilités que sont le fait de 1) se purifier, 2) s'humilier, 3) se mortifier, 4) être attaché au prochain, 5)   ressembler au Christ, 6) s'élever vers les hauteurs divines (AP, XII, 33). Ce sont donc de nobles objectifs donc aux yeux de Bonaventure, pour ces Mineurs qui font comme les vrais pauvres, ainsi que nous l'avons vu, mais aussi semble˗t˗il... qui font mieux que les vrais pauvres, puisque Bonaventure affirme, se référant à Saint Jérôme, qu'il faut surtout faire l’aumône aux « familiers de la foi » (AP, XII, 38)  et à ceux qui sont pauvres en esprit (AP, XII, 38). Voici un passage qui ne laisse aucune équivoque :

Aussi, nous n'avons pas écrit pour recommander la multitude sans frein des mendiants, ou avec l’intention d'approuver comme parfait tout mode de solliciter l'aumône, mais uniquement en faveur de celui auquel est joint l'étude de la sagesse septiforme ou le travail manuel, avec la profession de l’observance de la pauvreté évangélique et l'exercice de la vertu parfaite. AP, XII, 41.

3. L'itinérance, la motivation absente

Nous terminerons cette partie en portant l'attention sur les motivations de la réalisation du concept. En effet, nous avons dit que la motivation, qui « appelle » à la pauvreté volontaire conditionne l'étoffe de celle˗ci et ce faisant participe à la pluralité des formes de la pauvreté volontaire. Nous avons montré qu'une motivation principale pouvait céder le pas à une motivation secondaire, affectant alors l'effectuation de la pauvreté volontaire, et pouvant notamment la corrompre.

Pour Bonaventure, quatre grandes utilités sont identifiées concernant cette pauvreté, qui sont celles 1) d'exterminer le mal, 2) d'exercer une vertu parfaite, 3)   s'assurer la possession d'une joie intérieure et 4) accréditer la prédication évangélique (AP, IX, 13). Ces utilités peuvent donc être prises comme des motivations qui sont autant de moteurs à l'effectuation de la pauvreté volontaire. En réalité, nous distinguerons les trois premières utilités de la quatrième, en ce que les trois premières ont pour motivation la recherche pour soi du Royaume de Dieu, tandis que la dernière vise à le faire connaître aux autres. Cette distinction est essentielle pour notre propos, mais invisible aux yeux de Bonaventure.

La première utilité qui est celle d'exterminer le mal peut elle˗même correspondre à différents moments, celui d'expier les fautes commises, d'enlever les occasions de pécher et bien plus d'exterminer le mal. Pour ce dernier cas, il s'agit de couper les racines mêmes du vice, de séparer l'amour des biens du corps et la crainte, qui est la seconde racine du vice selon Bonaventure se référant à Saint Chrysostome (AP, IX, 14˗16). La pauvreté permet ensuite donc d'exercer une vertu parfaite en mettant à l'épreuve la vertu acquise, en conservant la vertu éprouvée et en facilitant la vertu à l'action (AP, IX, 17). La troisième utilité permet de goûter à la joie intérieure d'abord en ce qu'elle apporte la sécurité extérieure. Citant encore Saint Chrysostome, Bonaventure énonce que « si l'on est sage et philosophe, cette pauvreté deviendra source et principe de dix mille bonheurs » en ce monde et dans le monde à venir (AP, IX, 18). Ensuite, elle apporte la joie intérieure en vertu de la récompense attendue et grâce à la « consolation infuse d'en haut » (AP, IX, 19˗20). Ces trois premières utilités sont donc autant de composantes permettant de contempler Dieu. C'est la motivation que l'on trouve avancée chez les moines.

Enfin la quatrième utilité, la pauvreté, permet d'accréditer la prédication évangélique. Considéré du point de vue de ceux que l'on doit convertir, la pauvreté la rend plus croyable, plus efficace, et enfin elle fait mieux accepter la prédication (AP, IX, 21). Considéré du point de vue du prédicateur, la pauvreté présente trois aspects avantageux : 1) cela permet d'éviter aux apôtres d'être suspecté d'un intéressement personnel, 2) cela leur retire de veines préoccupations et donc de mieux prêcher et 3) cela leur fait connaître la puissance du Christ puisque ils ne manqueront pour autant de rien : « en les dépouillant de tout, il leur donne tout ».(AP, VII, 9). Bonaventure produit une preuve par le fait de l'efficace de la pauvreté volontaire : « Preuve évidente en est que cette vérité évangélique a été répandue dans l'univers entier par des Apôtres pauvres en esprit et en réalité, bien qu'ils fussent peu nombreux » (AP, IX, 22). Et il est vrai que par là il se distingue des courants philosophiques qui restaient l'apanage d'une petite élite, ou bien peut˗être d'une classe moyenne à l'époque du stoïcisme dans l'empire romain. Douze hommes ont converti l'univers dit Bonaventure, ce qui devrait nous rappeler les propos apologétiques de Tertullien. Toujours est˗il qu'en ce sens, Bonaventure, pérennise le programme paulinien d'universalisation. On le voit la pauvreté volontaire est mise au service de la prédication, qui devient la motivation du Chrétien, motivation qui vient au delà de sa volonté d'accéder au Royaume des Cieux. Mais par cette dernière motivation, la conversion, on comprend l'importance de l'itinérance. Chaque utilité est bien une motivation, mais le Chrétien qui s'arrête à la troisième tombe dans le risque de ne pas respecter le conseil évangélique que l'on trouve en Mt. 19, 10 : « Viens et suis˗moi ! ». En ne respectant pas ce conseil , qui est une motivation à la pauvreté volontaire, on ne peut sortir de l'ornière dans laquelle elle˗même se place. La pauvreté volontaire se condamne à toujours se trahir par l'immobilisme, source d'accumulation – en commun ou en propre – de biens, source d'attachement. Seule cette dernière motivation permet de se détacher des biens extérieurs, y compris de se détacher de son lieu. L'itinérance, comme motivation qui dépasse le projet personnel pour un projet tourné vers les autres, vers tous les hommes « jusqu'aux extrémités » permet seule la revivification du concept de pauvreté volontaire. Ce qu'a bien compris St François lorsqu'il fut appelé à reconstruire la « maison de son Père ».

Conclusion

Ainsi donc s'achève notre enquête. Nous étions partis d'un extra it du PERFECTAE CARITATE . Afin de le comprendre, il nous a fallu cerner en quoi il posait problème. Notre objectif était alors de rendre compte philosophiquement du concept de pauvreté volontaire. Ainsi nous l'avons abordé en philosophe, et avons tenté d'en produire une métaphysique. Ce qui signifie qu'après avoir identifié la dualité que le concept abritait, en tant qu'objet et genre-de-vie pour le philosophe, nous avons tenté de rendre compte de son existence ou plutôt de son advenir. Ainsi l'émergence du concept, son développement, et les difficultés à maintenir son existence dans le monde ont exigé que nous cherchions ses raisons d'être. Cela nous a conduit, non sans avoir posé préalablement sa quiddité – le libre renoncement à l'objet de son désir –, à interroger ses racines (la Dikê, Dieu) et ses finalités (eudémoniques, béatifiques) à l'aune de sa matérialité au sein de différentes morales sociales. Notre enquête, forcément limitée, s'est restreinte au monde gréco-romain et au monde judéo-chrétien. Elle a révélé des principes communs et distincts aux formes de pauvretés volontaires qui y étaient présentes. Nous avons ainsi distingué des origines différentes, aristocratique d'une part, et d'élection d'autre part, fruit de l'Alliance d'un peuple avec son Dieu. La pauvreté volontaire s'est popularisée, elle est devenue pensable de manière cosmopolite, puis s'est effectivement universalisée, notamment au travers du projet chrétien, bien qu'elle restait l'apanage d'une minorité de « parfaits ». Se réalisant, s'incarnant pluriellement, nous avons montré comment le concept avait pu se déployer dans le monde. Il a ainsi fallu un double processus d'ex-communautarisation, le premier étant le passage d'une communauté à l'égard d'un peuple, et le second d'un peuple à l'égard du monde. Ce deuxième stade du processus comprenant le projet – présent dans le paulinisme – de son universalisation. Dans son déploiement mondain, nous avons identifié plusieurs motivations qui ont conduit à des réalisations diverses. Nous avons identifié des événements qui opèrent des points de ruptures et qui sont autant des effets que des causes de sa complexification. Pensons en particulier à la kénose qui opère un tel enrichissement du concept. Nous avons perçu également que sous couvert d'une même finalité (la recherche de Dieu) des composantes du concept pouvaient mener à des contradictions profondes, au risque même de trahir son projet. Ainsi le principe de la communauté des biens ( koïnonia ), repris par exemple par Saint Antoine, n'est pas une évidence et engendre des difficultés, au regard de l'idéal d'abandon et de dépouillement (Mt 19, 21). La pauvreté volontaire pour exister devait dépasser ses propres contradictions, engendrées par un contenu qui l'amène à se trahir et à devoir être imposé au nom de l'obéissance, si présente dans la Règle bénédictine. Ainsi le dépassement de la contradiction interne passait par une ex-liturgisation de la pauvreté volontaire et par une revivification du concept. Ce moment clef révèle l'esprit de ce libre renoncement à l'objet de son désir et se manifeste sous une grande diversité de formes à l'époque des « nouveaux mouvements religieux ». Nous avons identifié à quel point une de ses caractéristiques, trop facilement mise sous le boisseau, l'itinérance, comme détachement à l'égard du lieu, était la clef de la sursomption du concept, de ce renouveau de l'esprit de la pauvreté volontaire. Notre enquête, abstrayant les caractères de la pauvreté béatifique chrétienne, donc évangélique, nous a permis de souligner trois de ses traits constitutifs, en tant qu'ils lui permette une persistance dans l'être : le détachement, la kénose et l'itinérance.

Très tôt au sein de notre enquête, nous avons été confronté au désir de l'homme et à la diversité des sujets d'attachement. Nous avons été amené à nous demander quel rôle jouait la volonté pour l'homme qui se destinait à une vie pauvre. Nous avons exploré les divers types de détachement possibles et nécessaires en vue de l'exercice de la pauvreté volontaire. Nous avons donc, parmi les biens extérieurs à l'homme, identifié le détachement « au lieu » comme étant un aspect fondamental dans le processus de revivification du concept de pauvreté volontaire. Nous avons découvert, au sein de la scolastique surtout, un discours tendant à la systématisation et à l'ordonnancement des questionnements touchant à notre objet d'étude. Cette exigence de la pensée a permis de saisir plus profondément le concept et de vivifier son effectuation notamment au travers de la systémique bonaventurienne. Il ne fait nul doute désormais que le texte du P ERFECTAE CARITATE nous apparaisse désormais avec plus de transparence.

Nous n'avons pu exploiter toutes les pistes qui s'ouvraient à nous. Bien d'autres communautés de pensée mériteraient que l'on étudie ce qu'elles ont à nous dire sur la pauvreté volontaire. Mais même au sein de la communauté de pensée chrétienne, notre champ d'étude était restreint. Alors que nous avions identifié plusieurs objets de détachement, nous avons manqué de temps et de place pour aborder la conception eckhartienne de la pauvreté volontaire. Eckhart nous aurait montrer une pauvreté volontaire en rupture avec ce qui a prévalu jusqu'alors et que l'on a étudié chez Bonaventure. Eckhart radicalise et infléchit la motivation béatifique première pour proposer un détachement à l'égard de Dieu, alors qu'auparavant la pauvreté volontaire demandait de se détacher de tout pour mieux s'attacher à Dieu. Mais nous n'avons pas non plus franchi les portes de la Réforme. Nul doute que nous trouverions à mieux comprendre encore la complexification continuelle du concept au delà de la réforme tridentine, du coté de la contre-réforme, par exemple chez François de Sales, qui radicalise l'universalisation de la pauvreté volontaire en questionnant la fracture entre les pratiques des « parfaits » et des croyants laïcs. Nous aurions pu explorer la pauvreté volontaire au sein de la chrétienté orientale qui a gardé un contact si intime avec les premiers Pères. Nous aurions surtout pu explorer le concept vécu au sein de la modernité au regard du phénomène d'industrialisation et des préoccupations sociales qu'il a vu naître. Pensons d'abord à la théologie de la libération de Guttierez, ou à celle qui fait l'objet d'une attention croissante depuis quelque temps, la théologie du peuple. Surtout et puisque une partie du monde contemporain s'est sécularisé, nous aurions pu analyser le concept à l'aune de préoccupations contemporaines et des catégories qu'elles ont fait naître. Il n'est que de penser aux concepts de « sobriété », de « décroissance »,.... Nous n'avions ni le temps ni l'espace pour traiter toutes ces questions. Mais nous avons désormais les fondations pour mener plu loin nos investigations et confronter le concept avec ses réalisations et ses incarnations les plus récentes, dans sa pluralité. La pauvreté volontaire, qui relevait de la pratique de quelque uns, jaloux de leurs prérogatives ou de leurs privilèges, s'est répandue et s'est universalisée pour tout qui veut l'appréhender. Elle a dépassé ses propres contradictions. L'esprit du concept est disponible, bien que « sa mise sur le marché » semble n'être pas une «  success story  », au vu de la minorité des communautés qui s'en saisissent ; néanmoins nous ne pouvons pas nous associer à ceux qui affirment que l'homme à nécessairement besoin de « ce rien de trop ».



V.D.

19 août 2015.





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1 Pour s'en convaincre, cf. l'article « Métaphysique » dans A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 2006, p. 611˗622.





2 On trouvera dans d'autres textes marquants de l'église, plus contemporains, cette même préoccupation. Ainsi entre autres textes importants, le Deus caritas est de Benoit XVI, l'Evangelii gaudium de François de même que son encyclique Laudato si’ .





3 Paul vi , D ÉCRET SUR LA RÉNOVATION ET L'ADAPTATION DE LA VIE RELIGIEUSE PERFECTAE CARITATE , §13, R ome ( S t P ierre), 1965.





4 E. Kant, Logique, trad. L. Guillermit , Paris, Vrin, 2007, p. 23˗24.





5 Ibid, p. 24.





6 Ibid, p. 24.





7 Ibid, p. 24. C'est moi qui souligne.





8 On trouve déjà bien plus tôt cette prétention à définir le vrai philosophe, par exemple chez Nil du Sinaï.





9 Médiéviste (1911˗ 1996) connu pour son étude érudite et de longue haleine sur la pauvreté au moyen âge.





10 M. Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1978, p. 7.





11 Ibid, p. 14. Cf. également une définition semblable de l'auteur dans EU, 11, 497.





12 Il pourrait tout autant initier son enquête sur base d'autres communautés de pensées.





13 Nous aurions au moins autant à en dire dans d'autres sphères, pensons en particulier à l'Islam.





14 O. Boulnois, Métaphysiques rebelles, Paris, 2013, PUF, p. 21.





15 D. Boyarin, La Partition du judaïsme et du chris tianisme , Paris, Cerf, 2011, p. 14.





16 M. Foucault, L'Archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 18.





17 M. Foucault, L'Archéologie du savoir, p. 190.





18 Ibid. , p. 195˗196.





19 Ibid. , p. 195˗198.





20 Ibid. p. 209.





21 J'en profite pour reconnaître ici ma dette à O. Gilon, à qui je dois l'usage de ce concept.





22 M. Foucault, op.cit., p. 190.





23 E. Kant, Logique, p. 25.





24 E. Kant , Métaphysique des mœurs , dans Œuvres philosophiques , t. 3, Paris, Gallimard, 1986, VI, 376, p. 652.





25 R. Joly, Le Thème philosophique des genres de vie dans l'Antiquité classique (dir. A. Delatte), 1956 (Mémoires de l'Académie royale de Belgique, classe des Lettres et des Sciences mor. et pol., tome Ll, fasc. 3), impr. 1995.





26 Le genre˗de˗vie ou mode de vie du philosophe, est un thème qui a été travaillé au XX e siècle par le philologue P. Hadot, et à sa suite par M. Foucault, G. Agamben et autres.





27 R. Joly , Le Thème philosophique des genres de vie... , p. 8.





28 Ibid., p. 7.





29 Bonaventure, en bon apologiste – mais avant la découverte du Nouveau Monde –, affirme que par l'efficacité de la pauvreté évangélique, douze hommes ont « converti l'univers ». AP, IX, 22.





30 Le thème de genre˗de˗vie, de mode de vie a fait florès. On retrouve chez Foucault (cf. not. L'Herméneutique du sujet, Cours au collège de France. 1981˗1982 , Paris, Gallimard, 2001.) cette même idée au travers du souci de soi, l' epimeleia heautou que l'on peut comprendre par cette attitude à l'égard de soi, des autres et du monde, par cette forme d'attention et de regard, et enfin par les actions que l'on exerce sur soi et par lesquels : « on se modifie, [...] on se purifie [...] on se transforme et on se transfigure » ( Ibid. , p. 12˗13). Ce sont les pratiques qui se rapprochent des exercices spirituels de P. Hadot. Foucault dérivera de ces exercices spirituels la notion de spiritualité et ses conditions de possibilités, cette spiritualité qu'il définit comme : « Ensemble de ces recherches, pratiques et expériences que peuvent être les purifications, les ascèses, les renoncements, les conversions du regard, les modifications d’existence, etc. Qui constituent, non pas pour la connaissance mais pour le sujet, pour l'être même du sujet, le prix à payer pour avoir accès à la vérité ( Ibid. , p. 16˗17).





31 P. Hadot (op. posth.), Discours et mode de vie philosophique, p. 158˗159.





32 Ibid. , p. 161.





33 P. Hadot, La Philosophie comme manière de vivre, Paris, Albin Michel, 2001, p. 144. Une des raisons qui ont convaincus Hadot d'employer ce terme d'exercice spirituel en contexte non nécessairement religieux est par ailleurs son emploi par St Ignace qui l'aurait hérité de la pensée antique par l'intermédiaire des moines ( Ibid. , p. 151). Parmi ces exercices, prenant l'exemple des épicuriens, il citera l'examen de conscience, l'aveu des fautes, la méditation, la limitation des désirs. ( Ibid. , p. 144). Hadot préfère donc étudier un philosophe au travers de ses oeuvres, plutôt que par des propositions abstraites de leur environnement, attitude que nous suivrons également.





34 M. Foucault, L'Herméneutique du sujet, Cours au collège de France. 1981˗1982, Paris, Gallimard, 2001, p. 17.





35 Et de poursuivre : « ...C'est cette impossibilité qui a paru rendre nécessaire l'intervention du marxisme, qui prétend corriger ce qui a été fait et montrer ce qu'il aurait fallu faire ». H.U. Von Balthasar, Les grands textes sur le Christ, Paris, Desclée, 2006, p. 105.





36 J. Baudrillard , La société de consommation , Paris, Denoël, 1970, p. 49.





37 Ibid. , p. 49.





38 Ibid., p. 50. Repris du Roi Lear de Shakespeare.





39 Ibid., p. 61.





40 Pour ne citer qu'un exemple ; au sein de la règle de St Benoît – la plus diffusée des règles monastiques en Europe pendant de nombreux siècles –, à l'endroit de la possession des vêtementsdes frères, il est dit s'agissant pour eux de n'avoir droit qu'à deux tuniques, que : « Tout ce qui serait au˗delà est superflu et doit˗être retranché ». RSB, LV, 11.





41 A. Bodson , La Morale sociale des derniers stoïciens, Sénèque, Épictète, et Marc Aurèle , dir. A. Delatte , Paris, Belles˗Lettres, 1967.





42 Ibid. , p. 15˗16.





43 M. Mourgues, Parallele de la morale Chrétienne avec celle des anciens philosophes, Paris, G. Dupuis, 1702.





44 Ibid. , p. 5.





45 P. Hadot, La Philosophie comme manière de vivre, Paris, Albin Michel, 2001, p. 171˗175.





46 A. J. Festugière, L'Idéal religieux des grecs et l’Évangile, Paris, Librairie Lecoffre, 1932, p. 40.





47 Ibid. , p. 31.





48 Ibid. , p. 23. Et a ccessoirement, cette divinité païenne protège la cité et non l'individu ( Ibid. , p. 38).





49 Ibid. , p. 53.





50 Id.





51 Platon, Le Banquet, trad. P. Vicaire, Paris, Belles˗Lettres, 1992, 202 d˗e.





52 D. Babut, La religion des philosophes grecs, Paris, PUF, 1974, p. 176.





53 Ibid. , p. 177.





54 « Ne vois˗tu pas une grande différence entre la tendresse d'un père et celle d'une mère ? Le père fait lever ses enfants de bonne heure pour les mettre au travail, et ne saurait les laisser inoccupés, même les jours de fête ; il fait couler leur sueur et parfois leurs larmes ! La mère, elle, veut les couver dans son sein, les garder dans ses jupes ; elle refuse pour eux les peines, les larmes et les fatigues ». Sénèque, De la Providence, trad. P. Miscevic, Paris, Flammarion, 2003, II, 5˗6, p. 40˗41.





55 Sénèque, De la Providence, IV, 5˗16, p. 53˗58.





56 « Je veux te réconcilier avec les dieux, qui sont très bons envers les hommes très bons : jamais en effet la nature ne souffre que le bien nuise au bien ». Sénèque, De la Providence, I, 5, p. 38.





57 Cicéron, De la divination, trad. J. Kany˗Turpin, Paris, Flammarion, 2004, LXIII, 129˗131, p. 305˗307.





58 Aristote, Métaphysique, trad. Duminil et Jaulin, Paris, Flammarion, 2008, 1064 a 35 sq., p.363.





59 Ibid. , 1064 b 0˗5, p.363.





60 Ibid. , 1071 b 0 sq., p. 388 et 1073 a 0˗5, p. 394.





61 Cf. par exemple la théologie d'Aristote dans sa Métaphysique, Λ , 7˗9, 1072 a 15 ˗ 1075 a 10.





62 A. J. Festugière, L'Idéal religieux des grecs et l’Évangile, p. 55.





63 Prenant appui sur la solitude de l'homme qu'il trouve dans le De natura Deorum de Cicéron , op.cit . , p. 87.





64 A. J. Festugière, L'Idéal religieux des grecs et l’Évangile, p. 87.





65 Ainsi les cyniques, dans l'Empire romain, étaient parfois confondus, par leur mode de vie, avec les chrétiens.





66 J.˗P. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 2012.





67 J.˗P. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, p.3.





68 Ibid., p.58.





69 Ibid., p.66˗67.





70 Ibid., p.68.





71 Égale participation des citoyens au commandement de la polis.





72 J.˗P. Vernant, op.cit., p.72.





73 Id. Remarquons que ce processus trouvera son pendant au VII e et VI e S. à Sparte, apparemment pour des raisons militaires, mais il en résultera aussi une condamnation de l'étalage de la richesse et des interdits économiques divers dont notamment celui de l'usage des métaux précieux et de la monnaie et des pratiques comme l'attribution à chacun d'un kléros (lot de terres), la suppression de l'opposition laos/dèmos, la pratique des syssities (repas communs). (Ibid., p. 72˗75).





74

Par ailleurs J.˗P. Vernant affirme que l'effervescence religieuse aurait eu sa part dans l'idéalisation de l'ascétisme. Cf. Ibid , chap. VI « L’organisation du cosmos humain ».





75 Ibid. , p.92.





76 J.˗P. Vernant , Les Origines de la pensée grecque , p.93.





77 Ibid. , p.94.





78 Pour une étude sur cette question, cf. L.˗M. L'Homme˗Wéry, « La notion d’harmonie dans la pensée politique de Solon », dans Kernos (En ligne), sept. 1996, mis en ligne le 21 avril 2011.





79 On le retrouve, chez Aristote dans La constitution d'Athènes (XII,4), mais également chez Aristide et chez Plutarque dans la Vie de Solon. Cf. B. Fabienne. « Solon. Fragment 36 W. Pratique et fondation des normes politiques », dans Revue des Études Grecques, t. 108, Jan.˗jui. 1995, p. 25.





80 L.˗M. L'Homme˗Wéry, op. cit.





81 Cette réforme consistait à supprimer la dépendance des paysans endettés vis˗à˗vis des propriétaires des terres et cela par la suppression des bornes. Cf. C. Mossé, Histoire d'une démocratie : Athènes, Des origines à la conquête macédonienne, Seuil, 1971, p. 16.





82 Développements cf. B. Fabienne, op.cit., p. 24˗37.





83 C'est ce que J.˗P. Vernant nomme la laïcisation de la pensée morale. Cf. J.˗P. Vernant , ibid. , p.96.





84 B. Fabienne, op.cit., p. 29.





85 J.˗P. Vernant , op.cit. , p.98.





86 Ibid. , p.98˗99.





87 J.˗P. Vernant , Les Origines de la pensée grecque , p.102.





88 Cf. A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, (Liège / Paris, 1922), Genève, Slatkine Reprints, 1979.





89 Platon, République, IV, 430 d sq.





90 J.˗P. Vernant , op. cit. , p.106.





91 « efficace » dans la traduction reprise par A. Delatte, Essai sur la politique pythagoricienne, p. 91.





92 A.˗É. Chaignet (trad.), Philosophie pythagoricienne, contenant les fragments de Philolaüs et d'Archytas, Paris, Didier et Cie Libraires˗éditeurs, 1874, Fragment 22, al. 3 . Par ailleurs il me faut renvoyer à l'excellente étude de ce fragment, réalisé par A. Delatte, ibid., chap. IV, p. 71˗124.





93 A. Delatte, ibid, p. 99.





94 J.˗P. Vernant , Les Origines de la pensée grecque , p.106˗107.





95 Il est possible de s’interroger sur la pertinence de l’usage du terme de « société », puisque les citoyens grecs ne représentant qu'un faible pourcentage des habitants de la Grèce. On pourrait plus justement parler de la polis comme d'une communauté au vu de la proportion de citoyens à l'égard du régime athénien, car cette société harmonieuse est de facto un mythe.





96 Cf. aussi Platon , République, trad. G. Leroux , Paris Flammarion, 2004, X, 596 c ˗597 b.





97 Platon , Timée , trad. L. Brisson , Paris, Flammarion, 28 a.





98 Ibid , 28 c ˗29 c.





99 Platon , Timée , 41 b˗d .





100 Ibid , 90 b.





101 Ibid , 69 b˗d.





102 Ibid , 90 c˗d.





103 P ar ailleurs il placera une partie d’âme près de la tête celle qui participe du courage et de l'ardeur et une autre, celle qui désire, au niveau du ventre . Ibid , 70 a & 71d.





104 Ibid , 69 c.





105 Livres II à IV.





106 La cité étant plus grande que l'homme est donc plus facile à saisir.





107 Platon , La République, 2004, 368 e.





108 Ibid , 369 d .





109 Ibid , 433 d .





110 Ibid , 433 e .





111 Ibid , 434 c.





112 Ibid , 437 e .





113 Ibid , 441 e.





114 Ibid , 442 c˗d .





115 Ibid , 442 d .





116 Ibid , 443 c.





117 Ibid , 443 e .





118 Ibid , 369 b˗d.





119 Xénophon, Économique, trad. P. Chantraine, Paris, Belles˗Lettres, 1971, cha p. 8, 2, p. 67.





120 Xénophon, Mémorables, trad. J. Rouvier, IV, 2, 37, dans P. Sassier, Du bon usage des pauvres, Fayard, 1990, p. 15.





121 Cf. not. Xénophon , Le Banquet 4, 34˗36, Économique 2, 2˗10, Mémorables , 4, 2, 37˗39. Références extraites de : C. Pébarthe, «Les sandales de Socrate. Les sophistes, les philosophes et la pauvreté. », dans Galbois, E. et S. Rougier˗Blanc, La pauvreté en Grèce ancienne. Formes, représentations, enjeux, Ausonius Scripta Antiqua 57, Bordeaux, 2014, p.227.





122 Xénophon , Hieron, trad. E. Talbot , Paris, Hachette, 1859, chap. 4, 8˗11.





123 Ibid , chap. 4, 8˗11. Ce thème est également joué dans un dialogue entre Critobule et Socrate. Cf. Xénophon , Économique , chap. 2 , 3˗4.





124 Platon, Le Banquet, trad. P. Vicaire, Paris, Belles˗Lettres, 1992, 199d˗200b.





125 «  Eh bien c'est cela que tu dois retenir : rappelle˗toi bien ce dont il est amour. Mais dis˗moi seulement si l'Amour désire, ou non, ce dont il est amour. – Il le désire assurément, dit˗il. – Quand il possède ce qu'il désire, est˗ce alors qu'il l'aime et le désire, ou quand il ne le possède pas ? – Quand il ne le possède pas : cela du moins est vraisemblable, dit˗il. Examine donc, dit Socrate, si, au lieu d'être vraisemblable, il n'est pas nécessaire qu'il désire ce qui lui manque, ou qu'il ne le désire pas parce qu'il ne lui manque pas ? Pour moi, mon cher Agathon, cela me semble nécessaire à un point étonnant ». Platon, Le Banquet, 1992, 200 a.





126 Ibid , 1992, 200 d.





127 Ibid , 1992, 204d˗205b.





128 Ibid , 1992, 205a.





129 Xénophon , Banquet, trad. F. Ollier , Paris, Belles˗Lettres, 1972, III, 9.





130 Dans l'Apologie que Platon lui dédie et par lequel il témoigne de son procès qui va le condamner à boire la ciguë, Socrate affirme qu'occupé à mener son enquête à la recherche de sages, il en vient à se désintéresser des affaires de la cité et des siennes propres, au point qu'il vit, dit˗il, dans une « extrême pauvreté ». Platon, Apologie de Socrate, trad. L. Brisson, Paris, Flammarion, 2005, 22b˗23b. Néanmoins, cette situation de pauvreté extrême devrait être nuancée en considérant la pauvreté à l'aune du peu de bien, en ce que, si même Socrate vit de peu, il a toutefois un logement qui lui appartient, ne prône pas la misère, il fut un temps équipé pour partir en guerre en tant qu'Hoplite et il lui arrive de « faire le beau ». Partant de sa situation matérielle, « la pauvreté de Socrate est ambiguë ». E. Helmer, « Philosophies grecques du mendiant », dans Cahiers philosophiques, 2013, n° 134, p. 5.





131 Xénophon , Mémorables, Livre IV, chap. 4, 10˗11.





132 Cf. Platon , La République , Livre II, 372 a˗d.





133 Ibid , Livre II, 372 e 373 a.





134 Socrate, décrivant le modèle de cité qu'à en vue Glaucon, semble décrire la cité athénienne de son temps. Cf. Platon , La République , Livre II, 372 a˗e.





135 La richesse est un mal, car elle engendre goût du luxe, paresse et appétit pour la nouveauté. La pauvreté est un mal, elle aussi, car elle engendre outre l'appétit pour la nouveauté, également la servilité et la médiocrité dans le travail. Cf. Platon , La République , 422a.





136 Nous trouverons avec Aristote cette idées de milieu, de vertu entre les vices.





137 Poète grec, V e siècle av. J.˗C.





138 Aristophane, Plutus, trad. A.˗C. Brotier, Paris, Garnier frères, 1889, p.472˗473.





139 Thème que nous retrouvons dans un dialogue entre Adimante et Socrate, dans Platon , La République , 421 d ˗ 422 a.





140 Xénophon , Mémorables, Livre I, chap. 6.





141 Point de vue partagé par d'autres contemporains à l'instar de Périclès : « Chez nous, il n'est pas honteux d'avouer sa pauvreté ; il l'est bien davantage de ne pas essayer de l'éviter ». Cf. C. Mossé, Histoire d'une démocratie : Athènes, Des origines à la conquête macédonienne, Seuil, 1971, p. 11.





142 Xénophon , Mémorables, trad. E. Talbot , Paris, Hachette,1859, Livre II, chap.VII, 7˗8.





143 Le point de ressemblance entre Socrate et les Cyniques est souligné par la thèse de Diogène Laërce qui considère les Cyniques comme une école socratique. Sa thèse repose sur deux éléments, le fait qu'Antisthène aurait été l'élève de Socrate, d'une part, et les traits communs entre leur « style de vie », d'autre part… Mais un chien fou n'est pas un chien !





144 E. Kant, Logique, p. 24.





145 G. Agamben , De la très haute pauvreté , p.24 sq.





146 DL,VI,87.





147 Un t alent égal à 6.000 drachmes, il avait donc 120 0000 drachmes. À titre de comparaison, aux temps des empires diadoques, durant la période hellénistique, un mercenaire était payé pendant son service 1 drachme par jour en moyenne. Cf. M.C. Howatson , Dictionnaire de l'Antiquité , Robert Laffont, Paris, 1993.





148 DL, VI, 87.





149 DL, VI, 96.





150 Xénophon, Le Banquet , trad. E. Talbot , Paris, Hachette,1859 , III, 4˗8.





151 Ibid., IV, 34.





152 Ibid., IV 35˗37.





153 Ibid., IV, 37.





154 Ibid., IV, 40.





155 Ibid., IV, 42.





156 Ibid., IV, 44.





157 DL, VI, 105.





158 J. Stobée, W.H., III, 1, 98. dans L. Paquet, Les Cyniques grecs, p. 214.





159 L e témoignage d'un certain Télès, maître d'école à Mégare (III e siècle av. J.˗C.), nous est parvenu par l'entremise de l'Anthologie de J.Stobée (VI e siècle. ap. J.˗C.), qui nous a été transmise par les diatribes du cynique. Ce témoignage nous permet de connaître le cynisme des origines. Cf. L. Paquet, Les Cyniques grecs, Fragments et témoignages, Paris, LGF, 1992, p.38.





160 J. Stobée, W.H., VI, 34,72.





161 Ibid., III, 1, 98.





162 Ibid., III, 1, 98.





163 Ibid., III, 1, 98.





164 Cf. O. Boulnois, « L'Oubli de la liberté », conférence tenue à l'Université Saint Louis, Bruxelles, le 14 oct. 2014.





165 Ibid., III, 1, 98.





166 J. Stobée, W.H., III, 1, 98.





167 Ibid., III, 1, 98.





168 Ibid., VI, 33, 31.





169 Ibid., VI, 33, 31.





170 Ibid., VI, 33, 31.





171 Ibid., VI, 33, 31.





172 Ibid., VI, 32a, 21.





173 J. Stobée, W.H. VI, 32a, 21.





174 Env. 96 av. J.C. ˗ env. 53 av.J.C, selon Saint Jérôme, dans sa Chronique.





175 Lucrèce, De rerum natura, trad. J. Kany˗Turpin, Paris, Flammarion, 1997, II, 165˗185.





176 Ibid., I, 150.





177 Ibid., III, 970˗980.





178 Ibid., V, 955˗960.





179 « Alors ils commencèrent à se lier d’amitié en voisins désireux d'éviter le mal et les offenses, ils se recommandèrent les enfants et les femmes, signifiaient en balbutiant, de la parole et du geste, qu'il était juste que tous aient pitié des faibles (esse aecum misererier omnis) ». Lucrèce, De rerum natura, V, 1018˗1028.





180 Ibid., V, 1110˗1120.





181 Il est remarquable que ce que Lucrèce et d'autres nous ont transmis, sont peut˗être moins une origine mythique, fantasmée de l'humanité que la transmission d'une mémoire de son origine réelle. Ainsi Marylène Patou˗Mathis, dans un article passionnant, nous rapporte que les dernière recherches anthropologiques et archéologiques semblent montrer que la violence des hommes à l'égard de leurs semblables serait assez récente et remonterait à la sédentarisation. Cf. art. « Non, les hommes n'ont pas toujours faits la guerre », dans Le Monde diplomatique, n° 736, 62 e année, juil. 2015, p.20˗21.





182 Lucrèce, De rerum natura, V, 1122˗1127.





183 Ibid., V, 1423˗1435.





184 M. Spanneut, Le Stoïcisme des Pères de l’Église, Paris, Seuil, 1957, p. 252 .





185 Ce dernier eut une gigantesque influence au sein de l'idéologie impériale romaine et après puisque il fut réapproprié en d'autres temps par les Pères de l'église, au Moyen âge,... Sénèque, Lettres à Lucillius (1 à 29), trad. M.˗A. Jour˗dan˗Gueyer, Paris, Flammarion, 1992, p. 7˗8.





186 Sénèque, Lettres à Lucillius, p. 10˗11.





187 Ibid., XVI, 4.





188 Ibid., XVI, 5.





189 Ibid., XVII, 1.





190 Ibid., XVII, 2.





191 Ibid., XVII, 3.





192 Ibid., XVII, 4.





193 Sénèque, Lettres à Lucillius, XVII, 5. « Si uis uacare animo, aut pauper sis oportet auto pauperi similis. Non potest studium salutare fieri sin frugalitatis cura : frugalitas autem paupertas voluntaria est » . Sénèque , Lettres à Lucilius, Livre I˗IV , trad. par H. Noblot , Paris, Belles˗Lettres, 1995, p. 68.





194 Sénèque, Lettres à Lucillius (1 à 29), trad. M.˗A. Jour˗dan˗Gueyer, Paris, Flammarion, 1992, XVII, 6.





195 Ibid., XVII, 10 .





196 Ibid., p. 105, n. 1.





197 Ibid., XVIII, 8.





198 Sénèque, promouvant ce régime de vie, semble ne faire que le reprendre à Épicure : « Il s'était fixé des jours, Épicure, ce professeur de plaisir, où il apaisait chichement sa faim, pour voir s'il ne manquait rien à son plaisir plein et achevé, ou plutôt combien il lui manquait et si cela valait le grand effort que cela coûtait ». Sénèque, Lettres à Lucillius, XVIII, 9˗10.





199 Ibid., XX, 13.





200 Sénèque, Lettres à Lucillius, XX, 2.





201 Ibid., XX, 3.





202 Ibid., XX, 3.





203 Ibid., XX, 5.





204 Ibid., XX, 7.





205 Ibid., XX, 10 .





206 Ibid., XX, 11.





207 Ibid., XIX.





208 Evagre le Pontique, Traité pratique ou Le moine, trad. A. et C. Guillaumont, t. 2., Paris, Cerf, 1971, chap. 97, p. 704˗705. Cet apophtegme connut un certain succès, on le retrouve recueilli par Paschase de Dume dans Livres des anciens, Apophtegmes des Pères, trad. Dom Lucien Regnault, Solesmes, Éditions de Solesmes (Cerf), 1995, p. 36.





209 Cf. J. Bottéro, Naissance de Dieu, La Bible et l'historien, p. 53.





210 Ibid., p. 55.





211 Ibid., p. 62˗64.





212 Non moins qu'au sein d'un autre monothéisme d'ailleurs, l'Islam ; ce qui se comprend par l'enfance pa uvre et orpheline de Mohammed et son statut d'exemple. Cf. not. Le Coran , LXXXIX, 17˗20 (trad. J. Berque).





213 Selon la thèse du philosophe Claude Tresmontant.





214 J. Bottéro, Naissance de Dieu, La Bible et l'historien, p. 13˗14.





215 Ibid., p. 15.





216 Ibid., p. 125.





217 « Descente et anéantissement (heauton ekenôsen) jusqu'à l'obéissance de la mort en croix », du verbe kénoû, « vider », terme pronominalisé pour donner « se vider ». On en trouve l'origine en Ph 2,7. Cf. DCTh, 630 sq.





218 Cette kénose semble absolument nouvelle ; il semblerait douteux d'assimiler le culte d'Osiris, comme préfiguration du Christ ˗ thèse que l'on retrouve chez Marcile Ficin ˗ à l'aune du symbole du « bon pélican ». Cf. Christian Cannuyer, « Osiris et Jésus, Les bons pélicans » (chap.), dans François Boespflug et Françoise Dunand (dir), Le Comparatisme en histoire des religions, Paris, Cerf, 1997, p. 223˗238.





219 Article de A. Georges, « Pauvre », DBS, VII , qui se base surtout sur A. Gelin, Les Pauvres de Yahvé, Paris, 1956.





220 DBS, « Pauvre », VII, (1966), 387.





221 Pour les divers sens, analysés avec beaucoup de finesse, technicité et références, cf. DBS, « Pauvre », VII, 388.





222 DBS, « Pauvre », VII, (1966), 388˗389.





223 DBS, « Pauvre », VII, (1966), 3 89.





224 J.˗Y. Ducourneau, Jésus, l’Église et les pauvres, Burtin, Éditions des Béatitudes, 2010, p. 33.





225 DBS, « Pauvre », VII, (1966), 389.





226 Jg VI, 1˗6 et DThC, Table (K˗Z), (1972), 3506.





227 DBS, « Pauvre », VII, (1966), 390˗391.





228 DBS, « Pauvre dans l'Ancien Testament », VII, (1966), 390.





229 Notons que L'AT relate aussi l'idée d'un Dieu qui accable sans raison tel dans le livre de Job.





230 « Tu n'auras pas de visées sur la maison de ton prochain. Tu n'auras de visées ni sur la femme de ton prochain, ni sur son serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton prochain ». Ex 20, 17.





231 DBS,« Pauvre. Dans l'ancien testament », VII, (1966), 393.





232 Id.





233 « Avant que vienne sur vous le jour de la colère du SEIGNEUR,. / Recherchez le SEIGNEUR, vous tous les humbles de la terre, qui mettez en pratique le droit qu'il a établi ; / recherchez la justice, recherchez l'humilité, / peut˗être serez˗vous à l’abri au jour d la colère du SEIGNEUR ». (So 2, 2˗4).





234 Ailleurs également il est dit que la possibilité existe qu'à la justice terrible de Dieu, échappe un « reste », des « réchappé » ; ainsi en est˗il en Es 1, 9, mais également en Am 5, 15˗16 : « Haïssez le mal, aimez le bien, rétablissez le droit au tribunal : peut˗être que le SEIGNEUR, le Dieu des puissances, aura pitié du reste de Joseph ».





235 L'humilité est un terme équivoque. On peut affirmer qu'il n'est pas tout à fait l'humiliation mais n'y est pas non plus étranger. D'une part l'humilité n'est plus quelque chose de subit mais quelque chose que l'on doit, volontairement, rechercher et qui se traduit par une limitation de ses désirs, de ses ambitions. À l'art. « Humilité », DThC, VII, 322, l'auteur prend bien garde de ne pas le confondre avec celui d'humiliation. « L'humilité consiste à maintenir l'homme dans le sentiment et la conscience de son infériorité, selon la mesure raisonnable, secundum modum suum ». Mais le DTthC n'est pas le tout » comme nous le verrons ultérieurement !





236 « Je maintiendrai au milieu de toi un reste de gens humbles et pauvres ; / ils chercheront refuge dans le nom du SEIGNEUR,˗. Le reste d’Israël ne commettra plus d'iniquité ; ils ne diront plus de mensonges, / on ne surprendra plus dans leur bouche / de langage trompeur : / mais ils pourront paître et se reposeront / sans personne pour les faire trembler » (So 3, 12˗14).





237 J.˗Y. Ducourneau, Jésus, l'Eglise et les pauvres, p. 34.





238 J. Bottéro, Naissance de Dieu, La Bible et l'historien, p. 81.





239 Dont il est bien difficile, semble˗t˗il, de donner beaucoup de précisions historiques, si ce n'est que les événements relatés seraient antérieurs à l'avènement du règne de Salomon (970). Cf. TOB, Cerf, 1994, p.512. Selon P. K. McCarter (I S, A New Translation with Introduction, Notes and Commentary ,‎ 1980, p.12), ce livre est un composite qui donne bien du mal à la critique historique.





240 « Samuel redit toutes les paroles du SEIGNEUR au peuple qui lui demandait un roi. Il dit : '' Voici comment gouvernera le roi qui régnera sur vous : il prendra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie, et ils courront devant son char. Il les prendra pour s'en faire des chefs de milliers et des chefs de cinquantaines, pour labourer son labour, pour moissonner sa moisson, pour fabriquer ses armes et ses harnais. Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. Il prendra vos champs, vos vignes, et vos oliviers les meilleurs. Il les prendra et les donnera à ses serviteurs. IL lèvera la dîme sur vos grains et sur vos vignes et la donnera à ses eunuques et à ses serviteurs. IL prendra vos serviteurs et vos servantes, les meilleurs de vos jeunes gens et vos ânes pour les mettre à son service. Il lèvera la dîme sur vos troupeaux. Vous mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves. Ce jour là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choisi, mais, ce jour˗là, le SEIGNEUR ne vous répondra point ». 1 S 8,10˗18.





241 « Ce jour là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choisi, mais, ce jour˗là, le SEIGNEUR ne vous répondra point ». 1 S 8,18.





242 Dixit le berger Amos: « Parce qu'ils ont vendu le juste pour de l'argent et le pauvre pour une paire de sandales ». Am 2, 7.





243 DBS,« Pauvre. Dans l'ancien testament », VII, 391.





244 J. Bottéro, Naissance de Dieu, La Bible et l'historien, p. 103.





245 Ibid., p. 32.





246 Cf. J. Soler, Aux origines du Dieu unique, La Loi de Moïse, Paris, Ed. De Fallois, 2003, chap. « Règles de coopération et d'assistance » et « Le Sabbat ». Parmi quelques dispositions, nous pouvons citer l 'interdiction de voler son prochain (entendu comme « son frère », un fils d'Israël) et ramener au prochain un bien qui s'est égaré (Dt 22,   1 ; Ex 23, 4), ne pas prêter à intérêt à son prochain (Dt 23, 20˗21), effacer les dettes de son prochain et affranchir ses esclaves (Hébreux) lors de l'année sabbatique, tous les 7 ans (Dt 15, 2˗3 et Dt 15, 12˗13). Supprimer l'indigence (Dt 15, 4 et Dt 15, 11), aussi en permettant aux pauvres de glâner (Dt 24, 19˗21 ; Rt 2, 15˗16), céder la récolte lors de l'année sabbatique(Dt, 29). Il s'agit en tout cas pour les fils d’Israël d'éviter l'indigence, par un partage des terres, chaque israélien devant être copropriétaire (Ez 45, 1 et 8 et Ez 46, 18).





247 Dt 5, 20˗2 ; Ex 20, 17.





248 J. Soler, Aux Origines du Dieu unique, La Loi de Moïse, chap. « Qui est le ''prochain'' ?».





249 « Je t'ai demandé deux choses, / ne me les refuse pas avant que je meure : / Éloigne de moi fausseté et mensonge, / ne me donne ni indigence ni richesse ; / dispense˗moi seulement ma part de nourriture, / car, trop bien nourri, je pourrais te renier / en disant : « Qui est le SEIGNEUR ? » / ou, dans la misère, je pourrais voler, / profanant ainsi le nom de mon Dieu ». Pr 30, 7˗10.





250 DThC, Table (K˗Z), (1972), 3506.





251 « Vanité des vanités, dit Qohéleth, vanité des vanités, tout est vanité. Quel profit y a˗t˗il pour l'homme de tout le travail qu'il fait sous le soleil ? (Qo 1, 2˗4) [...] J'ai entrepris de grandes oeuvres (Qo 2, 4) [...] J'ai aussi amassé de l'argent et de l'or, la fortune des rois et des États [...] Je devins grand, je m'enrichis plus que tous mes prédécesseurs à Jérusalem (Qo 2, 8˗9) [...] Et bien ! Tout cela est vanité et poursuite de vent, on n'en a aucun profit sous le soleil (Qo 2, 11) ».





252 L'AT n'aurait pas connu la pauvreté volontaire affirme le DThC, XV, (1950), 3250. Cette affirmation est audacieusement apologétique.





253 Les Esséniens, à en croire Flavius Josephe, aurait été une des trois sectes politiques – les deux autres étant les Pharisiens et les Sadducéens – qui seraient apparues du temps de Jonathan ( Antiquités juives , XIII, III, I, 62˗64). Ce Jonathan – frère aîné de Juda (Maccabée) – prit la tête du parti maccabéen vers 160 (av. J.˗C.). Cf. A. Dupont˗Sommer et A. Philonenko (dir.), ibid . p. XX˗ XXI.





254 Philon d'Alexandrie, De Vita Contemplativa, trad. Miquel, Paris, Cerf, 1963, § 1, p.79.





255 Donc similairement à la position épistémologique de Henry Corbin étudiant le shî'isme. Cf. Id., Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, 1986, p. 66.





256 Cf. à cet effet Philon d'Alexandrie, De Vita Contemplativa, trad. Miquel, Paris, Cerf, 1963, préf.





257 Les Esséniens sont présents dans désert de Juda, dont nous connaissons désormais les habitudes, notamment au travers de la La Règle de la Communauté autrement nommée Manuel de Discipline (Serekh Ha˗Yahad).





258 Les Thérapeutes d’Égypte quant à eux sont décrits exclusivement au travers de la Vita contemplativa attribuée à Philon. Ce texte aurait été écrit peu après 22 ap. J.˗C. Cf. Philon d'Alexandrie , De Vita Contemplativa , p.120, n. 1.





259 Philon d'Alexandrie , De Vita Contemplativa , p. 49.





260 Textes retrouvés en 1947 dans la « grotte 1 ». M. Delcor (trad.) , Les hymnes de Qumran (Hodayot) , Letouzey et Ané, Paris, 1962, p. 7. L'auteur serait une sorte de chef de communauté, identifié comme le Maître de justice, soit le chef de la secte des Esséniens. (Ibid. , p. 23). Delcor pose l'hypothèse qu'il s'agisse d' Alexandre de Jannée. ( Ibid. , p. 38). Alexandre de Jannée (début du Ie S. av. J.˗C.) était hasmonéen ; sur sa biographie, cf. not. A. Dupont˗Sommer et A. Philonenko ( dir. ) , op. cit., p. XXIII˗XXIV ainsi que p. XXXVII˗ XXXVIII.





261 Il existe plusieurs interprétations quant au statut de ces textes. La première thèse, défendue par Bardtke, pose que ces hymnes auraient un rôle catéchétique « décrivant la voie du salut pour chaque membre de la communauté ». Une autre hypothèse défendue par Bo Reicke serait qu'ils auraient un rôle liturgique. L'hypothèse de Delcor est qu'il s'agirait plutôt d'hymnes chantés lors d'offices nocturnes et peut˗être aussi pour la piété individuelle. M. Delcor (trad.) , Les hymnes..., p. 24˗26.





262 «  C'est toi qui as déployé les cieux pour ta gloire. Tu a [établi ] tout [ ce qu'ils contiennent] selon ta volonté et les vents puissants selon leurs décrets ... ». 1QH , I, 9˗10, p. 80.





263 1QH, I, 23˗24, p. 86.





264 «  A toi qui es le Dieu des connaissances / appartiennent toutes les œuvres de justice / le secret de la vérité, / mais au fils d'homme le service de l'iniquité / et les œuvres de ruse. [...] // O justes, faites cesser l'iniquité ! / et vous tous, ô parfaits de voie, / encouragez le ... du pauvre ». 1QH, I, 27˗28 et 36, p. 88˗90.





265 «  Car [je] me suis app[uyé] sur tes bontés, / sur l'abondance de ta miséricorde. / Car tu pardonnes l'iniquité / en puri[fiant l'homm]e de la culpabilité ». 1QH, IV, 37, p. 150.





266 « et comme un père nourricier, sur (son) giron, / tu prends soin de toutes tes créa[t]ures ». 1QH, IX, 36, p. 220.





267 « Je te [loue], Seigneur, / car tu n'a pas fait tomber mon sort dans la congrégation de vanité, et dans l'assemblée des hypocrites tu n'as pas placé mon décret. / Mais tu m'as [fais venir] pour tes grâces et [tes] pa[rdons] ». 1QH, VII, 34˗35, p. 196.





268 « Mais toi, ô mon Dieu, tu as secouru l'âme du malheureux et du pauvre/ de la main d'un plus fort que lui./Tu m'a délivré de la main des puissants » 1QH, II, 34˗35, p. 106.





269 « Quelle créature d'argile fait de telles merveilles, / alors qu'elle est dans l'iniquité dès le soin/ et, jusqu'à la vieillesse, dans l'infidélité coupable ? / Et moi, je sais que ce n'est pas à l'homme qu'appartient la justice, / ni au fils d'homme la perfection de la conduite. / Au Dieu Très˗Haut appartiennent toutes les œuvres de justice / et la conduite de l'homme n'est affermie / que par l'esprit que Dieu a créé pour lui, / pour parfaire la conduite pour les fils d'homme, / afin que toues ses créatures connaissent sa force et sa puissance, / et la multitude de ses miséricordes ». 1QH, IV, 29˗32, p. 146˗148.





270 Le traducteur note que l'évidence du mépris des richesses, s'accordant avec le témoignage de Josèphe (Bellum Judaicum, II, 122), de Philon (Quod omnis probus liber sit, §77), de Pline l'Ancien (Histoire naturelle, V, 17) et reprend l'explication de Josèphe que ce mépris est la cause de la confiscation par la secte des biens des adhérants afin qu'il n'y ait ni pauvreté ni richesse exagérée. Cf. M. Delcor (trad.) , Les hymnes..., p. 229.





271 « C'est en ces (deux Esprits) que vont les générations de tous les fils d'homme ; / et c'est en leurs (deux) classes que sont partagées toutes leurs armées d'âge en âge. / Et c'est en leurs (deux) voies qu'ils marchent ; / et toute la rétribution de leurs œuvres se fait par leurs (deux) classes, / conformément au partage d'un chacun, selon qu'il a beaucoup ou peu, / tout au long des temps des siècles. / Car Dieu à disposé ces (deux Esprits) par parties égales jusqu'au terme ultime ; / et Il a mis une haine éternelle entre leurs (deux) classes : / [...] car ils ne marchent pas de concert" ! ». 1QS, IV, 15˗18, p. 20.





272 Expression qui désigne ceux qui commettent le mal.





273 Haine éternelle envers les hommes de la Fosse à cause de (leur) esprit de Thésaurisation ! Il leur abandonnera ses biens et les revenus du travail de ses mains, tel un esclave envers son maître et tel un pauvre en présence de celui qui domine sur lui. Mais il sera un homme plein de zèle pour le Précepte et dont le temps est pour le Jour de la Vengeance. 1QS , IX, 21˗23, p. 37. C'est moi qui souligne.





274 1QS, VI, 22˗23, p. 28.





275 « Et quand il s'approchera du Conseil de la Communauté, [...], Et, en outre qu'il ne mêle pas ses biens à ceux des Nombreux. Puis, quand il aura achevé une année à l’intérieur de la Communauté, les Nombreux délibéreront sur son cas, selon son intelligence est ses actes en ce qui concerne la Loi ; et, si le sort prononce qu'il s'approche de la Société de la Communauté, d’après la décision des prêtres et de la majorité des membre de leur Alliance, on versera aussi ses biens et les revenus de son travail dans la main de l’homme qui est l’inspecteur des revenus des Nombreux ; mais on inscrira ceci en compte à son crédit, sans le dépenser au profit des Nombreux, Il ne touchera pas au Banquet des Nombreux avant qu'il n'ait achevé une seconde année au milieu des membres de la communauté ». 1QS, VI, 16˗21.





276 « Quant aux biens des hommes de sainteté qui vont dans la perfection, que leurs biens ne soient pas mêlés avec les biens des hommes de tromperie qui n'ont pas purifié leur voie pour se séparer de la perversion et pour aller dans la perfection de voie ». 1QS, IX, 8˗9 , p. 35.





277 « Et qu'aucun des membres de l'Alliance de Dieu ne fasse de transactions avec les fils de la Fosse si ce n'est (en payant) de la main à la main ». CD, XIII, 14˗15, p. 177.





278 « Et qu'on ne fasse pas d'association pour l'achat ou la vente sans le faire savoir à l'inspecteur qui est dans le camp et sans agir loyalement ». CD, XIII, 15˗16 , p. 177.





279 Art. « Où en est le problème des analogies qumrâninennes du Nouveau Testament », dans M. Delcor, Qumrân, Sa piété, sa théologie et son milieu, Paris˗Gembloux/ Leuven, Duculot, 1978, p. 380.





280  « mon cœur s'est ouvert pour la source éternelle ». 1QH , X, 22˗31, p. 228˗230.





281 D'une part Philon – philosophe juif hellène – témoigne de la vie de communautés juives avant le christianisme, d'un monachisme en Égypte, d'autre part il témoigne d'une vie contemplative, commune aux grecs et aux chrétien s, d'une tradition qui se justifie par la volonté d'accès au divin et qui trouve une anticipation même chez Aristote ( EN , X, 7˗8).





282 Philon d'Alexandrie , De Vita Contemplativa , trad. P. Miquel , Paris, Cerf, 1963 , §11, p.85. Daumas, note que tout comme dans le Quis rerum divinarum heres sit du même auteur, on peut déjà constater chez Philon « les linéaments d'une pensée sur la grâce » (Ibid., p. 86).





283 Philon d'Alexandrie , De Vita Contemplativa , p. 147.





284 Ibid. , §13, p.87.





285 Ibid. , §13, p.87.





286 Ibid. , § 19˗20, p.91.





287 Ibid. , § 18, p.91.





288 Ibid. , § 14, p.87.





289 Ibid. , § 15˗16, p.89. C'est moi qui souligne.





290 Bien qu'il faille être prudent avec les déclarations de ceux qui, de l'intérieur d'une doctrine, affirment se distinguer d'une autre doctrine ; l'apologète peut ne pas s'ennuyer de quelques « arrangements » avec la réalité, et cela vaut jusque chez les modernes. Néanmoins un caractère promu au sein d'une doctrine qui a à la base un caractère hagiographique peut par la suite, devenant exemplaire, s'inscrire dans la réalité et se propager. Ainsi doit˗on considérer avec sérieux les hagiographies, « Vies de... » et autres gestes qui émaillent l'histoire.





291 On trouvera cette critique de l'injustice, portée par Philon lui˗même, notamment dans le Quis rerum divinarum heres sit, § 161.





292 Philon d'Alexandrie , De Vita Contemplativa , §17, p.89.





293 « Ils [les Thérapeutes, lors de leurs banquets ndlr. ] ne sont pas servis par des esclaves, car ils jugent que posséder des serviteurs est absolument contraire à la nature : celle˗ci, en effet, a fait naître tous les hommes libres, mais les abus et les appétits de quelques hommes, partisans de l’inégalité qui est à l'origine du mal, ont asservi la force que pouvaient avoir les faibles,pour la mettre au service des forts ». Philon d'Alexandrie , ibid. , § 70, p.131.





294 « Les Esséniens utilisaient les biens des particuliers pour entretenir leur communauté. Les Thérapeutes semblaient n'avoir pas eu de caisse commune, mais avoir laissé leurs biens à des parents, à charge sans doute de subvenir à leurs modestes besoins ». Philon d'Alexandrie , ibid., p. 55.





295 Philon d'Alexandrie , ibid , p. 57.





296 «  Les uns et les autres vivant en commun, d'une vie priant, pauvre et mortifiée ; et nos théoriciens, qui ne voient que la surface des choses, trouvent tout naturel d'identifier leurs successeurs dans les moines de Palestine et d’Égypte, puisque ceux˗ci menaient une vie priante, pauvre et mortifiée, Or le terme de monachisme a un sens fort, qui le situe à l'intérieur même du christianisme ; les hommes de Qumran et du lac Moeris avaient sans doute une communauté, une règle de vie, des exercices ascétiques la médiation de l'écriture et probablement le chant des psaumes ; mais il ne s'agit là que des pratiques, non des motivations ; des effets, non des causes. Il faut originer le monachisme chrétien au Christ lui˗même... ». I. Gobry, Les moines en occident, De saint Antoine à saint Basile, t.1. , Paris, Fayard, 1985, p. 23. C'est nous qui soulignons.





297 Saint Augustin, Les confessions, trad. J. Trabucco, Paris, Flammarion, 1964, VII,18, p. 149.





298 Ibid., VII, 9, p. 140.





299 Ibid., VII, 9, p. 141˗142.





300 Ibid., X,43, p. 250.





301 « Le paradoxe de Jésus apparaît quand il affirme son autorité absolue dans la pauvreté absolue et par conséquent dans la vulnérabilité ; dans le renoncement à toute puissance terrestre et à tout bien terrestre. Le pouvoir, tel que Jésus le possède et le confère, n'est rien dont celui qui le reçoit pourrait se réjouir comme d'un bien propre (Lc 10, 20). Jésus est le sauveur, qui ne possède que pour transmettre et n'a rien pour lui˗même. H.U. Von Balthasar, Les grands textes sur le Christ, Paris, Desclée, 2006, p. 167.





302 H.U. Von Balthasar, Les grands textes sur le Christ, p. 106˗107.





303 Saint Athanase nous dit dans La Vie d'Antoine, (trad. G.J.M. Bartelink , Paris, Cerf, 1994) que ce dernier (env. 251˗356) était de naissance égyptienne, noble et chrétienne, donc il fut éduqué en chrétien a contrario de Pacôme dont les parents étaient païens (id., 1,1, p. 131). Il fut le premier ascète à s'établir dans le désert (id., 12,1˗12,5, p. 167˗169) et viva reclu vingt ans,(id., 14,1˗14,7, p. 173˗175). À la sortie de son état, il fut un exemple pour tant d'autres qui embrassèrent la vie érémitique. Puis il dirigea de nombreux ermitages (id., 15,3, p. 177) et retourna aussi à la vie érémitique. Soulignons qu'il produisait ce dont il avait besoin, pour n'être à charge de personne (id., 3,6 et 50,6, p. 139 et 271). On trouvera une biographie de Saint Antoine de bonne facture dans DHGE, III, 726˗734.





304 Saint Augustin, Les confessions, VIII, 6, p. 164˗165





305 Ibid., VI, 14, p. 126˗127





306 L'aroure, ancienne mesure égyptienne, vaut 2756 m². Antoine était donc à la tête d'un fort beau domaine ; près de 23 hectares, cela demandait énormément de bras pour mettre en culture une telle surface, sans la mécanisation. Les parents d'Antoine, eux avaient plus de 80 hectares ! Cf. quelques éléments intéressants en Athanase d'Alexandrie, Vie d'Antoine, trad. G.J.M. Bartelink, Paris, Cerf, 1994, p. 134˗135.





307 Athanase d'Alexandrie, Vie d'Antoine, 2, 1˗ 3,1, p. 130˗135.





308 « La multitude de ceux qui étaient devenus croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme, et nul ne considérait comme sa propriété l'un quelconque de ses biens ; au contraire, ils mettaient tout en commun. Une grande puissance marquait le témoignage rendu par les apôtres à la résurrection du Seigneur Jésus, et une grande grâce était à l'oeuvre chez eux tous. Nul parmi eux n'était indigent : en effet, ceux qui se trouvaient possesseurs de terrains ou de maisons les vendaient, apportaient le prix des biens qu'ils avaient cédés et le déposaient aux pieds des apôtres. Chacun en recevait une part selon ses besoins ». Ac 4, 32˗35.





309 «  Et voici qu’un homme s’approcha de lui et lui dit : « Maître, que dois˗je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Pourquoi m’interroges˗tu sur le bon ? Unique est celui qui est bon. Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » – « Lesquels ? » lui dit˗il. Jésus répondit : « Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne voleras pas. Tu ne porteras pas de faux témoignage. Honore ton père et ta mère. Enfin : Tu aimeras ton prochain comme toi˗même. » Le jeune homme lui dit : « Tout cela, je l’ai observé. Que me manque˗t˗il encore ? » Jésus lui dit : «  Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne˗le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis˗moi !  » A cette parole, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. / Et Jésus dit à ses disciples : « En vérité, je vous le déclare, un riche entrera difficilement dans le Royaume des cieux. Je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu. » A ces mots, les disciples étaient très impressionnés et ils disaient : « Qui donc peut être sauvé ? » Fixant sur eux son regard, Jésus leur dit : « Aux hommes c’est impossible, mais à Dieu tout est possible ». Mt 19 , 16˗26. Concordance : Mc 10, 21 ; Lc 18,22. C'est nous qui soulignons.





310 J. Dupont, Nouvelles études sur les Actes des apôtres, Paris, Cerf, 1984, chap. 11.





311 Ac 2, 44˗46 et Ac 4, 32.





312 Ac 5, 1˗11. Notons au passage que D. Marguerat, dans Les Actes des apotres au travers de l'analyse de l'histoire d'Ananias et Sapphira souligne d'une part qu'il y a rupture entre la tradition de Qurâm et celle des chrétiens en ce que le don, le dépouillement pour entrer dans la communauté est obligatoire pour la seconde et est libre pour les premiers (D. Marguerat, id., n. 48, p. 174). D'autre part ce n'est pas pour le fait d'avoir mis de coté une part de la vente d'une propriété foncière que le couple sera puni, mais pour avoir peur, avoir menti à Dieu, avoir été hypocrite. La vente n'étant pas obligatoire. D. Marguerat, ibid., p. 172˗178.





313 Citons la thèse de Malinat, qui note la présence de « cellules familiales fictives » dans les sociétés méditerranéennes du premier siècle, s'engageant « à une solidarité réciproque analogue aux liens du clan bien qu'en dehors de tout lien de sang » et prenant pour caractère qu'en échange d'une protection à l'égard de l'extérieur il est demandée un attachement sans failles. D. Marguerat, La première Histoire du christianisme,..., p. 251. L'auteur,, reprenant la thèse de Malinat, cite, outre les Esséniens que l'on retrouve chez Flavius Josèphe, également les communautés des pythagoriciens cités par Jamblique, et le modèle de l'amitié présent chez Aristote « Tout est commun aux amis », dans EN, 8,11. Cf. aussi Br. J. Malina, Christian origins and Cultural Anthropology, 1986 & Br. J. Malina et J.H. Neyrey, « Honor and Shame in Luke˗Acts : Pivotal Values of the Mediterranean World, 1991. Selon D. Marguerat, Malinat note cinq caractères de ces communautés : 1) loyauté et confiance envers le groupe, 2) préservation de la conviction commune face à l'extérieur, 3) ouverture de sa maison à tout membre, 4) obligation de pourvoir aux besoin chacun et 5) conscience de partager une même destinée (D.   Marguerat , id, p. 251˗252). Pour D.   Marguerat, le modèle de Malinat saute aux yeux à la lecture des Actes de Saint Lc par le point de vue de lecture « strictement intracommunautaire » composé par le narrateur. D.   Marguerat, ibid, p. 252˗253.





314 «  D'un pays unique au monde, le seul où fut adoré le Dieu unique et où dût naître un homme tel que je viens de dire, sont partis à travers le monde entier des messagers choisi que par par leurs miracle et leur prédication ont allumé partout les feux du devin amour. Après avoir solidement établi la doctrine du salut, ils ont laissé à leurs successeurs des pays tout illuminés » . Augustin , La vraie religion, dans Id , Œuvres, La foi chrétienne ( BAug 8), III, 4, p. 29.





315 J. Jérémias, Théologie du Nouveau Testament, La prédication de Jésus, Paris, Cerf, 1996, p. 143˗144.





316 Cf. not. Mt 6, 19˗21 ; Mt 6, 24 ; Mt 6, 25˗33





317 J. Jérémias, Théologie du Nouveau Testament..., p. 144.





318 Ibid., p. 145.





319 Cf. not. Ibid., p. 145˗146.





320 J. Daniélou, L’Église des premiers temps, Des origines à la fin du IIIe Siècle, Seuil, 1985, chap. 3.





321 A. Badiou, Saint Paul, la fondation de l'universalisme, p. 81.





322 Il n'y a plus ni Juif ni Grec, il n'y a plus ni esclave ni homme libre, il n'y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus˗Christ. ». Ga 3, 28.





323 Cf. Rm 12;4˗5 ; 2 Co 12;12˗13 ; 1 Co 12;27 ; Ep I, 23 ; Col 1, 24.





324 « Multi diuitias relingquentes Dominum non sequuntur. Sequitur autem Dominum qui imitator eius est et per uestigia illius graditur. Qui enim dicit se in Christo creder debet quimodo ille ambulauit et ipse ambulare ». Saint Jérôme , Commentaire sur S.Matthieu , t.2., trad. E. Bonnard , Paris, Cerf, 1979, Livre III, 19˗21, p. 78˗79.





325 Cf. not. Mt 19, 29˗30. Ce qui montre que le christianisme est loin d'être une doctrine timorée.





326 Il n'est que de penser à l'attention qui sera portée à la « clôture » dans les ordres monastiques et au sein des couvents, en particulier chez les moniales et pendant les périodes de grandes dévotions.





327 La Règle opère une distinction entre les différents moines ˗ les sarabaïtes, les gyrovagues, les ermites et les cénobites. Cette division en genera monachorum , est traditionnelle.





328 Le genre˗de˗vie en communauté, nommé forme˗de˗vie par Agamben, est entendue comme « une vie si étroitement liée à sa forme [la règle] qu'elle s'en montre inséparable ». G. Agamben , De la très haute pauvreté, Paris, Payot et Rivage, 2013, p. 9.





329 G. Agamben , De la très haute pauvreté, chap. II, p. 83 sq.





330 Ibid., p. 101.





331 On pourrait se demander aussi jusqu'à quel point Agamben ne participe pas à effacer l'originalité du projet chrétien originel, car il tend à montrer que l'idéal, la finalité des chrétiens était de parvenir à une vie commune, en mettant l'accent sur le récit des Actes.Mais ne confond˗t˗il pas moyens et but ? Cf. not. Agamben , ibid, p. 21.





332 J.˗P. Lapierre, Règles des moines, Seuil, 1982, p. 25.





333 Un ange aurait ordonné à l'abbé des règles que celui ci doit mettre en œuvre, la règle s'adresse à l'abbé et non pas aux moines. Ces règles nous sont connues par la traduction d'un chap. de l'Histoire lausiaque, écrite par Palladius (IV e S.). Cf. J.˗P. Lapierre, Règles des moines, p. 24.





334 Saint Benoit, Règle 33 dans La règle de Saint Benoît, trad. A. De Vogüé, t. 2, Paris, Cerf (SC 182), 1972, p. 563.





335 La Règle de Saint   Benoît est une règle fondatrice de la majorité des monastères occidentaux pendant plusieurs siècles.





336 J.˗P. Lapierre, op. cit., p. 52.





337 Cf. RSB, I˗II˗IV˗VII, qui sont des extraits littéraux de l'anonyme Règle du Maître.





338 C. Jean˗Nesmy, Saint Benoît et la vie monastique, p. 24.





339 G. Agamben , De la très haute pauvreté, p. 80.





340 La rupture opérée par François touche d'ailleurs à l'obéissance, lui qui remet au goût du jour l'idée d' «  Obéir dans la joie », que l'on trouve déjà bien avant, puisque Augustin, dans sa règle recommandait d'observer avec joie « non comme des esclaves sous la loi, mais comme constitués en homme libre sous la grâce ». Repris de Regula ad servos Dei, PL, XXXII, 1377, dans G. Agamben, op.cit, p. 44.





341 Celle˗ci que nous possédons, est une version féminine du Praeceptum rédigé en 397 pour un monastère laïc à Hippone, commence effectivement au § 5 de la Lettre 211 dont elle est issue et qui a été collectée par les Mauristes, (ce qui précède étant une objurgatio). Les paragraphes 5 et 7, le § 6 constituant par ailleurs une apologie à l'humilité. J.˗P. Lapierre, Règles des moines, p. 36.





342 F. Quéré (trad.), Les Pères apostoliques, Écrits de la primitive Église, Paris, Seuil, 1980, p. 90˗103.





343 Cf. J.˗P. Audet (éd.), La Didachè, Instructions des apôtres, Paris, Librairie Lecoffre, 1958, p. 197˗198, et plus largement chap. 7 pour l'étude de la date et du lieu d'origine de ce texte.





344 F. Quéré (trad.), Les Pères apostoliques, Écrits de la primitive Église, Paris, Seuil, 1980, p. 16.





345 F. Quéré (trad.), Les Pères apostoliques, Écrits de la primitive Église, p. 17.





346 « Entrez par la porte étroite. Large est la porte et spacieux le chemin qui mène à la perdition, et nombreux ceux qui s'y engagent; combien étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux ceux qui le trouvent. Mt 7 , 13˗14.





347 « Nous qui vivons avec vous, qui avons même nourriture, même vêtement, même genre de vie que vous, qui sommes soumis aux mêmes nécessités de l'existence. Car nous ne sommes pas des brahmanes ou des gymnosophistes de l'Inde, habitants des forêts et exilés de la vie. ! Nous nous souvenons que nous devons de la reconnaissance à Dieu, comme au Seigneur et au Créateur de toutes choses : pas un fruit de ses oeuvres que nous rejetions. Seulement nous nous gardons d'en user avec excès ou de travers. C'est pourquoi, sans laisser de fréquenter votre forum, votre marché, vos biens, vos boutiques, vos magasins, vos hôtelleries, vos foires et les autres lieux de commerce, nous habitons ce monde avec vous [cohabitamus hoc saeculum ] . Avec vous encore nous naviguons, avec vous nous servons comme soldats, nous travaillons la terre,nous faisons le commerce : de même, nous échangeons avec vous le produit de nos arts et de notre travail. Comment pouvons˗nous paraître inutiles à vous affaires, puisque nous vivions avec vous et de vous ? Vraiment je ne comprends pas ». Tertullien, Apologétique, trad. J.˗P. Waltzing, Paris, Belles˗Lettres, 1961, XLII, 1˗3, p. 90.





348 J. Daniélou , L’Église des premiers temps, Des origines à la fin du IIIe Siècle, Paris, Seuil, 1985, p. 185.





349 « Nous sommes d'hier, et déjà nous avons rempli la terre tout ce qui est à vous [ les romains ndlr.] : les villes, les îles, les postes fortifiés, les municipes, les bourgades, les camps eux˗mêmes, les tribus, les écuries, le palais le sénat, le fo rum ; nous ne vous avons laissé que les temples ! Tertullien, Apologétique, XXXVII, 4, p. 79.





350 Par exemple Clément d'Alexandrie, à cette époque, aurait écrit un Quis dives saluetur, dont le sujet de préoccupation est la richesse. Cf. J. Daniélou , op. cit., p. 189.





351 Saint Nil , Discours ascétiques ( Da ) , trad. L. Regnault , dans Philocalie des Pères neptiques , fascicule 8, Bégrolles˗en˗Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1987, p 69˗125.





352 « Il [ le Christ] nous a enseigné ainsi que celui qui embrasse correctement la philosophie d'en˗haut doit, d'une part rejeter tous les plaisirs de la vie et, d'autre part, peiner et maîtriser entièrement les passions en méprisant le corps ; il doit aussi ne pas tenir à la vie et être prêt à la perdre s'il faut donner ce témoignage à la vertu » Da 4 .





353 La refusant aux juifs et aux grecs. Les derniers courant après la « gloriole » et sous prétexte de produire une philosophie rationnelle, négligent la pratique; les premiers (dont les Esséniens) philosophant sans le Christ. Da 2˗3.





354 Revenons un moment sur P. Hadot , dans son Discours et mode de vie philosophique, pour qui faire avant˗tout des philosophes anciens des « constructeurs de systèmes » ( ibid. , p. 155) conduit à des incohérences, pour qui la méthode structurale est irrelevante, pour qui « l'écrit philosophique n'est qu'un point d'appui matériel ( ibid. , p. 157), plus encore le philosophe n'est pas quelqu'un qu construit un système conceptuel ( id. , p. 158) et qui affirme « «  Le philosophe ne forme pas seulement alors à un savoir parler, à un savoir discuter, mais à un savoir vivre au sens le plus fort et le plus noble du terme'' ( ibid. , p. 159). S'attachant à Aristote, il dira que la philosophie est avant tout Paideia , une formation, pour conduire ''au développement harmonieux de toute la personnalité humaine, culminant dans l’acquisition de la sagesse comme art de vivre'' ( ibid. , p 171). La philosophia encore au IV e S., avec Socrate et Platon, même comme sagesse divine, reste un savoir faire, un savoir vivre. ( ibid. , p. 178˗179). À l'aune de ce point de vue, il n'est dès lors pas ridicule de présenter le christianisme, de plein droit, au sens antique, de philosophie, et Saint Paul, (cf. Ac 17, 6 sq. ) bien que raillé, pouvait s'estimer l'égal des philosophes qu'il harangua sur l'Aréopage puisque ceux˗ci l'invitèrent à prendre la parole ; ceux˗ci l'écoutèrent. De même en 1 Co 2, 1˗8, c'est bien une sagesse que Saint Paul professe, sagesse divine, opposée à une sagesse humaine.





355 Concept forgé par les Pères du désert, fondamental chez les chrétiens orthodoxes mais peu présent dans le monde catholique, d'où sa discrétion dans les usuels de référence. À noter toutefois un article de J.˗F. Colosimo, dont nous tirons une définition descriptive du sens primitif de ce concept   : « Anachorèse objective et ascèse intérieure [...]. Mode de vie [monôsis], l'hèsukhia est aussi ''un art et une grâce'' [...]. Elle requiert l'apatheia, la maîtrise des passions ; l'amerimnia, l'indifférence absolue aux soucis, la katharsis, le discernement et l'éradication des pensées (logismoi) ; la nèpsis, la garde de l'intellect et du cœur. Le moyen et la fin de ces états est la mnèmè tou theou, le retranchement du monde sensible, imaginal et noétique qui permet de se souvenir de Dieu – ou plus précisément de Jésus – dans la prière. Fondée sur une exégèse typologique de la précellence mystique [...] et une compréhension littérale du commandement néotestamentaire de l'oraison ininterrompue [...] la meletè, la prière méditative, consiste en répétition orale ou en rumination mentale d'une formule de componction, généralement emprunté au psautier [...] ou à l’Évangile [...]. Voie de l'épiclèse constante [...], l'hèsukhia ouvre à l'anticipation du Royaume et à la vision de Dieu [...] ». Cf. « Hésychasme », DCTh, 531˗533.





356 Cf. chap. 22 « Sur la sobriété et la vigilance », de son ouvrage. Ce texte est consultable dans O. Clément (dir.), La Philocalie des Pères Neptiques, trad. J. Touraille, t.1., Desclée de Brouwer, 1995, p. 190˗224.





357 Tradition que l'on retrouve au sein du christianisme orthodoxe et que l'on ne peut pour des raisons de place développer. Citons toutefois dans la même « veine » les écrits du célèbre hésychaste, Saint Grégoire de Palamas (1296˗1359), notamment dans De la déification de l'être humain, trad. M.˗J. Monsaingeon et J. Paramelle, Lausanne, L'âge d'homme, 1990. Pour une découverte de la tradition hésychaste, cf. l' Archimandrite P. Deseille, La spiritualité orthodoxe et la philocalie, Paris, Bayard, 1997.





358 Cette métaphysique s'affine dans les polémiques des Pères grecs dans un premier temps contre les gnostiques dualistes, les émanatistes et les arianistes. Puis cette métaphysique s’imprègne de principes néo˗platoniciens. Enfin, cette métaphysique se trouve au cœur de polémique entre les manichéens et les Pères latins. Durant la période scolastique, elle s’enrichit au cours du débat sur la condamnation du panthéisme. Cf. DThC, « Création », Tables (A˗J), (1951), 844˗845.





359 Cf. « Économique Morale », DCTh, 365.





360 Originaire de Mauritanie (nord de l'Algérie actuelle), il vient en Gaule dans la seconde moitié du Ve siècle, pour apparemment fuir l'avancée des Vandales. Il se fixera à Arles. Cf. DThC, XII, (1935), 2537˗2543.





361 Cf. J. Devisse. « L'influence de J. Pomère sur les clercs carolingiens, De la pauvreté au Ve et IXe siècles », dans la Revue d'histoire de l'Église de France. t. 56. n°157, 1970, p. 285˗295.





362 Concernant la propriété cf. J.˗Y. Calvez, L'économie l'homme la société, Desclée de brouwer, Paris, 1989, chap 5.





363 Ibid., p. 286.





364 Ibid., p. 287.





365 Lors du deuxième concile d’Aix, la distinction terminologique est faite entre le pauvre (pauperes) et l'indigent, le premier est un homme libre, qui a des terres mais est sous la domination d'un possesseur de grands domaines, le second fait partie de cette population réduite à la déchéance. Cf. M. Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, p. 46˗47.





366 J. Devisse, op. cit., p. 293.





367 Ibid., p. 290.





368 Le livre II, chap. 9˗16, cf. PL, LIX, 453 sq.





369 J. Devisse. « L'influence de J. Pomère..., p. 289˗90.





370 Id.





371 Ibid., p. 290.





372 Id.





373 Id. Cf. De vita contemplativa, chap. 9 (PL, LIX, 453) : « Non enim propriae sunt communes ecclesiae facultates ». De vita contemplativa, chap. 14 (PL, LIX, 458) : « ... non suorum sed communium possessores... ».





374 J. Devisse. « L'influence de J. Pomère..., p. 291.





375 Id. Cf. De vita contemplativa, chap. 9 (PL, LIX, 454) : « Quod habet ecclesia cum omnibus nihil habentibus habet commune ». Ce qui fait dire à Devisse que J. Pomère cristallise tant les futurs trafics des indulgences qu'un socialisme chrétien comme cela apparaît plus clairement dans ce texte : « II faut donc se souvenir que les biens d'Église ne sont rien autre que les vœux des fidèles, le prix des péchés et les patrimoines des pauvres ». J. Devisse., ibid., p. 291. Cf. De vita contemplativa, chap. 9 (PL, LIX,   454) : « Et idcirco scientes nihil aliud esse res ecclesiaenisi uota fidelium pretia peccatorum et patrimonia pauperum ». Le thème du christianisme comme fondateur du socialisme a été travaillé par divers penseurs, ne citons que Jaurès qui écrit un ouvrage sur les quatre sources du socialisme (Les origines du socialisme allemand).





376 J. Pomère, La Vie contemplative, Paris, Migne, 1995, p. 91˗92.





377 Mélanie, de la famille des Valerii Maximi, dépensa sa vie, avec son mari Pinien, à vendre ses immenses propriétés dispersées dans le monde entier, d'une valeur estimée par le cardinal Rampolla à 116 millions. Cette vente, au profit des pauvres provoqua parmi les sénateurs de terribles colères, car elle était interprétée comme un blâme public de leur vie fastueuse et bouleversait l'état de choses existant. Il fallu d'ailleurs, l'intervention de l’empereur Honorius, afin de triompher des difficultés légales, et de permettre « à la personne la plus riche du monde » de devenir pauvre. Honorius, expédia ordre à tous les gouverneurs des provinces, «  de vendre, sous leur responsabilité, les domaines de Pinien et de Mélanie et de leur en faire parvenir le prix ». Vêtue en pauvresse, visitant saint Augustin à Hippone, les solitaires en Égypte, saint Jérôme à Jérusalem, jeûnant 120 heures par semaine, Mélanie, après avoir donné le spectacle d'une rare humilité et d'une activité prodigieuse au service de l'église, mérita de voir l'Impératrice Eudocie faire le voyage de Jérusalem pour la visiter. Elle meurt en 439 en laissant sa trace dans deux registres : celui des fortunes sénatoriales à Rome, et celui des indigents, à Jérusalem. Quelle évolution avec les « exercices spirituels » de Sénèque, qui conseilla de faire comme les pauvres ! Quel est la partie légendaire et réelle de ce témoignage, cela mériterait une étude approfondie, il n'en reste pas moins que beaucoup d'exemples viennent conforter cette pratique radicale de la pauvreté volontaire. Cf. L. Prunel, « Pauvres (Les) et l'église », DAFC , III, 1667˗68. Cet article s’appuie sur : Card. Rampolla, Santa Melania Giuniore, Senatrice Romana, Rome, 1905 ; G. Goyau, Sainte Mélanie, Lecoffre, 1908, p. 77, 207 ; A. D'Alès, Études, jui˗aoû 1906 ; Analecta Bollandiana, XXV, 1906.





378 Ce mot d'ordre sera repris par les Franciscains des siècles plus tard. Cf. J. Pomère , De vita contemplativa, c hap. 12 (PL, LIX, 455) : « Et se in numéro pauperum paupertatis amore constituit : ita ut unde pauperibus subministrat inde et ipsa tanquam pauper uoluntarius uiuat... ».





379 M. Mollat, Les pauvres au Moyen Âge, p. 35. Kant fera également de cette prescription sa maxime.





380 J. Devisse. « L'influence de J. Pomère..., p. 292. Cf. J. Pomère , De vita contemplativa, chap. 13 (PL, LIX, 456), à comparer avec Cassien, Conférences (SC 64), III 9 et III 10, chap. 16, p. 151˗152 ( PL , LIX, 460) : « Ergo qui uult Deum possidere renuntiat mundo ut sit illi Deus beata possessio ».





381 G. Agamben, op.cit., p. 110˗111.





382 G. Agamben, op.cit., p. 142.





383 B. Félix, L'hérésie des pauvres, Vie et rayonnement de Pierre Valdo, Genève, Labor et Fides, 2002, p. 24˗27.





384 Ibid. , p. 29.





385 Tous ces thèmes sont récurrents, on les avaient déjà vu précédemment et ils participent du concept.





386 Le Salut par la grâce est central dans le protestantisme. Cf. not. L. Gagnebin et R. Picon, Le Protestantisme, le foi insoumise, Paris, Flammarion, 2005.





387 B. Félix, L'hérésie des pauvres, p. 128˗129.





388 Ibid. , p. 130.





389 B. Félix, L'hérésie des pauvres, p. 131.





390 Id.





391 Ibid. , p. 132˗133.





392 Ibid. , p. 136.





393 Mc, 6, 6˗13, et Lc 10, 4˗11. B. Félix, ibid. , p. 209˗210.





394 Cf. Mt 28, 19˗20 : « Allez, faites de toutes les nations des disciples... ». B. Félix, ibid. , p. 210˗211.





395 Dont sont dépourvu les animaux, puisque dépendant de l'appétit rationnel chez eux. Cf. ST, I˗II, Q. 6, art. 2., sol.





396 ST, I˗II, Q. 6, art. 1., rép.





397 ST, I˗II, Q. 9, art. 4., sol. 1.





398 ST, I˗II, Q. 9, art. 6., rép.





399 ST, I˗II, Q. 6, art. 7., rép.





400 ST, I˗II, Q. 10, art. 3., obj. 3.





401 ST, I˗II, Q. 10, art. 3., s.c, rép. et sol.





402 ST, I˗II, Q. 30, art. 1, sol.





403 ST, I˗II, Prol.





404 ST, I˗II, Q. 1, art. 1, sol.





405 ST, I˗II, Q. 3, art. 8., rép.





406 ST, I˗II, Q. 1, art. 5, rép.





407 ST, I˗II, Q. 2, art. 1.





408 Cf. Aristote, Politique, chap. 9˗10, 1256 b sq.





409 ST, I˗II, Q. 2, art. 1, sol. 2.





410 ST, I˗II, Q. 2, art. 1, concl.





411 ST, I˗II, Q. 2, art. 1, sol.





412 ST, I˗II, Q. 2, art. 1., sol.





413 Cf. Aristote, Politique, chap. 9 & 10, 1256b sq.





414 Cf. Aristote, Politique, chap. 9, 1257b 40 – a 10.





415 « tout péché consiste dans l'appétit d'un bien périssable que l'on désire de façon désordonnée et dans la possession duquel, par conséquent, on se délecte d'une manière déréglée ». ST, I˗II, Q. 72, art. 2, concl.





416 «  En outre, S. Grégoire distingue tous les péchés selon les sept vices capitaux. Or toutes ces divisions concernent les causes des péchés. Il semble donc que les péchés diffèrent en espèce selon la diversité des causes. Cependant: d'après ce principe, tous les péchés seraient d'une seule espèce, n'ayant au fond qu'une seule cause. On lit en effet dans l'Ecclésiastique (10, 15 Vg) que "l'orgueil est le commencement de tout péché", et dans la première épître à Timothée (6, 10) que "la cupidité est la racine de tous les maux". Et pourtant il y a manifestement diverses espèces de péchés. Cette diversité ne vient donc pas des causes ». ST, I˗II, Q. 72, art. 3, obj.





417 ST, I˗II, Q. 84, art. 1, concl.





418 ST, I˗II, Q. 72, art. 2, concl.





419 ST, I˗II, Q. 19, art. 12., rép.





420 ST, I˗II, Q. 19, art. 12., rép.





421 ST, I˗II, Q. 19, art. 12., rép.





422 ST, I˗II, Q. 19, art. 12., sol. 1.





423 ST, I˗II, Q.. 19, art. 12., sol. 4.





424 ST , IIa˗IIIa, Q. 19, art. 12, obj.





425 Thomas d'Aquin distingue la crainte en : 1) crainte filiale, 2) crainte initiale, 3) crainte servile et 4) crainte mondaine. Cf. ST, I˗II, Q. 19, art. 2.





426 ST, I˗II, Q. 19, art. 12., sol. 3.





427 ST, I˗II, Q. 19, art. 12., sol. 3.





428 Servais Pinckaers, rapproche 1) la négligence d'agir et 2) la négligence de l'attention quand on doit agir, pour les attribuer tous deux à ce péché par omission. (ST, II˗II, Paris, Cerf, 1984, p. 69, n.5.) Ce qui n'est pas évident, 1) on peut vouloir ne pas agir et 2) on peut ne pas vouloir agir ce qui n'est pas la même chose et ce que distingue tout de même Thomas d'Aquin.





429 ST, I˗II, Q. 6, art. 3, rép.





430 ST, II˗II, Q. 54, art. 1, rép.





431 ST, II˗II, Q. 54, art. 2, obj 1.





432 ST, II˗II, Q. 54, art. 2, sol. 1.





433 ST, II˗II, Q. 54, art. 2, sol. 1 et 3.





434 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p. 165.





435 Ibid. , p. 50, al. 2.





436 Environs 33 ans. Cf. IMD, prol., I, 2.





437 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p. 56.





438 Ibid. , p. 53.





439 Ibid. , p. 55.





440 Ibid. , p. 50, al. 2.





441 Ibid. , p.71. Cette expression reprise par É. Gilson serait de Sabatier.





442 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p. 40.





443 Ibid. , p. 41.





444 Ibid. , p. 43.





445 Ibid. , p. 52.





446 Ibid. , p. 45.





447 Selon R. Manselli, « L'idéal du spirituel selon Pierre Jean˗Olivi », dans Franciscains d'Oc, Les Spirituels ca 1280˗1324, Franjeaux (Toulouse), Privat, 1975, la compréhension d'autres franciscains postérieurs à Bonaventure – tel Olivi ˗ est conditionnée par la compréhension de celui˗ci : « Olivi est resté durant toute sa vie étroitement lié, dans sa doctrine philosophique et théologique comme pour ce qui concerne la discipline religieuse, à son grand maître Bonaventure, auquel, d’ailleurs il n'a jamais manqué de rendre respectueusement hommage, on peut bien le dire, dans chacune de ses œuvres». (Id., p.100). Certains affirment qu'il y aurait même continuité entre Bonaventure et Olivi, sur la conception de l'histoire et l'interprétation qu'ils se faisaient de Saint François comme d'un alter Christus, conception bien proch e de Joachim de Flore qui propageait cette idée que Saint François avait inauguré ce troisième âge, « l'âge de l'esprit ». Il pourrait se défendre l'idée, que pour Bonaventure, l’ordre des frères mineurs était justement cet ordo novus, qui assurait à l'église cette victoire. (Id., p.106).





448 É. Gilson, op. cit., p.10.





449 Bonaventure entre dans les ordres Franciscains en 1238 ou en 1243, et eut pour maître jusqu'à sa mort Alexandre de Halès, dont il se réclame le continuateur. É. Gilson, ibid, p.11 et 13.





450 Ibid. , p.15.





451 F. Van Steenberghen, Histoire de la philosophie, période chrétienne, Paris˗Louvain, Publications universitaire / Nauwelaerts, 1973, p. 93.





452 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p.70.





453 O. Boulnois, Être et représentation, Paris, PUF, 1999, p. 457.





454 Ibid. , p. 462 al. 1. & n.1.





455 Nous accordant avec O. Boulnois qui dénie le terme d'onto˗théologie pour la pensée de Bonaventure.





456 O. Boulnois, ibid, p. 462 al. 1. & n.1.





457 Id.





458 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p.82, n.2.





459 Encore en usage à cette époque. Cf. Saint Bonaventure, Itinéraire de l'esprit vers Dieu, Paris, Vrin, 1994, p. 8.





460 Bonaventure, les Six lumières de la connaissance humaine, Paris, Editions Franciscaines, 1971, p. 9.





461 Cf. Huges de Saint˗Victor, L'art de lire, Didascalicon, trad. M. Lemoine, Paris, Cerf, 1991, p. 47. (PL, 176, 739˗812).





462 On retrouve la classification suivante, résumée dans IMD, III, 6.





463 RAT, I, 4, al. 3. Cf. aussi commentaires en I Sent., d. 1, a 1, q. 1, ad 3 et 4 et dans dub. 2 (I, 17 et 36˗37).





464 RAT, I, §4, al. 3, p. 59. En latin appelées : monastica, oeconomica et enfin politica.





465 Cette grâce est complexe, Bonaventure en donne 4 parties : la grâce d'innocence ou baptismale, la grâce de pénitence, la grâce finale ou de persévérance, et la grâce de sagesse (RE, I, 4, p. 330). Au sein de la grâce de pénitence, outre l'humilité, il y a également l'exigence de la pauvreté en esprit, et donc de la pauvreté volontaire tout court. RE, I, 4, p. 335.





466 Définie comme « influence divine qui rectifie sans exception les jugements de la raison, fait régner la tranquillité, c'est à dire la paix, dans les décisions de notre commandement, et réalise, c'est˗à˗dire met dans la joie, les désirs de notre volonté ». Bonaventure, RE, I, 4, p. 316.





467 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p.184.





468 Ibid. , p.185.





469 Bonaventure, Traité des arbres plantes au Paradis, trad. B. Veten, (traduction tirée de l'édition de Quaracchi). Vu l'origine peu académique de la traduction française, voici le texte en latin : «  Sicut in Christum pie intendentibus aspectus carnis, qui patebat, via erat ad agnitionem Divinitatis, quae latebat ; sic ad intelligendam divinae sapientiae veritatem aenigmaticis ac mysticis figuris intelligentiae rationalis manuducitur oculus. Aliter enim nobis innotescere non potuit invisibilis Dei sapientia, nisi se his quae novimus visibilium rerum formis ad similitudinem conformaret et per eas nobis sua invisibilia, quae non novimus . significando exprimeret ». De plantatione paradisi, § 1, t. V, p. 575. Repris de É. Gilson, ibid., p.185.





470 Ibid. , p.165 sq.





471 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p.167.





472 On peut trouver chez O. Boulnois quelques considérations à ce propos. Ainsi l'on peut trouver chez Henry de Gand justification de ces distinctions sur la manière de savoir Dieu. (Henry, Summa 24, 6 (I, 143 v A). Cf. O. Boulnois, Métaphysiques rebelles, p. 252.





473 É. Gilson, op. cit., p.168.





474 Id.





475 Id.





476 Id.





477 Id.





478 Id.





479 Id.





480 Id.





481 Ibid., p.170.





482 É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p.170˗171. Outre les trois analogies déjà citées, il y aurait la similitude, qui suppose que « deux être distincts possèdent en commun une même qualité » important, lié à la grâce. Cf. Id. , p.182.





483 Ibid., p.170˗174.





484 O. Boulnois , Être et représentation , p. 270.





485 É. Gilson, op. cit., p.176.





486 Puisque le Très Haut ne donne vie à l'âme humaine que si cette dernière est « mouillée des pleurs de la componction et de la piété, spiritualisée par le mépris de tout ce qui est terrestre, et réchauffée par le désir de la patrie céleste et du Bien˗aimé ». Bonaventure, RAT, II, 11, p. 81.





487 La perfection est défini par Bonaventure : «  conformité de l'homme viateur au Christ par l'habitude vertueuse qui,de façon surérogatoire, fait éviter le mal, pratiquer le bien et supporter l'adversité ». Bonaventure, AP, III, 4.





488 « (1) Regula et vita istorum fratrum haec est, scilicet vivere in obedientia, in castitate et sine proprio, et Domini nostri Jesu Christi doctrinam et vestigia sequi, qui dicit : (2) '' Si vis perfectus esse, vade et vende omnia quae habes, et da pauperibus et habebis thésaurum in caelo ; et veni, sequere me.'' (3) Et : « Si quis vult post me venire, abneget semetipsum et tollat crucem suam et sequatur me.'' (4) Item : ''Si qis vult venire ad me et non odti patrem et matrem et uxorem et filios et fratres et sorores, adhuc autem et animam suam, non potest meus esse discipulus.'' (5) Et : ''Omnis qui reliquerit patrem aut matrem, fratres aut sorores, uxorem aut filios, domos aut agros propter me, centuplum accipiet et vitam aeternam possidebit'' ». François d'Assise, Règle de 1221 (1 Reg), dans Id., Écrits, T. Desbonnets et alii éd., Paris, Cerf (SC 285), 1997, chap. I, 1˗5, 123˗124.





489 Dans son Traité des devoirs (De officiis, Librum primus, III, 7˗8), Cicéron voulant définir les devoirs, distinguent entre l'étude de ce qui intéresse le souverain bien et ce qui à trait aux préceptes, aux conduites de vies et qui est l'objet d'étude que se donne Cicéron. Il distinguera autrement en parlant de de devoir parfait et de devoir ordinaire ou « moyen ». (Cicéron, Les devoirs, Livre I, trad. M. Testard, Paris, Belles˗Lettres, 1974).





490 Les obligations communes réfèrent aux 10 commandements, soit l'AT ; les obligations parfaites se retrouvent en Mt. 19, 21. Cf. AP, II, 15.





491 AP I, 10, dernier al.





492 Qui sont ceux qui se rapportent à 1) sa puissance sublime, 2) sa sagesse, 3) la sévérité de ses jugements, 4) la dignité de son office, 5) sa condescendance pour notre misère, 6) la formation de la vie parfaite. AP II, 13.





493 Bonaventure, Vie de Saint François d'Assise, trad. R.P. Damien Vorreux, Paris, Études Franciscaines, 1968, p. 19.





494 PE, Questio.1 (De l'humilité), p. 225.





495 Saint François d'Assise, Œuvres, trad. A. Masseron, Paris, Albin Michel, 2006, p. 104.





496 François d'Assise , 1 Reg, IX, 1˗4.





497 PE, Questio 1 (De l'humilité), p. 224.





498 Ibid., p. 224 sq.





499 Ibid., Questio.1V (De l'obéissance), p. 282.





500 Ibid., Questio.1 (De l'humilité), p. 234. Notre interprétation est c ontraire sur ce point à celle de Gilson. Cf. É. Gilson, La Philosophie de Bonaventure, p. 52.





501 AP, III, 5. Ces désirs pour ces objets sont respectivement 1) la concupiscence des yeux, 2) l'orgueil de la vie, 3) la concupiscence de la chair. (Id.).





502 Maître Eckhart, Du Détachement et autres textes, p. 13.





503 De l'eau, du pain avec un peu d'hysope et du sel.





504 G. Agamben , De la très haute pauvreté, p. 131.





505 AP, II, 17. Cf. Mt 4, 17˗20.





506 Agamben reprenant les arguments de Coccia. G. Agamben , op. cit. , p. 137˗138.





507 G. Agamben , ibid., p. 136.





508 Si Bonaventure employant ce texte fait en cela quelque peu référence à l'itinérance, il ne développera pas ce trait et ne le considérera pas comme substantiel à la pauvreté volontaire.





509 Saint Nil du Sinaï dans son Voluntaria paupertate ( PG , LXXIXC, chap. 2˗30) distingue trois voies de pauvretés : 1) la pauvreté effective, 2) la pauvreté moyenne et 3) la pauvreté opulente. Ces distinctions se font selon « la part que l'on y donne au travail lucratif et aux commodités de la vie ». Ainsi la première est la pauvreté des Saints, des moines, des Pères du désert et consiste à « vivre pour son âme seule et pour Dieu, sans aucun souci du corps », avec la part de travail manuel strictement compatible avec la vie de recueillement ». La seconde pauvreté, la moyenne dont Saint Nil dira « qu'elle a bien de l'utilité parce qu'elle convient à nos temps et aux nécessités matérielles : elle suppose les soins nécessaires pour son entretien, donne au travail juste le temps qu'il faut pour se procurer le nécessaire » et puis il cite la pauvreté opulente, celle « de beaucoup de moines de son temps », et qui « se donne tout entière aux occupations serviles, travaillant la terre, faisant du commerce bien au delà de ses besoins, pour ne pas paraître inférieur aux gens du monde ». Et s'interroge t˗il : 'quoi de commun entre ces moines pourvus et ceux qui ne possèdent rien ». DThC, « Vœux de Religion. Objet », XV, (1950), 3252.





510 Bien qu'il ait dit que pour les Mineurs, il n'est ni de possession de cœur, ni d'esprit. Cf. ci˗avant.





511 Bonaventure (Saint) , Apologie des pauvres , dans Œuvres spirituelles... , p. 8˗9.





512 PE, q. 2, a. 3. T. 5. Cf, Bonaventure (Saint) , Apologie des pauvres , dans Œuvres spirituelles... , p. 197.