La communauté de recherche philosophique (CRP)

Postulat: La philosophie est d'abord écriture.
Un postulat insurmontable pour commencer à philosopher est l'usage de l'écriture ; il n'y a pas de "philosophie orale", il n'y a que du bavardage. Je reprends ainsi la thèse du philosophe et linguiste Ong Water (que l'on retrouve déjà chez Platon):

L’existence de la philosophie et de toutes les sciences et « arts » (les études analytiques de processus, tel la Rhétorique d’Aristote) dépend de l’écriture : l’esprit humain ne les produit pas sans aide extérieure, il se sert d’une technologie profondément intériorisée, incorporée jusque dans les mécanismes de pensée. L’esprit interagit avec le monde matériel qui l’entoure de manière plus profonde et plus créative qu’on ne l’avait imaginé jusqu’ici. La philosophie, semble-t-il, devrait avoir conscience qu’elle est le produit de la technologie – autrement dit un type très particulier de produit très humain. La logique même émerge de la technologie de l’écriture. » (Walter J. Ong, Oralité et écriture (La technologie de la parole), 1982, trad. fr., Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 190).
Pour un commentaire de grande qualité, je vous renvoie au compte-rendu de l'ouvrage par P. Macherey " Par ailleurs voici un texte d'Aristote qui permet de penser à l'état d'esprit qui anime une CRP:
Il faut sur toutes ces questions tenter de chercher des arguments persuasifs, en usant de témoignages et d'exemples pris dans le cadre de notre expérience. Le mieux serait que les gens tombent tous clairement d'accord sur ce que nous dirons et, à défaut, que tous soient d'accord d'une certaine façon, ce qu'ils feront si on les y amène. En effet, chaque individu a une relation propre avec la vérité : nous devons nécessairement partir de ces positions individuelles pour, en quelque sorte, prouver nos dires. Partant en effet d'énoncés vrais mais sans clarté, on arrivera progressivement à la clarté en substituant à chaque fois des formules plus intelligibles aux formules confuses habituelles.
D'autre part, dans chaque domaine de recherche, il y a une différence entre les raisonnements philosophiques et ceux qui ne le sont pas ; C'est pourquoi, dans la recherche politique aussi, il ne faut pas croire superflu le genre d'étude qui met en évidence, outre la question du « qu'est-ce que c'est ? », la question du « pourquoi ?» : car dans chaque domaine ce genre d'étude est l'étude menée par le philosophe. Néanmoins il faut user de grandes précautions : comme on croit que la marque du philosophe est de ne rien dire au hasard et de toujours rendre compte de ce qu'il dit, souvent certaines personnes usent d'arguments étrangers au sujet traité, arguments vides de sens sans qu'on s'en aperçoive (ils le font tantôt par ignorance, tantôt par imposture). Aussi arrive-t-il même à des gens d'expérience, habiles dans leur pratique, d'être victimes de ces gens qui n'ont et ne peuvent avoir une pensée organisatrice ou pratique, et c'est leur inculture qui est en cause. En effet, dans tous les cas, c'est de l'inculture que n'être pas capable de distinguer entre les arguments propres à un sujet et ceux qui lui sont étrangers.
Par ailleurs, il est bon de juger séparément l'argumentation sur la cause et ce qui est montré, d'abord pour la raison qu'on a donnée tout à l'heure, à savoir qu'il n'est pas besoin de traiter de tout au moyen d'argumentations et qu'il vaut mieux souvent emprunter au champ de l'expérience (en réalité, quand on ne peut réfuter une argumentation, on est forcé d'y croire) ; l'autre raison, c'est que souvent ce qui semble avoir été prouvé par argumentation logique est bien vrai, mais pas pour la raison donnée dans l'argumentation : il est possible en effet de prouver le vrai par le faux,ce que les Analytiques mettent en évidence". Aristote, Éthique à Eudème , 1216b 26 – 1217a 18. ( in Aristote, Œuvres, Paris, Flammarion, 2014 – trad. C. Dalimier ).